Au Louvre, le délicat déménagement de la Joconde

Branle-bas de combat au Louvre. En ce mardi - le 16 juillet, NDLR -, jour de fermeture hebdomadaire, le musée déménage sa principale icône : La Joconde. Bénéficiant d’un mécénat d’Axa, la salle des États, dont elle est habituellement le joyau, entre en effet dans sa phase principale de rénovation. Déjà la quarantaine de toiles du lieu, principalement de grands chefs-d’œuvre du XVIe siècle vénitien, ont été décrochées. Depuis mars, une sélection est présentée passage Mollien (aile Denon, premier étage, salle 713), le reste se trouvant en réserve ou en laboratoire. Exception a toutefois dû être faite pour Les Noces de Cana de Véronèse. D’un trop grand format (677 × 994 cm), son cadre fixé au mur retiré, le monstre sera protégé de la poussière et de la chaleur des travaux grâce à un coffrage de bois construit spécialement. Jusqu’à la mi-octobre Monna Lisa (avec deux « n », contraction de « madonna », et non un seul car « mona » désigne en italien ancien les organes génitaux féminins) est, elle, visible depuis mercredi dans la galerie Médicis, l’une des plus vastes salles du palais musée, située au deuxième étage de l’aile Richelieu (salle 801) et dotée de quatre accès. Cela jusqu’à la fin du chantier, mi-octobre. « La Joconde aura retrouvé son emplacement principal pour l’exposition « Léonard de Vinci » du 24 octobre 2019 au 24 février 2020 », confirme le directeur du département des peintures, Sébastien Allard. Et de rappeler la nécessité de l’opération. « Le Grand Louvre et la pyramide ont 30 ans ; et la salle des États telle qu’on la connaît date de 2005. Durant cette période, la fréquentation du musée a connu une croissance extraordinaire, faisant plus que doubler en 30 ans. De nouveaux grands travaux sont donc menés. Ils concernent, depuis 2014, 17.579 m² d’espaces muséographiques et 16.520 m² d’espaces d’accueil et de bureaux. Soit plus de 34.000 m² ». [scald=26747607:sdl_editor_representation] La salle des États, qui est la salle la plus visitée, a été jugée d’évidence particulièrement encrassée et usée. L’éclairage va y être intégralement renouvelé. Y compris la lampe Toshiba 34 LED qui éclaire La Joconde. Les planchers ont souffert des pas de 15.000 à 20.000 personnes les martelant chaque jour d’ouverture. Le stuc des murs de couleur terre-de-Sienne, lissé puis ciré, a jauni. Il présente des fissures ainsi que d’innombrables traces et rayures dues aux frottements. Une double vitrine Par ailleurs, si cette couleur terre-de-Sienne convient à La Joconde, elle ne sied guère à la palette vénitienne. « On a donc choisi de la changer et la nouvelle dominante sera complètement différente pour mieux la faire chanter », avance le responsable. Il refuse d’en dire plus pour l’instant, art du suspense oblige. En attendant, galerie Médicis, La Joconde prend ses quartiers d’été dans une vitrine climatisée et sécurisée, copie conforme de celle de la salle des États. Ce « coffre-fort » anti-attentats qui a coûté 25 millions de francs en 1998 est en effet scellé. La seconde vitrine, spécialement fabriquée, permet, pour la première fois depuis 2005, de sortir la belle de sa « zone de confort ». Normalement, même son examen annuel de santé s’effectue à l’intérieur de son « bocal » à garde-corps, sans quitter la salle des États. [scald=26747606:sdl_editor_representation] Pour ce tableau, tant de précautions ne sont pas inutiles. Le portrait de Lisa Gherardini (1479-1528), épouse de Francesco del Giocondo, peaufiné par Léonard jusqu’à ce qu’il devienne image de la beauté idéale, a été peint sur un panneau de bois de peuplier très mince. Celui-ci s’est courbé et présente une fente nettement visible au dos, côté gauche. Quelques heures au dehors de son environnement protecteur et la crevasse s’élargit… Une grande expérience En janvier dernier, la précédente ministre de la Culture, Françoise Nyssen, avait balayé d’un revers de manche cette donnée tandis qu’elle annonçait un « grand plan d’itinérance vers les régions » d’œuvres d’art dans laquelle elle imaginait assez bien d’inclure Monna Lisa… Son successeur est revenu à plus de prudence. Chez les conservateurs, chacun respire. Il n’y a guère de risque pour qu’on revoie un jour se profiler de grandes tournées décidées directement par l’Élysée telles celles de 1963 et de 1974 qui ont mené le portrait vers New York et Washington pour l’une et Moscou et Tokyo pour l’autre. [scald=26747604:sdl_editor_representation] Le Louvre rappelle en outre qu’il bouge bon an mal an plus de mille peintures du fait des prêts accordés. On mesure par ce chiffre l’expérience que l’institution a des déplacements sensibles. « Nos installateurs déplacent en permanence des tableaux certes moins célèbres mais parfois tout aussi fragiles. Constat d’état, décrochage, transport puis accrochage et à nouveau constat d’état : le protocole fixe est rigoureusement appliqué », rassure Sébastien Allard. Le ballet des « petites mains » Depuis mercredi soir, La Joconde voisine donc, non plus avec les toiles des autres grands maîtres italiens mais avec Rubens, autre génie européen, du baroque flamand celui-là. Il n’est pas sûr que l’harmonie soit au rendez-vous, la solution adoptée étant avant tout pratique. Monna Lisa nuira même certainement à la délectation du cycle de Marie de Médicis qui recouvre les quatre murs de la galerie depuis 1900. Sa nouvelle vitrine isotherme et antichoc (le chef-d’œuvre a dans le passé non seulement été volé mais également vandalisé) occultera même, du propre aveu de Sébastien Allard, Le Débarquement de la reine à Marseille, ainsi que deux autres morceaux de bravoure de cette série à l’origine commandée par l’épouse d’Henri IV pour son palais du Luxembourg. [scald=26747605:sdl_editor_representation] Quoi qu’il en soit, pour cette opération, les gens au travail ne se sont pas limités aux conservateurs ou aux convoyeurs chargés d’acheminer La Joconde par monte-charge et par chevalet roulant après l’avoir placée dans une caisse antichoc. D’autres mains de la régie se sont activées en changeant les centaines de flèches signalétiques et autres panneaux d’orientation dans les allées du Louvre. D’autres encore ont remplacé les plans disponibles aux bornes d’accueil, modifié le site Internet, les consignes de sécurité nécessaires aux pompiers par exemple. Certains enfin informent les tour-opérateurs… Des mécaniciens se tiennent même en alerte afin que les escalators conduisant au deuxième étage de l’aile Richelieu ne tombent jamais longuement en panne. Une soixantaine de salariés seraient impliqués au total, en ce jour où l’on croit faussement que le vénérable Louvre peut se reposer de la surfréquentation estivale.

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