Une étape en immersion, perché sur un char de la caravane du Tour de France

Réveil matin 5 heures, ils se réveillent comme des fleurs. L’alarme (très) matinale est plus facile à encaisser le premier jour du Tour, vu l’excitation, que lors de la dernière étape. De toute façon, les caravaniers n’ont pas le choix. Ils doivent être prêts, frais et dispos pour embarquer dans leurs véhicules à 6 heures, sur le parking de leur hôtel (à quelques pas de Wavre). [scald=26716845:sdl_editor_representation] Chez Leclerc, l’un des sponsors majeurs de la Grande Boucle, ils sont 24 à faire vivre la caravane. Avec 9 véhicules, ça en fait la plus grosse délégation. Ce samedi, Le Soir était le 25e homme, se mêlant à l’équipe en rodage. Des « Transformers » Direction le parking C de Brussels Expo, à quelques pas de l’Atomium. C’est là que tous les chars sont attendus. Dès 7 heures, le parking se remplit. La Française des jeux débarque avec un tirage de boules sur char ; une poule géante défend les couleurs de la marque « Le Gaulois ». Leclerc, lui, a opté pour des chars-paniers. Pour défendre les produits régionaux français, pardi ! Un choix mûrement réfléchi. « Cela fait 10 mois qu’on travaille sur le concept », explique Pauline. « On doit dessiner le char, concevoir le jingle, dessiner les tenues, choisir les produits qu’on veut mettre en valeur. Chaque détail compte. » La société a travaillé avec le consultant Idéactif, qui fournit toute la palette de services pour ce type d’événements : conceptualisation et création du char, recrutement des caravaniers, réservation des hôtels… « Notre boulot, c’est d’être les artisans de la fête », lance Arnaud Peyrolles, directeur d’Idéactif. Pas peu fier de son nouveau concept : « Vous avez devant vous le premier “char-Transformer” de l’histoire de la caravane. » [scald=26716847:sdl_editor_representation] Transformer ? Traditionnellement, les plus gros chars n’ont en effet pas le droit de circuler sur la route (hors défilé où le trafic est interrompu, bien sûr). Il faut donc un porte-char pour les transbahuter de l’hôtel au parking (et vice versa). Un coût supplémentaire. D’où l’idée de créer des « Transformers ». En réalité, les quatre plus gros chars sont des camionnettes qui peuvent rouler librement sur la route. Mais, arrivées sur le parking, les flancs s’ouvrent, des plaques s’ajoutent et recouvrent la devanture du véhicule, et le tout se transforme en un panier sur roues. On n’est pas dans un film où il suffit d’appuyer sur un bouton pour que la mue s’opère. Chaque conducteur doit gérer sa mutation, manuellement. « On aurait pu penser à faire des panneaux un peu plus légers. Parce que c’est vachement lourd », s’amuse l’un d’eux. Entre les lentilles et la cancoillotte Les autres caravaniers s’affairent à bichonner leur voiture. Ça doit briller ! On recouvre les plaques d’immatriculation d’un cache. On ajoute le logo de la marque un peu partout. On teste la sono sur chaque véhicule. Puis intervient le premier briefing d’équipe. C’est John, chef caravanier, qui pilote les troupes. Départ du parking fixé à 9 h 30, en escorte. On apprend qu’il y aura deux déviations sur le parcours, où la caravane devra contourner un obstacle. Dont le haut du mur de Grammont, trop étroit pour les chars. Le ravitaillement en goodies (ces échantillons distribués aux supporters) a été réalisé la veille. Au menu : des petits biscuits salés d’Alsace, des broyés du Poitou, ou des sablés salés d’Auvergne. En petits conditionnements. On découvre le char de l’invité (où l’on sera installé). C’est la seule structure où il est possible de se mettre à trois, au sommet du panier. Les autres n’ont que deux places : une devant pour le speaker/ambianceur ; une derrière pour « l’hôte distributeur caravane ». Celui qui distribue les cadeaux, en somme. Et nous, on sera perché sur un siège au milieu des deux, entre un décor géant en pot de lentilles et un paquet de cancoillotte de Franche-Comté (du fromage, paraît-il). Sans possibilité – tristesse – de lancer les