Israël: la communauté juive éthiopienne ne veut plus se taire

Avec ses barres d’immeubles sur pilotis où l’on profite des entrées ombragées quand la chaleur se fait trop forte, Ezorim au sud de Netanya est un de ces quartiers pauvres d’Israël où les communautés se croisent sans vraiment se mélanger. Dans ses rues, les Israéliens d’origine éthiopienne sont majoritaires et depuis la mort de Solomon Tekah, 19 ans, leur colère ne s’atténue pas. Tout commence à Kiryat Haïm, en périphérie d’Haïfa, dans un quartier semblable à Ezorim. Le 30 juin dernier, le jeune homme y est abattu par un policier dans des circonstances floues. Selon la police, l’officier qui se promenait en famille aurait voulu mettre fin à une bagarre entre deux adolescents, quand, pris pour cible par des jets de pierre, il aurait sorti son arme pour se défendre. La Mahash, la police des polices israéliennes, affirme que l’homme a tiré sur le sol, et que c’est en ricochant que la balle aurait atteint Tekah. Mais pour la communauté des « falashas », terme péjoratif utilisé au départ par les Ethiopiens non juifs, la mort du jeune garçon est une bavure policière. Selon les médias israéliens, l’officier ne sera pas poursuivi pour homicide. [scald=26729745:sdl_editor_representation] A Ezorim, un petit groupe de jeunes ressasse les faits, assis devant l’un de ces immeubles ocre aux climatiseurs apparents, répliqués par dizaines dans le quartier. Aucun d’entre eux ne croit la version de la police, qu’on accuse de vouloir étouffer l’affaire. Yossi, 24 ans, son service militaire fraîchement terminé, s’insurge. « Ils ont récupéré les vidéos des caméras de surveillance de tout le quartier, ils n’ont qu’à les rendre publiques. » « Bibi ne s’est pas déplacé ! » Ouvrir une enquête externe aux forces de police pour faire la lumière sur cette affaire, voilà la première demande de cette communauté d’environ 150.00 personnes, arrivées pour la plupart dans les années 1980 et 1990 en Israël. Car depuis la mort du jeune homme, des milliers de personnes manifestent à travers le pays – principalement des jeunes – bloquant les grands axes routiers pour dénoncer le racisme dont ils se considèrent victimes au quotidien. « Quand on chante, on ne nous écoute pas. Donc on crie » explique Efrat Yerday, présidente de l’association des Juifs éthiopiens d’Israël, contactée par téléphone. Au pied de l’immeuble, une jeune femme s’insurge, dénonçant un racisme généralisé de la classe politique israélienne. « Bibi (NDLR : Binyamin Netanyahou) ne s’est pas déplacé au chevet de la famille. A la place, il a fait une vidéo pour nous dire d’arrêter de bloquer les routes ! » [scald=26729747:sdl_editor_representation] Ici, les médias israéliens sont très mal vus, accusés d’accentuer la violence des rassemblements et d’alimenter le ressenti des autres Israéliens à leur égard. « Le lendemain des manifestations les plus violentes, à mon travail tout le monde me disait : pourquoi tu as fait ça ?! » raconte ainsi Yoav Tourner, chauffeur routier. Cette semaine, un chauffeur de taxi, visiblement désireux de se faire justice lui-même après avoir été bloqué par une manifestation, aurait choisi de se venger en séquestrant deux heures un garçonnet dans son taxi. « Nous connaissons nos droits » « Des manifestations de Juifs éthiopiens, ça fait depuis les années 1990 qu’on en voit. » Arrivé en Israël à l’âge de 13 ans, Yoav Tounach est de cette « première génération » née en Ethiopie. Depuis qu’il a foulé le sol israélien, 11 jeunes hommes d’origine éthiopienne ont été abattus par les forces de police. Après « des années de silence », il espère que la mort de Solomon Tekah va faire changer les choses. « Nous sommes à un tournant » assure Yossi, dont les parents sont également venus dans les années 1990. Lui, est né ici. « Je fais le service militaire, je suis prêt à donner ma vie pour mon pays et je ne devrais rien attendre en retour ? Nos parents étaient trop silencieux, ils avaient peur. Nous, on sait qu’on n’a rien à perdre, nous sommes Israéliens et nous connaissons nos droits. » [scald=26729746:sdl_editor_representation] Le racisme qu’il évoque est protéiforme. Dans la rue, tout est affaire de couleur de peau. « En moyenne, la police me contrôle trois fois par semaine » raconte le jeune homme qui n’a pas oublié la petite phrase de Roni Alsheich, chef de la police, en 2016. Lors d’une conférence de presse, il avait jugé « normal » que les Israéliens d’origine éthiopienne soient automatiquement considérés comme suspects, au même titre que les Palestiniens d’Israël. De peur de subir un contrôle, passé 20h, Yossi évite de sortir de chez lui. Discriminations multiples Sur son banc, il énumère les discriminations dont il a été victime. « A l’armée, on m’a déjà interdit de préparer le repas, en me disant que sinon, il ne serait pas casher. » Car le racisme est aussi une affaire de religion dans ce pays où les autorités religieuses ont reconnu tardivement la judéité de cette communauté souvent pointée du doigt comme n’étant pas « réellement juive. » Impossibilité de se marier selon le rabbinat ou d’inscrire son enfant dans une école religieuse, les difficultés causées par ce racisme qui ne dit pas son nom sont pléthoriques. Devant l’immeuble, Yossi s’apprête à quitter le reste de la bande. « Nous ne demandons rien de plus qu’un traitement égal aux autres citoyens. »

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