Victoire des défenseurs de la vie privée

C’est un coup de théâtre et une victoire complète pour les défenseurs de la vie privée. Jeudi, la Cour constitutionnelle belge a annulé la loi sur la conservation des données internet, votée en 2013 et d’application depuis l’automne 2014. Elle imposait aux fournisseurs d’accès la conservation d’une très grande masse de données concernant les activités en ligne des internautes belges. Les opérateurs devaient notamment stocker durant un an toutes les sessions de connexion, les adresses d’origine et de destination des courriers électroniques, les adresses des sites visités ainsi que les dates de ces visites. C’est ce que l’on appelle les « métadonnées ». Le contenu des messages n’était cependant pas conservé. Les juges d’instruction pouvaient puiser dans ces données sur base d’une décision motivée par un magistrat. Ce texte législatif transpose une directive européenne datant de 2006, qui a elle-même été invalidée par la Cour de justice de l’Union européenne parce qu’elle constituait » une ingérence d’une vaste ampleur et d’une gravité particulière dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, sans que cette ingérence soit limitée au strict nécessaire ». La loi annulée ce jeudi posait également un épineux problème pour les avocats puisqu’elle surveillait de facto tous les échanges de courriers avec leurs clients, pourtant couverts par le secret professionnel. Elle avait fait l’objet d’un recours introduit par les Ligues des droits de l’homme francophone et néerlandophone ainsi que par l’ordre des Barreaux d’avocats francophones et germanophone (avocats.be). « C’est une très bonne nouvelle pour les libertés et les droits fondamentaux en Belgique, se réjouit André Loconte, l’un des fondateurs de la Nurpa, une association belge qui milite pour la défense des droits des citoyens sur le Net. Mais il faut continuer à renforcer la protection de la vie privée en Belgique. Dans l’environnement numérique, de nouvelles problématiques ont surgi et nous devons en tenir compte. » Dans un communiqué, le président de la Ligue des droits de l’Homme, Alexis Deswaef, émet l’espoir que « cet arrêt constitutionnel aura l’effet d’un électrochoc pour nos gouvernements. Ils ne peuvent pas élargir à l’infini la surveillance de masse de leurs citoyens. » La Ligue condamne par ailleurs la « disproportion de plus en plus flagrante entre respect de la vie privée et besoin légitime de sécurité ». La Ligue s’était particulièrement inquiétée d’une loi qui allait bien au-delà de ce que prescrivait la directive européenne. Face à la Cour constitutionnelle, en février dernier, l’avocat des Ligues francophone et néerlandophone, Raj Jaspers, avait mis en exergue des spécificités de la loi belge qui étendaient l’accès à ces données non seulement aux juges d’instruction et aux procureurs mais aussi à la Sûreté de l’Etat et au Renseignement militaire. Il se demandait comment on pourrait s’assurer que la Sûreté de l’Etat n’utiliserait pas les métadonnées pour des opérations qui concernent le syndicalisme, le nationalisme ou l’extrémisme. Pour les fournisseurs d’accès à l’internet, l’annulation de la loi a les allures d’une bonne affaire. Ils ne seront plus contraints de stocker des masses très importantes de données durant douze mois. Reste à voir comment l’actuelle majorité va gérer ce dossier. Une première réunion doit se tenir dès demain entre le cabinet du ministre de l’Agenda numérique, Alexander De Croo (Open VLD), celui de la Justice, Koen Geens (CD&V) et enfin le secrétaire d’Etat à la vie privée, Bart Tommelein (Open VLD). De son côté, la Commission européenne a annoncé, en début d’année, qu’elle ne comptait pas proposer une nouvelle directive traitant des métadonnées de l’internet. « Nous allons étudier cet arrêt en détail, note Margot Neyskens, la porte-parole de Bart Tommelein. La protection de la vie privée doit toujours être mise en balance avec d’autres droits, comme celui à la sécurité. La grande question qui va se poser est la définition de la proportionnalité en matière de conservation des données. Aux Pays-Bas, une nouvelle loi sur ce thème est également en préparation. Bart Tommelein va porter la question au sein du Parlement du Benelux dès samedi, afin de s’assurer avec nos collègues néerlandais et luxembourgeois que les législations seront harmonisées entre les trois pays ».

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