goodies (ça nécessite une formation pour avoir le bon geste). Et y a du matos : on a neuf énormes sacs chargés dans le char… Tout doit partir. « C’est l’expérience d’une vie, même si je le refais chaque année » Tout semble quasi prêt. Si ce n’est qu’on est encore en train de forer sur l’un des chars (pas le nôtre, heureusement). Ça nous laisse un peu de temps pour échanger avec les caravaniers. N’allez pas croire qu’on n’y trouve que des petits jeunes. Victor, 62 ans, est sapeur-pompier retraité, et c’est son deuxième Tour. Il conduira un véhicule. Marine, comédienne de 33 ans, sera notre animatrice. Une habituée. Tout comme Camille, l’hôtesse de notre char. « Le Tour, c’est l’expérience d’une vie. Même si je le refais chaque année. » Yann, c’est sa première expérience (22 ans). « Je fais du vélo en compétition. Et j’avais envie de voir le Tour autrement. Même si je sais que je ne verrai rien de la course en étant dans la caravane. » Ça, c’est un fait. On a l’impression d’être dans un monde parallèle. Dans un grand spectacle, genre parade de Disney. A aucun moment, on ne croise un coureur. Personne n’est connecté à Radio Tour. Personne n’a le temps de suivre la course. [scald=26716849:sdl_editor_representation] Pas simple de faire partie de cette grande famille de caravaniers. Il y a des milliers de postulants, et peu d’élus. Certains passent carrément des castings. Parmi les profils recherchés : des gens souriants, qui ont le permis de conduire, et qui semblent adaptés à la vie en communauté. On trouve pas mal de globe-trotteurs, dans l’équipe. Comme Romain, diplômé en école de commerce, qui revient d’un séjour en Australie et qui avait un « petit creux » avant de commencer à travailler. Pas de chance pour lui, son jour de repos tombe ce samedi, pour la première étape (chaque caravanier a droit à un jour de break, en plus des deux jours où le peloton ne roule pas). « Mais l’excitation est trop importante, je voulais participer dès aujourd’hui. » Il sera donc copilote de l’un des véhicules hybrides. Un pont trop bas Ca y est, il est 9 h 10. L’heure du dernier briefing. « L’étape fera 195 kilomètres. On a, avant cela, 9 kilomètres à parcourir jusqu’au départ fictif. A vous de gérer votre stock de goodies. Ne faites pas n’importe quoi en liquidant tout sur la première partie. Ceux qui veulent passer aux toilettes, c’est maintenant. On ne s’arrête pas pendant les 50 premiers kilomètres, ni pendant les 30 derniers », balance John. Clair, précis, ce prof de gym/chef caravanier est un vieil habitué. [scald=26716846:sdl_editor_representation] On embarque, s’attache, Marine enfile son harnais. Sans oublier les indispensables bouchons d’oreille. Parce qu’il y a le jingle qui s’apprête à nous marteler le tympan toute la journée. Les moteurs démarrent. Chaque sponsor prend sa position – prédéfinie – dans la caravane. En route vers le centre du Bruxelles. Le Ring est paralysé, sous le regard amusé des conducteurs à l’arrêt, qui immortalisent la parade avec leur smartphone. « C’est le seul jour où les gens sont contents d’être dans les bouchons », plaisante Camille. Tiens, nous voilà à l’arrêt, à la sortie du Ring. Pendant une grosse demi-heure. On comprendra plus tard que les gros chars n’ont pas pu prendre le départ dans Bruxelles. Car on s’est rendu compte à la dernière minute qu’un pont était trop bas de plafond. Notre panier géant a donc été contraint d’attendre, pour reprendre la caravane en marche aux alentours du dixième kilomètre. Que la fête commence ! Ça y est, la musique est lancée, le défilé aussi. Les gens sont là, partout, au bord de la route. En masse dans certains villages, un peu plus clairsemés en rase campagne. Mais il n’y a quasi aucun temps mort, aucune zone délaissée par le public. Les gens saluent et acclament la caravane. Tendent les bras pour obtenir ce petit gadget gratuit qui va égayer leur journée. Les jeunes de 7 à 77 ans se ruent sur la route, s’arrachent les échantillons et se battent pour un sachet de sablés qui ne doit pas coûter plus