François Damiens au «Soir»: «Je suis incohérent»

Un mensonge peut-il sauver un homme ? Comment reprend-on espoir dans la vie ? Julien Rappeneau, fils du réalisateur Jean-Paul Rappeneau, entré dans le métier en tant que scénariste de Bon voyage en 2003 avant de passer à la réalisation en 2015 (Rosalie Blum), a choisi de se mettre à hauteur d’enfant pour son deuxième film et raconte l’histoire d’un gamin qui invente un gros mensonge pour redonner de l’espoir à son père. Si la toile de fond est le foot pour y croiser toutes les couches sociales et y amener les rêves des jeunes et des parents, la vraie préoccupation du réalisateur est d’explorer le rapport père-fils. Et dans le rôle du père défaillant, il n’a pas eu d’hésitation : son choix s’est immédiatement porté sur François Damiens. Il nous a expliqué pourquoi. « François est extrêmement riche comme acteur. Je cherchais quelqu’un qui a une capacité à être dans des registres différents tout en étant très charismatique. François peut passer du rire à l’émotion dans la même séquence tout en restant tout le temps vrai. Il dégage à merveille le côté à la fois incontrôlable et profondément humain du personnage. Quand il m’a dit oui pour le rôle, j’étais très content car ce que j’avais écrit seul dans une chambre commençait à s’incarner. J’aime François car on sent en lui une forme de fragilité, une sensibilité à fleur de peau alors qu’il a un physique solide. » Sur le plateau, tout s’est fait en douceur. « C’est quelqu’un qui est à l’écoute, dans le dialogue constructif. On s’est très bien entendus, il a compris ce que je cherchais, ce que je voulais comme ton tout de suite. Moi, j’ai une écriture précise. Or François aime improviser. Donc une fois que j’avais obtenu ce que je cherchais, je lui laissais une prise en liberté. Il pouvait se libérer du texte. Et nourrir les scènes d’après. Ponctuellement, au montage, il m’est arrivé de prendre ces prises-là ! » Une façon de le défrustrer de l’avoir tenu qui convient parfaitement à l’acteur belge qui avoue avoir parfois été malheureux d’être trop cadré. Eviter la caricature du mec bourré Après avoir fumé une cigarette, François Damiens nous rejoint et lance : « J’attache plus d’importance à la rencontre qu’au scénario. Car un scénario peut évoluer, s’étoffer en cours de route. Mais si ça ne colle pas avec le réalisateur dès le début… Quand j’ai rencontré Julien, j’ai eu l’impression qu’on se connaissait depuis toujours. Il a une humilité, une générosité, un respect des autres qu’on trouve rarement dans ce métier. On sent qu’il se remet en question, fait attention à son équipe, à nos propositions mais il tient bien la barre. Il sait où il va. » L’acteur belge poursuit en parlant avec tendresse de son personnage. Car s’il a déjà incarné pas mal de pères à l’écran, c’est la première fois qu’il endosse le rôle d’un parent au bout du rouleau, bien loin de son rôle de transmetteur. « Mon personnage s’est abandonné et donc s’est fait abandonner par tout le monde sauf par son gamin, son fils unique. J’ai fait pas mal de films sur la transmission. Ici, on est dans la retransmission, c’est le fils qui reprend le rôle que son père n’assume plus. Cela m’a touché. Quand quelqu’un ment, c’est soit pour se protéger, soit pour protéger l’autre. La question est de savoir jusqu’où on peut aller pour protéger l’autre… Et personnellement, je crois que c’est au cas par cas. » Il revient plus précisément au personnage : « J’avais juste une appréhension, c’est de jouer l’alcoolique car j’avais peur de basculer dans la caricature du mec bourré. On est dans une comédie donc je ne pouvais pas faire trop pathos, il fallait que j’allège à certains moments. On en a parlé pour arriver à un personnage crédible et pas indigeste. » Julien Rappeneau précise qu’au début du film, le personnage insupporte pas mal de monde mais « il faut quand même qu’il reste attachant. Et ça, ça doit être sur le fil. François, on lui autorise cela, d’avoir des fausses notes. » François Damiens confirme : « J’ai essayé de l’humaniser au maximum pour qu’on ait envie qu’il s’en sorte. Dès les premières scènes, je sens si j’ai le personnage. Ici, je l’ai tenu quand j’ai senti qu’il s’humanisait et donnait envie qu’on le prenne dans les bras alors qu’il est complètement à la dérive. » Quant à sa complicité avec le jeune Maleaume Paquin, elle fut « naturelle, instinctive, immédiate, évidente ». Face à un rôle, on se demande toujours la part du vrai et du faux, ce que l’acteur donne de lui-même ou invente. François Damiens affirme ne pas être un père défaillant dans la vie mais concède ne pas être infaillible. « N’importe quel père peut avoir des moments où il n’est pas à la hauteur de ce qu’il devrait être. Oui, je me dis parfois que je dois faire attention, que je pourrais glisser un peu… Impossible d’être un exemple 365 jours par an. Il y a des jours où on est à côté de la plaque. L’important, c’est de se reprendre. Il ne faut jamais rien lâcher. À travers leurs questions, mes enfants peuvent parfois essayer de me donner un petit coup de barre en me faisant remarquer que ce que je leur dis est paradoxal : tu nous enseignes des valeurs et l’heure d’après, tu fais le contraire. C’est vrai, par définition, je suis complètement incohérent dans ma façon d’être, de vivre. J’explique puis je montre le contraire… En ça, le personnage de Fourmi me touchait. » Quand on est petit, on voit grand Sur l’affiche du film, on peut lire : « Quand on est petit, on voit grand. » Être acteur, réalisateur, faire l’artiste n’est-il pas une manière de continuer à voir grand ? Nous posons la question. « Quand j’étais enfant, le cinéma était ma passion. On en parlait beaucoup à la maison, je passais mon temps à raconter des histoires et à imaginer ce que cela deviendrait. Ensuite, j’ai refoulé cela un temps avant de me reconnecter à cette envie avec l’émerveillement de faire ce métier », raconte Julien Rappeneau. Enfant, François Damiens rêvait de faire de la comédie. « Pas spécialement du cinéma mais un métier sans chef – j’ai toujours eu un problème avec les liens de subordination. Surtout pas un métier de routine car je me lasse très vite. » Il avoue avoir ouvert de grands yeux le premier jour de tournage avec André Dussollier. Pas question pour lui de banaliser l’instant, plutôt l’envie de savourer. « J’essaie de garder ce regard et de tout faire pour être à sa hauteur. Le jour où je ne serai plus impressionné, il sera temps d’arrêter. Je fais attention de ne pas trop enchaîner, de ne pas faire le film de trop pour garder le plaisir d’y revenir. » François Damiens a enchaîné les tournages depuis la sortie de son propre film Mon ket. On le verra dans les mois à venir dans Le prince oublié, de Michel Hazanavicius, avec Omar Sy, dans Mon cousin, de Jan Kounen, avec Vincent Lindon, dans le nouveau Samuel Benchetrit, avec Vanessa Paradis… « J’ai pas mal tourné comme acteur et là, j’aimerais réécrire un film mais pas dans la veine de Mon ket. Et j’aimerais refaire des caméras cachées pour la télévision. Repartir avec François l’Embrouille en France. Cela fait 5-6 ans que je ne l’ai plus fait… Il y a une demande. L’envie est là, je passerais simplement plus de temps au maquillage… » François Damiens continue de voir grand.

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