Charline Van Snick: «Un divorce, c’est très violent sur le plan mental»

A 334 jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo 2020, la planète judo -qui réunit un record de 149 nations et 870 athlètes- a rendez-vous, dès ce dimanche, au célèbre Nippon Budokan pour ses 37es championnats du monde, la troisième fois seulement dans la capitale de l’Empire du Soleil Levant (après 1956, 1958 et 2010). Alors que l’on a enregistré les absences, pour blessures, d’Anne-Sophie Jura (-48 kg) et Toma Nikiforov (-100 kg) et la… retraite inattendue de Joachim Bottieau (-90 kg), onze Belges seront en compétition. Dont l’inévitable Charline Van Snick. Charline, comment s’est passée votre préparation ? Après les Jeux européens de Minsk en juin, j’ai eu besoin de faire une vraie pause. J’ai fait l’impasse sur le Grand Prix de Montréal et le stage au Canada. Je suis partie quatre jours en Ardèche. Pour me vider la tête, analyser la situation, trouver des solutions et des pistes pour repartir vers l’avant. Il y a eu le stage international à Tata (Hongrie) début août puis le stage de Jodoigne avec, tout le mois de juillet, énormément de travail avec ma cellule parisienne. Avec une élimination dès le premier tour à l’Euro en Biélorussie face à l’Azérie Gultaj Mammadaliyeve, seulement 51e mondiale, vous avez pris une méchante gifle avec cette disqualification (3 pénalités) après plus de sept minutes de combat ? Ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait. Même si j’espère que c’est la dernière (rires). En sortant du tatami, il y a avait beaucoup d’incompréhension, j’étais plus dans l’initiative qu’elle. Selon moi, je la marque deux fois de manière très nette. J’ai revu la vidéo, c’est assez percutant d’où ce gros sentiment d’injustice… L’arbitrage reste (trop) souvent au cœur des débats à l’instar du VAR dans le football où la part d’interprétation reste importante. Difficile à accepter ? Premièrement, on n’a pas trop le choix. La vidéo est, en principe, présente pour améliorer l’arbitrage. A Minsk, les arbitres ont jugé que j’avais fait une fausse attaque. C’est vrai que je n’aurais pas dû la lancer surtout que j’étais très dominante dans la prise du kimono. J’aurais dû trouver une solution plus rapide. La preuve que, malgré mon âge et mon expérience, je dois encore et toujours apprendre de mes erreurs. Une défaite doit toujours servir de force. La remise en question fait partie de vos qualités de judokate ? En passant à autre chose, il faut aussi tenir compte de la situation à l’instant présent. Je suis cinquième mondiale en -52 kg. A part l’Euro, je suis montée sur le podium à La Haye (or), au Masters (bronze), au Grand Chelem d’Ekaterimbourg (bronze) et au GP de Zagreb (bronze). Je n’ai pas volé ma place. Il n’y a aucun esprit de revanche si ce n’est sur moi-même. A Minsk, j’avais aussi eu de gros problèmes pour faire le poids. Je crois que mon corps commence à se plaindre de dix années impitoyables de régime. Après les Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, vous aviez franchi la barrière en passant de -48 à -52 kg… La meilleure décision sportive de ma vie. Ce n’était plus possible à vivre. Même courir devenait une douleur sans nom. Alors ne parlons pas du travail sur le tatami. J’ai trouvé tous mes repères dans la catégorie. J’ai dépassé plusieurs barrières, je suis bien à ma place et l’objectif est toujours d’être la meilleure. Etre la plus forte pour vous, c’est être N.1 mondiale ? Non, le but ultime, c’est l’or olympique dans un an à Tokyo. J’y pense nuit et jour. Le classement n’est jamais qu’une conséquence d’un bon résultat. Mais je préfère les médailles, c’est surtout ce que l’on retient. Etre N.1 c’est juste une période déterminée alors qu’un titre, c’est pour la vie. Alors l’or olympique, c’est entrer dans l’éternité… Un championnat du monde au Japon est-ce vraiment spécial ? Sur le tatami, c’est toujours un simple face à face. Les deux Japonaises (NDLR : Ai Shishima au CM 2017 et Uta Abe au CM 2018) seront évidemment galvanisées. Il faut juste bien rester dans sa bulle. Au Japon, il y a d’abord le respect du judoka, on encourage d’abord son athlète, on ne hue pas l’adversaire. Ce n’est pas le Brésil où on fait tout pour te déstabiliser. Il faudra prendre l’initiative, ne pas avoir de regret. Etre déjà qualifiée pour les Jeux (5e dans un ranking qui enverra les 18 premières à Tokyo 2020), est-ce un atout ? Mon but n’est pas de simplement me qualifier pour les Jeux. Disons que cela engendre moins de stress et surtout que cela me permettra une meilleure préparation sans devoir courir après les points nécessaires. A l’image de plusieurs athlètes féminines -comme Nafissatou Thiam en athlétisme- vous revendiquez ouvertement le droit à une vraie reconnaissance de votre statut de femme ? Oui, j’ai des muscles. Oui je suis une fille. Oui, je suis une combattante. Oui, je me sens femme jusqu’au bout des ongles. Mon corps est le reflet de ma santé, il montre ma motivation et ma détermination, comment chaque jour je repousse mes limites. Vous n’hésitez jamais à montrer votre sensualité. Le plus surprenant, c’est que ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui s’imposent ces pressions. Que tu sois mince, athlétique, pulpeuse, ronde, musclée, blanche, noire, peu importe. Se sentir bien dans sa peau commence par accepter son apparence. Apprends à te sentir bien dans ton corps, peu importe sa taille ou sa forme. Sois libre, sois qui tu veux et aime toi comme tu es. Le judo pratique déjà l’égalité au niveau du prize-money, loin des repères du tennis évidemment où une défaite (!) au premier tour à Flushing Meadow rapporte… 50.000 €, alors que la médaille d’or à Tokyo vaut 23.500 €. C’est une preuve de reconnaissance ? Tout à fait. Mais n’oublions pas que la durée initiale d’un combat que ce soit pour les femmes ou les hommes reste de quatre minutes avec possibilité d’un golden score. Et l’investissement au niveau de la préparation est le même. Sur le plan privé, au printemps, vous n’aviez pas évoqué votre divorce au moment d’aborder l’Euro. C’était pourtant une vraie excuse ? J’essaye de toujours faire la part des choses entre mon statut d’athlète, ma vie sociale et ma cellule privée. Cela a été une période très compliquée de ma vie. Une séparation, c’est très violent sur le plan mental. Il était très important d’être bien entourée, bien conseillée. Il était essentiel d’être à nouveau bien dans ma tête pour m’entraîner et, j’espère, performer. Aujourd’hui, vous avez retrouvé cette stabilité et… l’amour ? Je l’espère. C’est un Français. Il s’appelle Mathias, c’est un spécialiste de jiu jitsu brésilien. Il a déjà deux enfants. C’est un bon apprentissage pour moi (rires). C’est un investissement tellement différent dans la vie d’un couple. Il faut savoir beaucoup plus écouter et surtout… partager.

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