Von der Leyen à la Commission européenne: un grand oral réussi, sur le fond comme dans la forme

Quelles sont les véritables innovations, et quels sont les manques ou faiblesses les plus frappants de son programme ? Passage en revue. Les nouveautés 1 L’action climatique En termes d’ambitions, von der Leyen propose des avancées notables par rapport à l’état actuel des choses décidé par les 28, et même par rapport aux thèses défendues par la Commission Juncker. La présidente désignée place cet enjeu comme priorité absolue de son mandat. Elle annonce ni plus ni moins qu’elle présentera, dans les 100 jours de son entrée en fonction, un « green deal », qui convertira en loi européenne le rehaussement des ambitions climatiques. L’objectif final reste de faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone en 2050. Mais elle remonte l’objectif intermédiaire des réductions des émissions en 2030 à 50 % (plutôt que 40 % actuellement), voire même 55 % (un geste vis-à-vis des Verts). Ursula von der Leyen soutient cet objectif avec des moyens concrets : l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, l’activation par la Banque centrale européenne de mille milliards de fonds à investir dans l’économie verte, et la création d’un Fonds de transition juste pour soutenir les pays ou régions moins avancés en la matière. [scald=26743412:sdl_editor_representation] 2 L’égalité hommes-femmes Ouvrant son discours sur une référence appuyée à l’exemple de Simone Veil, première femme il y a quarante ans à avoir présidé le Parlement européen, Ursula von der Leyen a l’intelligence de ne pas se limiter à se gargariser de la perspective d’être la première femme à diriger la Commission européenne : elle fait des promesses concrètes, qui ne peuvent que ravir les progressistes. L’Allemande assure qu’elle dirigera un collège composé paritairement d’hommes et de femmes, ce qui n’est pas partie gagnée, car elle devra probablement forcer la main à certaines capitales. La présidente non encore élue annonce aussi qu’elle veut inscrire la violence faite aux femmes sur la liste des crimes européens. Cette mesure permettra en pratique d’arrêter une définition commune et des sanctions pénales minimales pour ces crimes qui sont actuellement punis trop diversement à travers l’UE. 3 Le social La Commission Juncker est créditée d’avoir fait progresser l’Europe sociale – alors que c’est une compétence qui reste largement du ressort des Etats – notamment en ayant fait adopter un Socle européen des droits sociaux. Von der Leyen promet de mettre en œuvre cette charte qui n’est formellement qu’un engagement non législatif de l’UE, et elle propose en ce sens une grande innovation, dont il avait déjà été question timidement : la création d’un Système européen de soutien aux allocations de chômage qui viendraient en aide à des Etats frappés par des chocs économiques externes. Von der Leyen, qui a été ministre de la Famille et des Affaires sociales avant de passer à la Défense, veut aussi assurer mettre en place un cadre de salaire minimal, notamment pour assurer que les travailleurs précaires des nouveaux secteurs (l’économie collaborative) soient assurés d’un salaire permettant des conditions de vie dignes. 4 Progrès institutionnels A un Parlement profondément meurtri et frustré de s’être vu complètement mis de côté par les capitales dans la procédure de désignation des hauts dirigeants de l’UE – mais il en est aussi responsable – von der Leyen promet de contribuer à améliorer le processus des « spitzenkandidaten » (les candidats des partis européens pour la présidence de la Commission) en intégrant l’idée des listes transnationales que son propre parti le PPE (droite modérée) avait pourtant fait échouer dans la perspective des élections de 2019. Elle propose que ce projet soit élaboré par une « Conférence sur le futur de l’Europe » qui durerait de 2020 à fin 2021, mais qui devrait aboutir sur cette première question déjà pour l’été 2020. Par ailleurs, la présidente désignée a repris à son compte une proposition de Manfred Weber, le chef de groupe PPE qui avait été le candidat malheureux de ce parti à la présidence de la Commission : reconnaître au Parlement le droit d’initiative législative. Explication : dans le système européen, seule la Commission a le droit de proposer des législations, les colégislateurs que sont le Parlement et le Conseil (les Etats) n’ayant que le droit de les amender et les approuver. La question d’attribuer le droit d’initiative au Parlement est traditionnellement très clivante : les petits Etats (dont la Belgique) ont toujours considéré que la Commission est la mieux placée pour défendre l’intérêt commun, tandis que les jeux politiques (nationaux ou idéologiques) marquent beaucoup plus les actions du Parlement ou du Conseil. La France, sur ce point, a d’ailleurs traditionnellement été très orthodoxe également. Concrètement, von der Leyen propose de mettre en œuvre cette nouveauté sans modifier les traités : simplement, en acceptant que toute proposition législative votée majoritairement par le Parlement sera ensuite endossée et élaborée par la Commission. Les manques et faiblesses du programme von der Leyen. Les Verts, un peu mal pris par le degré d’ambition de la candidate présidente en matière climatique, ont eu vite fait de constater que von der Leyen a quasiment passé sous silence le problème de la biodiversité, et surtout celui de la Politique agricole commune, qui dans sa forme actuelle est tout sauf favorable à l’action climatique et à la biodiversité… Le chapitre sur le virage de l’économie vers le numérique, l’intelligence artificielle mais aussi la stratégie de renouveau industrielle, est quant à lui également extrêmement faible. En matière de migration, von der Leyen propose un nouveau « Pacte » sur le sujet, mais sans avancer autre chose que des formules convenues sur la nécessité de la solidarité européenne. « Vous proposez un nouveau Pacte, mais ce pacte existe : il a été approuvé par ce Parlement, allez le défendre auprès des Etats ! », a lancé à la candidate Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts. Enfin, rien sur le projet de grande stratégie pour le développement de l’Afrique, qui est pourtant devenue l’un des axes prônés par les 28 pour gérer à long terme les causes profondes de migration africaine. Mais von der Leyen a toutefois réussi a plaquer sur ses propositions assez vagues en la matière, une touche personnelle témoignant, au moins, d’une fibre solidaire. La candidate a raconté comment, il y a quatre ans, elle et sa famille ont accueilli un réfugié syrien qui ne parlait pas l’allemand et était apeuré. Aujourd’hui, parlant couramment tant l’allemand que l’anglais, il est devenu un animateur et un exemple de sa communauté en Allemagne, et « rêve de retourner dans son pays ». Enfin, sur l’Etat de droit mis à mal dans des pays comme la Pologne, la Hongrie, et la Roumanie (l’énumération n’est pas d’elle !) et pour le respect duquel elle n’acceptera « aucun compromis », Madame von der Leyen annonce qu’elle complétera la panoplie actuelle prévue par les traités d’un nouveau mécanisme. Mais là non plus, rien de concret, ont déploré de nombreux eurodéputés… Très heureuse de ne pas pouvoir compter sur votre soutien », a répliqué au député parlant pour le groupe Identité et Démocratie la candidate, visiblement satisfaite de ne pouvoir être attaquée sur ce front. Les populistes italiens des Cinq Etoiles lui ont pour leur part bien apporté leur soutien. Mais ces 14 voix, au demeurant fort utiles, sont sensiblement moins compromettantes que celles, que des extrémistes de droite.

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