Yaël Nazé, astrophysicienne de l’ULiège, sur la mission Apollo XI: «Des retombées nées de la maîtrise d’un environnement foncièrement hostile»

Le point sur les retombées terrestres de la conquête de l’espace avec Yaël Nazé, astrophysicienne de l’ULiège et auteure de nombreux ouvrages de vulgarisation dont « Voyager dans l’espace » (CNRS Editions). Pourquoi la conquête spatiale génère-t-elle des retombées si importantes sur Terre ? Parce que tout ce qui touche au spatial est, par définition, très compliqué. Et davantage encore quand il s’agit de vols habités comme ceux du programme Apollo. Il faut se remémorer le défi : faire voyager des astronautes dans une boîte de conserve de quelques mètres cubes à peine, dans laquelle ils doivent respirer, boire, manger, dormir, dans un environnement totalement hostile où la moindre erreur est fatale, entraînant la mort avec certitude. De petites imperfections qui sont acceptables sur Terre sont donc totalement proscrites dans l’espace : s’il y a une mauvaise bactérie dans la nourriture sur Terre, c’est embêtant, mais si cela arrive dans l’espace, c’est catastrophique. C’est dans ce contexte qu’est née, par exemple, la certification HACCP qui gouverne désormais les normes de sécurité dans l’industrie alimentaire. Ces retombées sont-elles le fruit d’inventions ou plutôt le résultat d’optimisation de technologies en raison des contraintes que vous évoquez ? Elles sont le plus souvent le résultat d’une réponse à un problème, précis, posé par l’exploration spatiale. Des matériaux ignifuges d’un genre nouveau ont été mis au point à la suite de l’incendie catastrophique d’une capsule Apollo, en janvier 1967, au cours duquel ont péri trois astronautes. Les technologies d’absorption des chocs, utilisées dans les chaussures de sport actuelles, sont nées de l’inquiétude qu’un astronaute se torde la cheville en posant le pied sur la Lune. Des technologies de résistance au feu, utilisées dans les bâtiments, sont nées de la nécessité de protéger la capsule lors de sa rentrée dans l’atmosphère. Les bouées de flottaison qui entouraient la capsule dès son amerrissage ont servi de base à la conception de canots de sauvetage plus performants dont la Nasa affirme qu’ils ont depuis lors sauvé la vie de milliers de marins. Toutes ces technologies, comme celles de filtrage de l’eau qui sont aujourd’hui utilisées dans les piscines par exemple, existaient donc, mais leur potentiel a été maximisé par le programme Apollo. Plus globalement, sans l’espace, nous n’aurions donc pas… ? S’il est une retombée sans laquelle nous ne vivrions pas de la même façon aujourd’hui, c’est la navigation grâce aux satellites, comme le GPS. Le système s’arrête, les avions ne volent plus, entre autres conséquences. Sans la conquête spatiale, nous n’aurions qu’une connaissance très imprécise de la météo, mais aussi des changements climatiques. Pour mesurer le réchauffement des océans ou la fonte des glaces aux pôles, on aurait pu continuer à procéder par sondages. Nous avons désormais une vue globale, en temps réel, de tout ce qui se passe sur le globe. Sans l’espace, nous n’aurions pas connu certains développements actuels dans l’imagerie médicale, comme ceux nés dans le sillage des efforts informatiques déployés pour remédier à la myopie du télescope Hubble, par exemple. [scald=26742942:sdl_editor_representation] Que peut-on encore en attendre ? Le meilleur, sous la forme des prochaines missions habitées vers Mars notamment pour lesquelles on ne parle plus d’un voyage de quelques jours mais de plusieurs mois. Le défi est immense puisqu’il faudra pousser le recyclage (de l’eau, de l’air…) jusqu’à ses plus extrêmes limites, par exemple. Nul doute que ces technologies trouveront à s’appliquer sur la Terre qui n’est elle-même, fondamentalement, qu’un vaisseau spatial aux ressources limitées. Mais le pire ou, en tout cas, le plus inquiétant, peut aussi prendre la forme d’une exploitation à outrance, d’une appropriation par des intérêts purement privés, profitant de l’impossibilité actuelle d’améliorer les traités internationaux régulant ce domaine. Soyons cependant de bon compte : le programme Apollo lui-même n’avait pas été concocté pour la science mais répondait avant tout à des impératifs géopolitiques… Si l’homme est allé sur la Lune et s’il continue d’explorer l’espace, c’est donc essentiellement dans une perspective utilitariste ? Si un pays comme la Belgique continue de contribuer au financement de l’Agence spatiale européenne (ESA, NDLR), c’est parce qu’il est assuré de bénéficier de retombées sous la forme de contrats pour ses entreprises mais aussi pour ses chercheurs et ses universités. La dimension économique est donc incontournable mais, heureusement, la science y trouve aussi son intérêt. Tout ce qui est développé pour l’espace ne l’est pas dans une perspective de rentabilité à court terme. Si c’était le cas, il n’y aurait plus d’exploration mais uniquement de l’exploitation.

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