Quand une militante de la lutte pour le climat argumente avec un défenseur du charbon

Les choses commencent mal pour moi. Le débat n’a pas encore débuté que mon interlocuteur cherche déjà à me déconcerter. Le matin du rendez-vous convenu à la gare centrale de Cottbus, j’appelle Jens Taschenberger. Je souhaite simplement lui demander s’il viendra me chercher sur le quai ou s’il m’attendra dans le hall principal. Jens Taschenberger se montre surpris : « Comment ça ? Vous venez aujourd’hui ? » Alors que je vois s’écrouler tout mon programme de la semaine, il ricane dans le combiné : « Je vous ai eue. C’est bien aujourd’hui. Un à zéro pour moi, Madame Kaiser. » Pour moi, cette journée va s’organiser comme une expérience. Une rencontre avec des personnes dont j’ai du mal à comprendre les avis ou les modes de vie. Nous allons avoir des discussions difficiles, remettre en question notre propre point de vue. Car, en Allemagne, les gens ont trop souvent tendance à parler les uns des autres et non les uns avec les autres lorsqu’il est question de thèmes controversés. Ils restent avec leurs filtres. Mais ce n’est pas comme ça qu’on résout les problèmes. Au contraire. Cela ne fait que creuser encore davantage le fossé qui divise la société. [scald=26743241:sdl_editor_representation] J’étais emballée à l’idée d’une confrontation avec ce partisan du charbon. Mais maintenant que je suis dans le train, je ne suis plus si sûre de moi. Jens Taschenberger m’a déjà fait comprendre clairement qu’il avait bien l’intention de gagner. Des profils très différents Notre sujet de discussion : la protection du climat. Et nos positions ne pourraient pas être plus différentes. Selon moi, nous n’avons pas de mission plus importante que celle d’empêcher une catastrophe climatique. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est sans équivoque : c’est au cours de la prochaine décennie que va se décider si la vie vaudra la peine d’être vécue sur Terre à l’avenir. Pour empêcher certaines parties de la planète de devenir inhabitables, l’humanité devra réduire de moitié ses émissions de CO2 d’ici à 2030 et les ramener à zéro d’ici à 2050 – cela signifie qu’il faudra compenser les émissions inévitables, notamment par le reboisement. Ce dont l’Allemagne a besoin, selon moi, c’est d’une politique climatique forte, qui sera capable de prendre des décisions pénibles, comme la sortie du charbon. Jens Taschenberger, quant à lui, est le porte-parole de l’initiative citoyenne Pro Lausitz e.V., qui souhaite empêcher la sortie du charbon. Il qualifie les gens comme moi d’« hystériques du climat ». Comme il l’a récemment écrit dans un article, « dans notre société d’abondance, la protection du climat s’impose de plus en plus comme une religion du bien-être intangible, une sorte de question de foi. » En bref : Jens Taschenberger et moi ne nous connaissons pas, mais nous nous considérons mutuellement comme des cinglés. [scald=26743237:sdl_editor_representation] Il m’accueille à la gare par une chaude journée d’été. Il a une poignée de main ferme et prend immédiatement les commandes. Il a tout un programme. Nous allons d’abord nous rendre jusqu’à son bureau, à pied. Je pensais qu’il me ferait remarquer à quel point ce choix était respectueux de l’environnement, mais il n’en est rien. Pour Jens Taschenberger, je suis l’image typique de la protectrice du climat, ça relève presque du cliché : 40 ans, sans enfants, sans voiture, un appartement dans le centre-ville de Berlin, un emploi fixe et une situation financière stable. Lui, en revanche : 47 ans, quatre enfants, un minibus roulant au diesel, une petite maison dans la banlieue de Cottbus, indépendant. Son entreprise de cinq salariés produit des magazines locaux financés par la publicité et organise des salons du mariage et des cérémonies de confirmation civile. Avec une telle vie, explique Taschenberger, il ne peut pas se permettre de céder à l’« hystérie climatique ». La crainte du couperet « Ce sont toujours les plus gros salaires de la ville qui votent pour les Verts », affirme-t-il. En fin de compte, c’est facile de militer en faveur de la protection du climat quand ce sont les autres qui en font les frais. « Combien d’éoliennes y a-t-il à Berlin ? » Il a raison. Personne ne construira une éolienne devant mon balcon. La sortie du