Cancer d’enfants: une nouvelle cible majeure dévoilée

Comment ne tuer que les cellules cancéreuses en épargnant les cellules saines ? C’est tout l’enjeu de la recherche fondamentale qui décrypte les procédures de survie et de développement des cancers pour mieux essayer de leur barrer la route. C’est précisément ce que vient de réaliser Anabelle Decottignies, chercheuse UCLouvain, en trouvant une piste sérieuse qui permettrait de tuer les cellules cancéreuses, notamment chez les enfants, sans atteindre les cellules saines. Des résultats publiés cette semaine dans la revue scientifique de référence Molecular Cell. Si la route vers la découverte de la chercheuse fut longue et parsemée d’embûches, le résultat qu’elle obtient reste simple à comprendre. La chercheuse et son équipe étudient depuis presque 15 ans les télomères, ces petits bouts de chromosomes qui jouent un rôle capital dans notre vieillissement. Dans une cellule normale, au plus les télomères s’usent, au plus nos cellules et nos organes vieillissent. A l’inverse, dans une cellule cancéreuse, les télomères deviennent incapables de se raccourcir. Résultat : les cellules cancéreuses ne vieillissent pas et parviennent à se diviser indéfiniment, formant des tumeurs et des métastases. Elles deviennent éternelles. L’idée ? Cibler les télomères des cellules cancéreuses pour les obliger à vieillir et, du coup, les empêcher de se diviser. Pour cela, il a fallu comprendre les mécanismes qui permettaient aux cellules cancéreuses de garder leur jeunesse éternelle. [scald=26708870:sdl_editor_representation] Un système caractéristique du cancer Pour mieux construire son arme anticancer, la chercheuse s’est basée sur deux types de cancer très différents. Dans 90 % des cancers, les cellules cancéreuses réactivent l’expression d’un gène embryonnaire. Au premier stade du développement embryonnaire, nos cellules-souches sont en effet « éternellement jeunes » grâce à une enzyme, la télomérase. Cette enzyme peut se réveiller, permettant la prolifération indéfinie des tumeurs et des métastases. C’est hélas le « talent » des cellules cancéreuses de développer des stratégies multiples pour se diversifier et survivre : dans les autres cancers, les cellules cancéreuses mettent en place un système alternatif, appelé ALT (pour « alternative lenghtening of telomeres »). C’est le cas en particulier chez l’enfant. « Pour nous, c’est une découverte précieuse parce que d’un point de vue thérapeutique, c’est un mécanisme uniquement pathologique. Cela signifie qu’il n’est actif dans aucune de nos cellules saines. Ce qui en fait une cible de choix pour de nouvelles thérapies antitumorales », s’enthousiasme le professeur Anabelle Decottignies. [scald=26708871:sdl_editor_representation] Une protéine inutile dans un corps sain Qui ne s’est pas arrêté à ce constat, mais publie aujourd’hui la découverte d’une protéine, la « TSPYL5 », qui permet la survie des cellules cancéreuses qui utilisent le mécanisme ALT, alors qu’elle n’est pas indispensable à la survie des cellules saines. Cette protéine est absolument indispensable au bon fonctionnement des télomères des cellules cancéreuses qui présentent le mécanisme ALT, mais pas des télomères des cellules utilisant la télomérase, ni des cellules saines. Lorsque la protéine TSPYL5 est éliminée, les cellules cancéreuses ALT meurent suite au dysfonctionnement de leurs télomères. « C’est la première fois qu’on trouve une cible spécifique pour contrer les cellules cancéreuses chez l’enfant », se réjouit Anabelle Decottignies. Qui collabore activement avec d’autres équipes de l’UCLouvain et de la VUB pour trouver une molécule qui vise précisément cette protéine a priori « inutile » dans un organisme sain. La suite ? « II faudra tester ces molécules en culture et vérifier qu’in vitro, elles tuent bien spécifiquement les cellules cancéreuses ALT, en épargnant les cellules saines. Après, les essais précliniques se feront chez la souris. Enfin seulement, les essais cliniques en oncologie pédiatrique pourront avoir lieu. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Le premier grand défi reste de trouver ces molécules qui ne tuent que les cellules cancéreuses et pas les autres. Le second sera d’avoir des molécules très efficaces qui n’engendrent pas de résistance de la part de la cellule cancéreuse. Si toutes ces conditions sont réunies, nous aurons contribué à l’amélioration des traitements des cancers pédiatriques. » Une méthode innovante Pour identifier cette protéine cible, l’équipe de Decottignies s’est servie de « puces à ADN », un ensemble de molécules d’ADN fixées en rangées ordonnées sur une petite surface. Cette biotechnologie permet d’analyser le niveau d’expression des gènes (transcrits) dans une cellule, un tissu, un organe, un organisme ou encore un mélange complexe, à un moment donné et dans un état donné par rapport à un échantillon de référence. [scald=26708869:sdl_editor_representation] Parce qu’ils sont (heureusement) plus rares, les cancers spécifiquement pédiatriques ne récoltent en effet que peu d’intérêt des firmes pharmaceutiques. En 2018, alors que près de 1.300 essais cliniques étaient enregistrés contre le cancer du poumon, seuls 3 s’attaquaient aux tumeurs pédiatriques cérébrales et aucun à l’ostéosarcome pédiatrique. Grâce à sa recherche fondamentale, l’équipe de l’UCLouvain va peut-être bientôt changer la prise en charge de ces cancers de l’enfant, qui nous touchent naturellement tant.

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