Le Pierre de Fermat, le navire qui veille sur l’Internet

La longue silhouette blanche du Pierre de Fermat, 101 mètres de long pour 27 de haut, se dresse dans le port de Brest. C’est un navire pas comme les autres, appartenant au club très fermé des câbliers. Il est beaucoup moins bruyant qu’un lanceur de satellites, mais les câbles qu’il pose au fond des océans ou qu’il répare sont les véritables autoroutes de l’Internet mondial. Le Pierre de Fermat est un des six navires câbliers de la flotte d’Orange. Il est aussi le plus récent, construit il y a trois ans, représentant un investissement de 60 millions d’euros pour Orange. « Cela faisait quinze ans qu’un câblier n’était plus sorti d’un chantier naval. Depuis, deux autres ont été construits ; l’un est japonais, l’autre, émirien », relate Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux chez Orange. [scald=26835933:sdl_editor_representation] Ecoconçu, avec sa coque au design hydrodynamique, sa peinture antisalissure non toxique, son équipement électrique pour être raccordé au courant à terre… Le Pierre de Fermat est un modèle du genre. Il embarque jusqu’à 3.500 tonnes de câbles à son bord. Le chargement de cette cargaison est en soi tout un art. Il est posé dans une cuve profonde, dans laquelle il est roulé à bras d’hommes avant d’être posé au fond des océans, jusqu’à 5.500 mètres sous le niveau de la mer. Ses cuves pleines, le Pierre de Fermat part pour des campagnes de deux mois, avec l’océan Atlantique pour terrain de jeux. C’est la zone la plus densément couverte en câbles sous-marins. Mais c’est aussi le théâtre d’une intense compétition. Facebook y a déployé son câble baptisé « Amitiés » et Google a le sien, baptisé « Dunant ». [scald=26835932:sdl_editor_representation] La pose d’un câble sous-marin commence sur une plage, là où la liaison avec les infrastructures terrestres se fait. Une embarcation fait le lien entre le rivage et le navire. Celui-ci met alors le cap sur le large, laissant filer le câble derrière lui, avec suffisamment de longueur pour qu’il repose au fond de la façon la plus rectiligne possible, suivant un tracé prédéfini et optimal. Le câble est posé, voire enfoui. Le Pierre de Fermat dispose aussi de sa charrue. Cet engin de trois mètres de haut est mis à l’eau quand nécessaire. Son soc trace un sillon au fond duquel le câble est « ensouillé », selon l’expression consacrée. La tranchée varie de 60 centimètres à 1,20 mètre. L’ensouillage est un excellent moyen de protéger le « tuyau » des accidents : crochetage par des chalutiers, des activités de pêche, mais aussi, des actes de malveillance. [scald=26835934:sdl_editor_representation] Si la pose de câbles bat son plein, la réparation constitue l’essentiel de l’activité des câbliers. L’équipage du navire est disponible 365 jours par an, il peut appareiller en moins de vingt-quatre heures pour partir en opération. Le rôle de ces infrastructures est tel qu’il faut qu’elles soient rétablies dans les plus brefs délais. Près de la moitié des 380 câbles enfouis sous les mers sont réparés chaque année. Les ruptures sont parfois naturelles, dues à des tremblements de terre. Elles sont souvent du fait de l’homme. Lorsqu’un câble est pris dans le chalut d’un bateau de pêche, le plus simple pour son équipage est de le couper – en dépit des interdictions en vigueur – pour se libérer. Les cartes marines indiquent les tracés de ce réseau, mais cela n’évite pas les accidents, et encore moins les sabotages. Et contrairement à une légende bien ancrée dans les esprits, « les requins ne s’attaquent pas aux câbles sous-marins », s’amuse Jean-Luc Vuillemin. Et pour cause, ces infrastructures sont très robustes. Les fibres optiques qui constituent l’âme du câble sont entourées de plusieurs structures en acier et d’une couche de matière plastique, le polyéthylène. La fibre est là pour transmettre les données, bien à l’abri dans sa gaine de protection. Plus les câbles sont proches des rivages, plus ce « blindage » est épais. Pour retrouver un petit câble dans de grandes profondeurs, le Pierre de Fermat peut compter sur Hector, un submersible téléguidé. Le câble défectueux est remonté au moyen d’un grappin. Il est hissé sur le pont par un puissant treuil, et tiré jusque dans l’atelier de réparation. Il est parfois nécessaire de sectionner le câble pour ôter la partie défectueuse. Un nouveau segment vient raccorder les deux extrémités. Une coque de protection entoure les endroits où les nouveaux raccordements ont été effectués. Une fois la réparation faite, le câble est plus long qu’à l’origine, son tracé rectiligne est donc un peu plus sinueux. Au fil des réparations, les trajectoires des câbles les plus anciens serpentent au fond des mers. Ces câbles ne se dégradent pas dans l’eau de mer, et dans certains endroits deviennent des refuges pour la faune et la flore.

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