charbon coûtera des milliers d’emplois à la Lusace, mais pas un seul à Berlin. [scald=26743238:sdl_editor_representation] Je me demande brièvement si je ne suis pas une imposteuse. Mais je ne mange quasiment pas de viande, même si j’adore les steaks. Bien sûr, quand il pleut ou gèle, je préfère moi aussi me déplacer en voiture plutôt qu’à vélo. Depuis un certain temps, je prends le train à la place de l’avion et quand il m’est impossible d’éviter un trajet en avion, je le compense sur atmosfair.de. Je ne suis pas une guerrière écolo, mais je me fais de sérieux soucis pour l’avenir de notre Terre. Si je veux la préserver, ce n’est pas que pour moi, mais également pour les quatre enfants de Jens Taschenberger, par exemple. Le bureau de Taschenberger se situe dans un loft en briques, aménagé dans une ancienne usine de Cottbus. Ses deux cadets, sa fille de 12 ans et son fils de 15 ans, l’attendent sur place. Pour leur âge, tous les deux en connaissent un rayon sur la politique énergétique. Ils ne participent pas aux manifestations Fridays for Future – mais à Cottbus, presque personne n’y participe. Leur père ne souhaite pas que je les cite. Il veut protéger ses enfants. La protection du climat suscite beaucoup d’émotions chez les gens, mais ce ne sont pas toujours les meilleures. Il y a quelques mois, deux pasteurs évangélistes ont appelé au boycott des magazines de Taschenberger car ils n’appréciaient pas la façon dont il défendait l’exploitation du lignite. Le vieux minibus de Taschenberger est stationné devant son bureau. La climatisation est cassée et c’est très bien comme ça. Nous sortons de la ville avec les vitres ouvertes. Malgré le bruit, il me raconte qu’après la réunification, il s’est engagé pendant deux ans auprès de la Bundeswehr à l’Ouest. « Lorsque je suis rentré, toute l’industrie avait été réduite à néant. Dans beaucoup de villes, la moitié de la population avait disparu. » A l’époque de la RDA, quelque 100.000 personnes travaillaient dans l’industrie du charbon de la Lusace. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 8.000. Jens Taschenberger est inquiet : « Si ces emplois disparaissent à leur tour, la région ne le supportera pas. » Les alternatives à la traîne Il gare son bus. Nous faisons face à une immense plaine. Sur place, une ancienne mine à ciel ouvert a laissé place à une steppe poussiéreuse. Là où je vois une nature dévastée, il voit de l’espoir : dans quelques années, le plus grand lac artificiel d’Allemagne devrait voir le jour ici : l’Ostsee – un lieu de loisirs avec un port de plaisance, des plages aménagées et tout ce qui va avec. De l’autre côté de la mine, s’élèvent les cheminées fumantes de la centrale à charbon de Jänschwalde. En 2038 au plus tard, tout cela ne sera plus que de l’histoire ancienne, car la dernière centrale à charbon d’Allemagne aura alors été déconnectée du réseau. La Commission sur la sortie du charbon s’est mise d’accord sur ce point en janvier dernier. [scald=26743242:sdl_editor_representation] « Même si ce sera un coup dur pour la Lusace », lui dis-je, « si l’Allemagne veut atteindre les objectifs climatiques fixés, elle devra sortir du charbon. » Trente pour cent de toutes les émissions de CO2 à l’échelle internationale sont liés à la combustion de charbon. Aucune autre industrie n’est autant responsable du réchauffement terrestre que celle du charbon – c’est ce qui ressort des calculs de l’Agence internationale de l’énergie, qui n’a jusqu’à présent jamais fait preuve d’un militantisme écologique exacerbé. Jens Taschenberger plisse le front. Il déclare : « La sortie du charbon n’apportera rien au climat si nous ne pouvons pas garantir la sécurité des approvisionnements avec l’énergie solaire et éolienne. » Lorsque la première manifestation Fridays for Future a été organisée à Cottbus en mars dernier, Taschenberger a appelé à arrêter temporairement les centrales à charbon dans un communiqué de presse de « Pro Lausitz ». Pour permettre aux étudiants de voir à quoi ressemblerait leur vie sans électricité produite à partir de charbon. Cette action, il l’a organisée pour réveiller la population : pour lui, le tournant énergétique n’a pas apporté grand-chose de positif pour l’instant et a surtout coûté beaucoup d’argent. Sur ce point, je lui donne raison. Le développement de centrales