Emilio Ferrera, l’invité du samedi: «Au Standard, j’étais assis entre deux chaises»

Après un passage à Anderlecht et un autre au Standard, Emilio Ferrera (52 ans) a filé au grand-duché du Luxembourg pour retrouver un poste de T1. À Dudelange, il continue son chemin tortueux, toujours guidé par la même passion. Comme souvent, il devra rebâtir une équipe qui a réussi à atteindre, pour la deuxième année consécutive, les poules de l’Europa League. Comment avez-vous abouti à Dudelange ? C’était un concours de circonstances. Normalement, j’étais au Standard pour trois ans. Mais la presse a annoncé qu’un nouvel assistant allait arriver sans que je sois au courant. Cela a entraîné certains contacts à l’extérieur. Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce projet ? Premièrement, je n’avais pas mille possibilités. Deuxièmement, il faut savoir que le projet qui me lie à Dudelange n’est pas unique puisque le propriétaire est également celui de Virton et de Kaiserslautern. Je suis donc rentré dans un projet global. La première phase porte sur la campagne européenne de Dudelange, mais aussi la restructuration du club puisque pratiquement tous les joueurs sont partis à Virton et que je dois composer avec 26 nouveaux joueurs. Comment avez-vous vécu cette fin prématurée au Standard ? Je pense que c’était inévitable. Je n’avais pas l’impression de contribuer à mettre en place certaines choses, que ce soit avec l’équipe première ou les jeunes. C’était le bon moment de se quitter. Qu’est-ce qui a conduit à votre remplacement comme adjoint ? Ni le Standard ni Michel Preud’homme ne voulaient que je parte. Que les choses soient claires. Mais le rôle dans lequel ils me voyaient aurait été difficile à tenir dans la mesure où cela aurait été perçu comme une rétrogradation. Je n’aurais plus vraiment été en équipe première sans être vraiment chez les jeunes où je n’aurais pas eu la mainmise. J’étais un peu assis entre deux chaises. J’ai connu cela à Anderlecht. Quand ce n’est pas clair, je préfère m’en aller. Mais pourquoi quitter ce rôle de T1 bis ? On a dit que les joueurs n’étaient pas trop favorables à ma présence. Durant toute votre carrière, vous avez connu autant de partisans que de détracteurs dans vos vestiaires… Quand je signe dans un club, je ne peux pas garantir de résultats. Mais par contre, je suis capable d’améliorer les joueurs. Mais pour cela, il y a des sacrifices à faire. Les joueurs n’en sont pas toujours conscients et il faut quelqu’un qui leur fasse comprendre cela. Le vestiaire du Standard avait été trop habitué à s’autogérer sous Sa Pinto ? Ce n’était pas facile. C’était un vestiaire habitué à fonctionner d’une autre façon. Il n’y avait que Michel Preud’homme, par sa notoriété et sa légitimité, qui pouvait réussir à faire avaler cette exigence quotidienne. Mais ne vous a-t-il pas envoyé au casse-pipe ? N’avez-vous pas eu l’impression de faire le sale boulot ? On l’avait déjà fait ensemble en Arabie saoudite. Parfois, je me dis que j’aurais dû être le confident ou le grand copain des joueurs ?… mais je n’aurais alors pas été d’une grande utilité dans le projet. Vous saviez donc, en commençant, que vous auriez le mauvais rôle ? Oui. Je savais pertinemment bien que si ça ne marchait pas, c’était parce que les entraînements auraient été jugés trop tactiques. Que manquait-il au Standard 2018-2019 ? Il y avait un constat : les matchs en déplacement étaient catastrophiques. À quoi était-ce dû ? Il y avait un contraste énorme entre le Standard à domicile et en déplacement. Le public de Sclessin est énorme. Tu commences la saison avec des supporters qui te garantissent un certain nombre de points car ils t’injectent une dose d’adrénaline, de dynamisme et d’intensité. Mais il y avait une autre facette : que faire quand ils ne sont pas là ? Et là, il y avait un gros problème. Les équipes championnes ces dernières années sont celles qui ont une identité de jeu, qui sont reconnaissables. Et le Standard de l’année passée ne l’avait pas encore car ça prend du temps. Un an auparavant, vous aviez aussi connu une fin de parcours abrupte avec Anderlecht… Certes, mais si on se concentre sur les faits, il suffit de se demander combien de joueurs sont passés de l’équipe réserve à l’équipe première après s’être entraînés avec moi ? Huit ! Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire du club. La séparation était inévitable ? Oui, à partir du moment où je suis arrivé avec Roger Vanden Stock et Herman Van Holsbeeck et que la reprise du club a été actée. Mais c’est incroyable d’avoir laissé partir celui qui est à la base du passage d’autant de joueurs. Si j’étais le repreneur, j’aurais au moins parlé avec lui. Certes, je ne suis pas le seul responsable de l’éclosion de ces jeunes, mais c’est quand même incroyable que cela arrive cette saison-là ! Pourquoi n’était-ce pas arrivé les dix saisons précédentes ? Avez-vous eu un entretien individuel avec Marc Coucke ? Non, jamais. Il m’a simplement envoyé un SMS pour me féliciter du titre de champion des U21. Avez-vous l’impression que la philosophie actuelle du RSCA, de tout miser sur la jeunesse, est la bonne ? Je pense que c’est une mauvaise approche. Ils ont le bon projet au niveau du style de jeu. Mais cela ne doit pas être lié à la jeunesse. Il ne faut pas lier un projet à la jeunesse mais à une philosophie. Et celle-là, je la trouve bonne. Est-elle développable avec autant de jeunes sur le terrain ? Oui, à partir du moment où on a jugé ceux qui jouent meilleurs que les autres. Mais on ne rend pas service aux jeunes en leur disant : « Tu joues parce qu’on mise sur les jeunes. » Il faut leur dire : « Tu joues parce que tu es le meilleur. » C’est beaucoup plus valorisant et efficace. Le problème n’est pas tant la quantité de jeunes que leur philosophie de jeu. Cette façon de jouer prend du temps et, à Anderlecht, tu n’as pas le temps. Quel est le risque de cette philosophie de jeu ? Arriver à contrôler le match, on y arrive assez vite quand on dispose d’une bonne équipe. Mais le plus gros problème auquel Anderlecht est confronté actuellement, c’est que cette possession de balle ne se traduit pas en occasions de but. Tu contrôles mais tu ne fais pas mal. Pour contrôler, faire mal et le faire de manière régulière, c’est un chemin plus compliqué et très long. Et là où c’est dangereux, c’est que, quand l’équipe est moins bien, elle n’a pas d’alternatives. Des jeunes anderlechtois lancés dans le grand bain, quel est celui dont l’évolution vous plaît ? J’ai beaucoup aimé le football de Saelemaekers et je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi il ne joue pas. Pour moi, c’est un joueur qui va aller loin au poste de latéral. Pas à un autre poste. Avant que j’arrive, il était plutôt médian offensif, sur le flanc et parfois, il ne jouait pas ! Mais quand on regardait ses statistiques, elles étaient trop faibles. Mais comme il a de la course, de la technique et un bon jeu de tête, la position de back droit était intéressante dans un schéma où le latéral a de la liberté. Et cela s’est vérifié. Dans le schéma de Kompany, le latéral a une autre fonction… Oui, il vient toujours se positionner comme médian défensif. Mais quel est l’intérêt de mettre le latéral en demi-défensif s’il est capable d’occuper le rôle de l’ailier ? Au lieu de faire rentrer le back dans l’entrejeu, pourquoi ne pas faire rentrer l’ailier ? Est-ce que le départ de Bornauw vous a étonné ? Non. Sa gestion du ballon n’est pas celle que cette philosophie exige. Mais c’est un défenseur central intéressant qui n’a pas les défauts de sa taille. Il est grand mais rapide et bon dans les duels. J’ai pris un plaisir fou à entraîner ces U21. Je crois que je n’ai jamais aussi bien joué qu’avec cette équipe. La philosophie de Kompany ressemble beaucoup plus à celle que j’ai essayé d’implanter à Neerpede. C’est ça le paradoxe, c’est que je serais mieux là-bas maintenant qu’à l’époque où j’y étais. Et il ne faut surtout pas voir cela comme un appel du pied. Quand vous regardez dans le rétroviseur, comment jugez-vous votre carrière ? J’ai le souci de transmettre, d’apprendre et d’emmener dans mon sillage. Je ne l’ai pas trop mal fait. N’avez-vous pas marre du monde du foot ? Je regrette parfois de ne pas avoir mon sort en main, mais c’est une vraie passion. Je suis allé entraîner Dender, dernier de D3 alors que je venais d’être licencié de Genk. Pourquoi ? Parce que j’aime le foot. J’aime le fait de transmettre une idée, une vision et une méthodologie. Cette image d’entraîneur tacticien, cela vous a dérangé ? L’inventivité et la créativité m’ont toujours attiré et motivé. Bien au-delà du côté relationnel et people management. Je ne dis pas que ce n’est pas important, mais chacun interprète son métier à sa manière.

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