Comment les 28 pays européens se sont empêtrés dans leurs divisions

Et maintenant docteur ? Le problème, c’est qu’il n’y a pas de docteur qui dispose de la science, ni du remède pour traiter l’inextricable confusion dans laquelle se sont plongés les 28 chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne. Ils ont échoué à s’entendre sur les nominations aux « top jobs » à l’issue d’un sommet européen extraordinaire qui a duré, en incluant ses réunions préparatoires, une trentaine d’heures ininterrompues de dimanche matin à lundi midi, lorsque le président du Conseil européen Donald Tusk l’a ajourné jusqu’à une reprise prévue pour ce mardi à 11 heures. Pour comprendre comment on en est arrivé là, remonter des causes immédiates aux causes plus anciennes et fondamentales est peut-être la meilleure manière… [scald=26702162:sdl_editor_representation] 1 Pourquoi l’échec de lundi ? Après deux heures de réunion en plénière, quatre de confessionnaux successifs des 28 chez Tusk, une nouvelle plénière, d’autres réunions en cercles restreints, puis à nouveau deux heures de plénière, c’est une seule et même combinaison d’obstacles qui a constamment bloqué la solution. D’une part le rejet de la personnalité de Frans Timmermans, pièce centrale des différentes variantes proposées, par un groupe irréductible de dirigeants appartenant au Parti populaire européen (PPE, démocratie chrétienne), mais aussi par l’Italie et les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie). Pour eux, Timmermans, actuel numéro deux de la Commission Juncker, est une personnalité trop polarisante. Une critique à prendre évidemment avec un gros grain de sel quand elle vient des pays de l’Europe centrale, visés par des procédures d’infraction à l’Etat de droit orchestrées par le Vice-président en charge des Valeurs fondamentales. [scald=26702161:sdl_editor_representation] Et d’autre part, il y avait l’insatisfaction des dirigeants du PPE quant aux compensations qui leur étaient offertes pour prix de leur abandon au bénéfice du camp socialiste de la présidence de la Commission qu’ils s’estimaient en droit d’exiger. La source de ce dernier blocage remontait à l’étape précédente. 2 L’insurrection interne au PPE Mercredi dernier, un crucial dîner interne au PPE s’était tenu à Berlin. Il avait réuni la chancelière Angela Merkel, la nouvelle présidente de son parti CDU Annegret Krant-Karrenbauer (AKK), le président du PPE, le Français Joseph Daul, et le chef du groupe parlementaire PPE Manfred Weber, qui avait été le « spitzenkandidat » (candidat de tête) de la CDU-CSU aux élections européennes. Alors que depuis le scrutin du 26 mai dont il était sorti vainqueur, le PPE réclamait pour Weber la présidence de la Commission, c’est lors de cette réunion qu’a été scellé un changement de cap : sur la proposition des socialistes européens, le PPE accepterait de laisser Frans Timmermans prendre la tête de la Commission. En échange, le PPE devait obtenir la présidence du Conseil européen et la présidence du Parlement pour cinq ans, au lieu des deux et demie habituels. On laisserait le poste de Haut représentant aux libéraux, avec lesquels les socialistes avaient noué une alliance pour contrer l’influence du PPE. C’est avec cet accord sous le bras qu’Angela Merkel est partie vendredi à Osaka où elle participait au sommet du G20, au côté des autres leaders de fait du Conseil européen : le Français Macron, désormais allié aux libéraux, le socialiste espagnol Sanchez, et le libéral néerlandais Rutte, sans compter le président du Conseil européen Tusk, PPE comme Merkel. Mais lors de leurs pourparlers, les quatre dirigeants ont modifié un « détail » du deal, pour lequel la chancelière allemande a semblé s’être portée garante pour sa famille politique : la présidence du Conseil n’irait pas au PPE, mais aux libéraux. Soit une réduction majeure d’influence pour les conservateurs. [scald=26702164:sdl_editor_representation] C’est cet accord à quatre que Donald Tusk, formellement chargé par les 28 d’en proposer un, a ramené à Bruxelles pour le communiquer d’abord aux chefs des groupes politiques du Parlement européen, ensuite au pré-sommet du PPE jeudi après-midi. Avec un résultat catastrophique : une véritable bronca des autres chefs de gouvernement et chefs de partis nationaux de la famille PPE. (Le Soir de lundi.) Les explications laborieuses, officielles ou officieuses, de Tusk et de Merkel divergent sensiblement. Selon l’entourage du premier, Tusk s’était vu tenu de communiquer aux autres dirigeants du PPE le « pacte à quatre d’Osaka » (un terme de la presse renié par les intéressés, tandis que les journalistes allemands parlent de « sushi deal »), sans réellement vérifier s’il était acceptable. Merkel quant à elle affirme qu’elle avait fait le travail dans son pré carré allemand. Les critiques voilées s’orientent vers le couple Daul-Weber, qui n’aurait pas assuré les arrières lorsque le premier scénario plus favorable au PPE a été modifié en faveur des libéraux… Toujours est-il que le résultat a été le suivant : les Premiers ministres PPE Plenkovic (Croatie), Krisjanis (Lituanie) et Varadkar (Irlande), auraient lors du sommet systématiquement bloqué tous les scénarios, invariablement construits autour d’une présidence de Commission Timmermans. Une opération de contestation frontale du leadership historique de Merkel qui a laissé les autres membres du Conseil européen pantois, tandis que les pays de Visegrad observaient ces déchirements en se frottant les mains. 3 Le processus des « spitzenkandidaten » Inventé par les partis politiques européens, ce mécanisme endossé par le Parlement il y a cinq ans visait à tenter d’imposer aux chefs d’Etat ou de gouvernement, en forçant l’interprétation du traité de Lisbonne, le choix du président de la Commission parmi les candidats têtes de listes. Ce mécanisme a fait depuis 2014 l’objet d’une guerre institutionnelle entre les deux institutions. Les 28 avaient dès l’an passé mis en garde le Parlement : ils n’accepteraient pas l’obligation de choisir le président de la Commission parmi ces « spitzenkandidaten ». [scald=26702163:sdl_editor_representation] Le conflit entre les deux institutions était voué à se compliquer, notamment du fait de la plus grande fragmentation des forces politiques qui obligerait à impliquer plus de partis dans la future majorité. Mais Donald Tusk n’a pas pris la précaution d’anticiper les problèmes avant les élections européennes et la recherche pour les « top jobs » qui allait suivre, en mettant au point avec le Parlement et les partis politiques un mécanisme conjoint pour la sélection des prochains hauts dirigeants. Voilà pourquoi, au bout du compte, on en est arrivé là.

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