éoliennes et solaires est à la traîne. Mais je vois d’autres solutions. Je rétorque : « Le gouvernement fédéral devrait simplifier les procédures d’autorisation afin que les exploitants n’aient pas à se battre pendant des années contre les initiatives citoyennes à chaque construction d’une nouvelle éolienne. » Taschenberger hoche la tête. Ce n’est pas faux, dit-il. « Je ne pense toutefois pas que le gouvernement le comprenne. Au lieu de cela, nous préférons acheter de l’électricité produite à partir de charbon en Pologne. » [scald=26743239:sdl_editor_representation] Deux décennies et des subventions Nous remontons dans le bus. Pour l’instant, nous nous sommes montrés courtois l’un envers l’autre. Je trouve qu’il est tout doucement temps de dire les choses clairement. « Monsieur Taschenberger, nous n’avons plus le temps de réfléchir. Si l’Allemagne ne respecte pas ses objectifs climatiques, pourquoi la Chine ou la Pologne le feraient-elles ? » Je suis peut-être un peu trop véhémente. Taschenberger me dit qu’il retrouve là précisément l’hystérie dont il parlait plus tôt. « Je ne remets pas en doute le changement climatique provoqué par l’homme, mais les chiffres du Giec reposent sur des motivations politiques. » Moi : « Ce sont des théories du complot. Le Giec se compose de milliers de scientifiques originaires du monde entier et travaillant à titre bénévole. » Lui : « Mais ils ne font que des prévisions, et ça ne me convainc pas. » La tension monte d’un cran, je lui demande alors s’il dirait à son médecin que son diagnostic ne lui convient pas – juste parce qu’il ne lui plaît pas. Jens Taschenberger lève les mains du volant en signe d’apaisement. « Bien sûr que non, pour qui me prenez-vous ? » Il essuie la sueur sur son front, arrête le moteur et dit : « Nous allons maintenant faire un peu de luge pour nous défouler. » Devant nous, une piste de luge sur rail entièrement déserte. Manifestement, personne n’a envie de dévaler les pentes par cette chaleur. Avant que la piste ne descende en spirale, on profite d’une vue dégagée sur la centrale. « C’est joli, non ? », crie Taschenberger derrière moi alors que j’entame la descente. [scald=26743243:sdl_editor_representation] En bas, dans le refuge qui se révèle tout aussi désert que la piste, il me dit que, sur le papier, la situation pour la Lusace n’est peut-être pas si mauvaise que ça. Avant la sortie du charbon, la région a encore presque deux décennies devant elle pour implanter de nouvelles industries, attirer des entreprises et créer de nouveaux emplois. Le gouvernement fédéral a promis à la Lusace 20 milliards d’euros de subventions pour qu’elle puisse faire face à ce changement structurel. Un terreau pour l’extrême droite Mais il y a un problème : « Les gens ont déjà été trompés une fois. » On leur avait promis des paysages florissants, mais au lieu de cela, ils sont des centaines de milliers à avoir perdu leur emploi. « La génération qui s’est à l’époque retrouvée au chômage dans la force de l’âge vit désormais dans la pauvreté. » Jens Taschenberger a analysé les résultats des élections européennes sur la carte du pays. Le parti d’extrême droite AfD prospère partout où les industries se sont effondrées après la réunification. « Dans la région, les gens ne croient plus du tout en la politique et ne s’attendent pas non plus à profiter de paysages florissants cette fois-ci. » Le plus tragique dans l’histoire, c’est qu’il s’agit probablement d’une prophétie visionnaire. « Plus les gens voteront pour l’AfD, moins les investisseurs s’établiront ici. Ils pensent déjà tous que nous sommes des nazis du charbon. » [scald=26743240:sdl_editor_representation] Il arrête de parler et me regarde l’air épuisé. Et je commence à comprendre. En réalité, nous ne sommes pas si différents que ça, car nous avons tous les deux très peur. Même si cette peur concerne des choses très différentes. Lorsque nous nous saluons à la gare, nous sommes toujours les mêmes que le matin : deux personnes avec des positions très différentes. L’expérience a-t-elle échoué ? Aucun de nous n’a réussi à rallier l’autre à sa cause. « Il ne faut pas trop en demander », déclare Taschenberger. Nous nous sommes écoutés et c’est déjà un grand pas. Je pense que nous sommes d’accord là-dessus.

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