Le prothèse du pied qui valait des millions

On a tous dans la tête une image de vieux pirate claudiquant sur une pique en bois pour remplacer son pied perdu dans une bataille acharnée. Mais saviez-vous que depuis le pied en bois du pirate et la prothèse proposée actuellement aux personnes amputées sous le genou, il n’y a quasiment pas eu d’évolution ? La plupart des prothèses de cheville conçues pour la marche sont fixes, simplement recouvertes d’un latex imitant le pied. Reproduire le mouvement de la cheville est en effet extrêmement complexe. Pourtant, dans son petit laboratoire, un doctorant en robotique de la VUB a trouvé un mécanisme permettant d’imiter au mieux l’articulation de la cheville. L’espoir d’une mobilité améliorée pour des milliers de patients. L’histoire a débuté voici 12 ans. Pierre Cherelle entame son doctorat en robotique. Il se retrouve dans un groupe spécialisé en revalidation des membres inférieurs de la VUB. « Ils travaillaient principalement sur des prototypes d’exosquelettes et de prothèses et étaient assez avancés au niveau mondial, explique l’entrepreneur. C’est fascinant de voir à quel point une telle technologie peut améliorer le quotidien des gens. A la fin de mon doctorat, j’avais plusieurs prototypes de cheville bionique fonctionnels. On m’a alors proposé de poursuivre le travail en vue de le produire. Il s’agissait pour moi d’une opportunité unique ». Une question de mécanisme Pour Pierre Cherelle, tout est une question d’ingénierie : « Pour un genou, le principe est très simple : il s’agit d’un simple ressort. Pour une cheville, il faut donner l’impulsion de la marche. Cette articulation est la plus complexe du corps humain. L’articulation de la cheville est extrêmement compliquée à imiter afin de rendre une marche naturelle à un amputé. Aucune technologie présente sur le marché ne le permet à ce jour ». Concrètement, lors de la marche, une cheville génère beaucoup d’énergie et prendre un seul moteur ne suffit pas. « Si on n’utilisait qu’un moteur, il serait trop volumineux pour être incorporé dans une prothèse. Notre solution à ce problème est de combiner un moteur avec des ressorts et un mécanisme de roue libre. Cette innovation en robotique est aujourd’hui également enrichie par de l’intelligence artificielle, ce qui la rend absolument unique au monde ». [scald=26829225:sdl_editor_representation] Le premier prototype intéresse les lecteurs de la thèse de l’entrepreneur. La VUB lui demande de poursuivre les travaux mais aussi de déposer des brevets, notamment parce que deux des lecteurs provenant de la Chine et des États-Unis semblaient très intéressés par cette nouvelle technologie. Actuellement, seule une dizaine de groupes de recherche dans le monde travaillent sur le sujet. A cette étape, la prothèse est viable au niveau conceptuel mais elle doit encore être améliorée au niveau technique. Il faut évidemment miniaturiser l’objet : cela se fait généralement assez rapidement, car réduire des circuits est une technique bien connue. La difficulté résulte dans le fait qu’il faut que le pied puisse fonctionner parfaitement pendant 3 ans (durée de vie moyenne d’une prothèse de membre) et parcourir les 10.000 pas quotidiens recommandés par les médecins. « Le challenge de la durée de vie de la prothèse est crucial, reconnaît Pierre Cherelle. L’important pour nous est de garantir, une performance et une sécurité maximale ainsi qu’un confort optimal pour le patient. L’objectif d’Axiles Bionics est d’amener de meilleures prothèses bioniques sur le marché à des prix plus abordables ». Mélanger robotique et intelligence artificielle Voici deux ans, Pierre Cherelle lance un appel mondial pour trouver un associé qui pourra travailler sur l’intelligence artificielle. Finalement, il le trouvera dans l’immeuble d’à côté : il s’agit de Felipe Gomez Marulanda, spécialiste en intelligence artificielle. « Aujourd’hui, ce sont les patients qui s’adaptent à leur prothèse. Nous avons pour objectif que cela soit la prothèse qui s’adapte à la démarche du patient. La combinaison de nos compétences en robotique et en intelligence artificielle nous a permis de développer un prototype qui, contrairement à tout autre appareil sur le marché, est capable de rendre une démarche et une posture naturelle aux patients. Elle permet également de s’adapter et d’assister ce dernier lors de ses efforts en compensant les muscles de la jambe perdue ». Une viabilité économique Si aujourd’hui le pied d’Axiles Bionics est bien avancé, il faut aussi que la start-up ait les moyens de continuer ses travaux. « Les premiers essais sont très satisfaisants. Néanmoins nous devons encore améliorer notre produit avant de le commercialiser. Pour ce faire, nous devons assurer la viabilité financière de la société ». L’entrepreneur se lance donc dans une recherche tout aussi complexe : celle du financement. [scald=26829226:sdl_editor_representation] En juin 2017, grâce au programme Lifetech de Hub.brussels, la société obtient 1.500 euros en remportant le MedTech award. Ce programme d’accélération de dispositifs médicaux met en avant des entrepreneurs qui innovent dans le secteur médical. Il s’agit là d’une reconnaissance de la part de la Région bruxelloise envers le projet. Cette récompense donne un nouvel argument pour aller chercher des investisseurs. Fin janvier de cette année, Axiles Bionics voit officiellement le jour avec 4 fondateurs. Aux deux doctorants se sont ajoutés un spécialiste des finances et une spécialiste des homologations médicales. « Nous avons de la chance, car une prothèse n’est pas invasive et reste avec un agrément de type 1 pour les dispositifs médicaux ». D’ici la fin de l’année, la start-up souhaite faire une levée de fonds plutôt conséquente mais Pierre Cherelle préfère rester discret sur le montant, car il faut dire que l’enjeu est de taille. En Europe de l’ouest, environ 45.000 pieds sont vendus chaque année et, rien que pour la Belgique, il faut compter entre 900 et 1.200 prothèses par an. Si tout va bien, le premier pied bionique bruxellois devrait être commercialisé en 2022. S’il marche bien Axiles Bionics pourrait devenir la prochaine licorne belge. [scald=26829213:sdl_editor_representation]

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