de 50 centimes. Un spectacle incroyable. Parmi les spectateurs, le marcel semble être de circonstance, souvent inversement proportionnel à toute forme de style. Certains osent même le maillot Borat. Les premières cannettes de Jupiler sont de sortie, malgré l’heure. Ou les bouteilles de rosé. Impossible de compter le nombre de gens qui avaient délocalisé le barbecue en bord de route pour l’occasion. Pour maximiser ses chances d’obtenir un joujou, rien de tel qu’un déguisement original. Plus efficace encore, une épuisette géante. « Envoie du cassoulet ! » Soyons francs, il n’a pas fallu plus de dix minutes pour qu’on se prenne au jeu, en saluant la foule avec plus d’énergie qu’un couple royal. C’est complètement grisant de voir ce public rayonnant. Ces familles, ces scouts, ces clubs de 3*20, ce commerçant qui a sorti ses plus belles tondeuses. Tous heureux de voir passer la caravane. Juste heureux. Simplement heureux. Qu’est-ce que ça fait du bien de voir les gens comme ça. Puis c’est tellement rare, ce sentiment de fête collective. On traverse Grammont, le Bosberg, dans une ambiance incroyable. Les kilomètres s’enchaînent… Vient l’heure de la « pause technique ». On nous avait prévenus : pour trois minutes de pause, il faut 18 minutes pour reprendre sa place dans la caravane. L’occasion d’avaler un sandwich. Après un break sanitaire chez l’habitant pour les hôtesses, on repart dans un contre-la-montre pour récupérer notre position. Ce que les gens ignorent, c’est qu’il est formellement interdit de remettre la sono et de distribuer des goodies tant que le char n’est pas à sa place. Un moment d’une frustration infinie. Le public tend les bras, mais ne reçoit plus rien. Le jingle, qu’on a déjà entendu 421 fois depuis le début de l’étape, commence à nous manquer. C’est sinistre, une caravane sans musique et sans distribution. Puis le public ne comprend évidemment pas la situation. Certains le prennent avec humour. « Envoie du cassoulet, hein. » Ou « la prochaine fois, j’irai chez Auchan ». Quelques insultes se perdent. « Balance, salope. » Ça reste marginal. « J’ai déjà entendu bien pire », sourit Marine. La remontada ne se passe pas comme prévu. Entre Pont-à-Celles et Genappe, il nous a fallu une quarantaine de kilomètres pour reprendre notre place dans le peloton. Merci « Charlie » (c’est le nom de code des motos) pour l’escorte. « Il faut dire que les routes belges ne sont pas jolies jolies », expliquera Stéphane, notre chauffeur, une fois arrivé. Résultat : il reste encore 7 sacs plein de biscuits salés. Va falloir tout liquider. Les habitants de La Hulpe, Overijse, auront triple ration. C’est à peine si on a le temps d’apprécier le lion de Waterloo, dans ce bain de foule. La menace « BTM » L’entrée dans Bruxelles est impressionnante. L’arrivée sur la ligne d’arrivée un peu moins. Le public ne s’y est pas encore amassé. Trop tôt, sans doute. Ça fait six heures qu’on est perché sur la caravane, et on a presque un goût de trop peu quand l’aventure s’arrête, de retour au parking C. Là, l’heure est au débrief. C’est la première étape, il y a évidemment quelques détails à régler. « Un petit peu de mousse ne ferait pas de mal pour rendre le siège du char plus confortable », par exemple. Les chars, fabriqués dans une usine de Pithiviers, se retransforment en « simple » camionnette. On s’active pour redémarrer vers l’hôtel, où le camion attend pour le réapprovisionnement des goodies. Puis douche, repas, dodo. Pas question de festoyer jusqu’aux petites heures. Le rythme imposé est bien trop lourd. Sans oublier les contrôles d’alcoolémie aléatoires, chaque matin. Là, c’est tolérance zéro. Celui chez qui on détecte une goutte d’alcool, c’est BTM : bagages, train, maison. Ça ne rigole pas. Les caravaniers en sont conscients. En reprenant notre voiture, la radio nous apprendra la victoire d’un certain Teunissen. Tiens, on avait presque oublié qu’il y avait une course… [scald=26716848:sdl_editor_representation]

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