Les fortunés: quand un club devient propagande étatique

City, une stratégie globale et du sportswashing Quand vous vous dirigez du centre-ville à l’Etihad Stadium, vous ne pouvez pas les manquer. L’énorme bâche qui cachait le chantier a été enlevée. Les logements sociaux flambant neufs, financés par la famille royale d’Abu Dhabi, propriétaire de Manchester City, se dressent tels des symboles de l’emprise du cheikh Mansour Ben Zayed Al Nahyan sur la ville du Nord de l’Angleterre. Donnant-donnant. En quelque sorte. [scald=26980093:sdl_editor_representation] Le cheikh se fait accepter dans la communauté en se donnant une bonne image, le club montre qu’il perpétue sa tradition sociale, puisque même avant sa période de gloire et de richesse, les Citizens avaient toujours soutenu des projets caritatifs ou des écoles, et la ville reçoit une aide financière non-substantielle, lui permettant de respecter ses engagements sociaux. Perpétuer une tradition tout en polissant son image. Une donnée primordiale à City. Car l’achat de Manchester City par Abu Dhabi a été profondément réfléchi. Dès 2007, soit un an avant le rachat du club, Abu Dhabi désirait baser son développement sur trois pôles : le tourisme, sa compagnie d’aviation (Etihad) et le sport. L’achat de City n’est ni une danseuse, ni une œuvre de charité. Il répond à une stratégie bien définie, faisant du club un instrument de politique étrangère, un exercice de soft power et une tentative de laver par le sport l’image du pays, ce que les Anglais appellent le sportswashing. « Le but consistait à donner la vision d’une nation globale, dynamique, accueillante, construite sur les valeurs traditionnelles du Golfe », écrivent Joshua Robinson et Jonathan Clegg dans le livre « The Club ». « Ils se fichent du football et du sport. Ils s’intéressent au pouvoir et à l’argent. Et c’est pour cela qu’ils s’intéressent au football. Acheter un club est une façon d’embellir leur image, de s’attirer les énormes bénéfices qu’apporte le foot en termes d’influence, le tout pour un coût relativement faible », clame haut et fort, Nicholas McGeehan, chercheur à Human Rights Watch et spécialiste des pays du Golfe. Mais c’est une arme à double tranchant, comme l’affirmait Simon Pearce, président du C.A. de Manchester City dans un mail en 2013 : « Les vulnérabilités d’Abu Dhabi et des Emirats Arabes Unis seront exposées : homosexualité, richesse, femmes et Israël ». Le lien entre le club et l’Etat, Abu Dhabi étant un des émirats des Emirats Arabes Unis, est évident et pourtant si les Anglais ont longtemps évité de voir ce qui se cachait derrière la politique du club, c’est en grande partie à cause des résultats sportifs. Pour remporter le championnat, le cheikh Mansour a mis les moyens : 2 milliards d’investissement en transferts de joueur (dont 700 millions depuis l’arrivée de Guardiola). City a développé une culture d’entreprise poussée. Sans doute la meilleure actuellement de mise dans les clubs de foot européens. Le recrutement est étudié des mois à l’avance et le fonctionnement du club est pensé dans la globalité d’un groupe. Car autour de City, le directeur exécutif, Ferran Soriano, en place depuis 2011, a voulu créer une grande franchise (le City Football Group) comprenant plusieurs satellites. En dix ans, les propriétaires ont donc racheté sept clubs dans le monde entier censés accueillir et développer les meilleurs jeunes locaux et les renvoyer vers Manchester à un moment donné. Le sigle City a été accolé à tous ces clubs et le bleu ciel adopté comme couleur unitaire (Melbourne a dû changer ses couleurs historiques). Grâce à cela, les supporters locaux le deviennent également de City. Le meilleur exemple reste la création d’un club à New York baptisé New York City. Il répond à tous les critères voulus par Soriano : une ville réputée, une rivalité avec New York Red Bulls et un championnat en plein développement. « Pour les fans, c’est New York City ! Notre marque est parfaite pour cela parce que c’est le mot City qui reste en tête », avouait Soriano en 2014. C’est la même réflexion qui guide l’achat de l’équipe chinoise Sichuan Juniu. Si aux yeux de beaucoup, ce club n’est qu’une équipe de D3 chinoise, aux yeux des dirigeants, elle se trouve à Chengdu, une ville de 9 millions d’habitants, au milieu d’un réservoir inépuisable (le marché chinois). Depuis lors, on compte déjà 12 groupes de supporters de City dans 12 villes chinoises différentes. Quand le Qatar utilise l’image de la Ville-lumière Au Parc des Princes, la façade a été colorée aux exploits des légendes. Ici, malgré la jeunesse relative du club, et le manque d’exploits historiques, on a compris qu’il fallait capitaliser sur l’Histoire. A défaut d’en avoir, il faut faire croire qu’on en a une. [scald=26980094:sdl_editor_representation] En face, l’architecture originale du petit stade Jean Bouin, où évolue le club de rugby du Stade Français, lui fait pourtant de l’ombre. Il fallait bien cela pour exister et se faire remarquer face à l’ogre parisien qui écrase tout sur son passage. Car depuis l’arrivée des Qataris de QSI en 2011, le Paris Saint Germain est passé dans une nouvelle galaxie, gonflé au pétrodollar. Le voisin et rival des Emirats Arabes Unis a étudié le modèle City et a voulu le dupliquer à Paris. « Il y a clairement un avant et un après 2011. Pour le PSG mais aussi pour le Qatar. Avant, personne ne pouvait situer cet état sur une carte. Ce n’est plus le cas maintenant », explique Arnaud Hermant, journaliste à L’Equipe. « C’était l’objectif : Donner à cet état désertique une renommée internationale. » Car si la famille régnante d’Abu Dhabi n’a pas pu capitaliser sur la ville de Manchester, les propriétaires qataris du PSG ont compris que derrière le club, ils pouvaient se servir aussi de l’image de la ville, de son mélange de monuments historiques, de glamour et de mode. La Ville-lumière, cette cité la plus visitée au monde, cela sert dans les affaires ! Depuis 2011, le Qatar a donc complètement modifié la perception du club. Par des millions injectés dans l’équipe et des résultats sans cesse en progression mais aussi par une stratégie marketing à la fois agressive mais aussi très ciblée. « C’est l’image du luxe à la française que le club cherche à valoriser depuis le rachat par QSI », explique Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d’économie du Sport de Limoges. Un grand écart a priori très compliqué, tant le football ne colle pas au luxe mais davantage aux couches populaires, mais qui ne dénote pas dans la stratégie du Qatar qui, avant d’investir au PSG, avait racheté toute une série de grandes maisons mais aussi d’hôtels de luxe (le Royal Monceau) dans la capitale française. Le PSG a ainsi conclu toute une série de partenariats de niche (maison S.T. Dupont, une maison de luxe qui fabrique briquets, stylos et maroquinerie, mais aussi la marque de vêtements Koché, ou la création d’un concept store Colette). Le luxe, comme vecteur d’image, mais aussi les résultats. Car si le Qatar a investi au PSG, c’est avant tout pour devenir fréquentable et incontournable. Pour cela, il faut toucher le public et donc gagner le plus possible de matches. Sur le plan national, le PSG est devenu un ogre que plus personne n’ose et ne peut regarder dans les yeux avec 12 des 15 derniers trophées (championnat, coupe de France et coupe de la Ligue). Mais les déconvenues européennes, avec deux « remontadas » en trois ans, ont laissé des traces. Surtout en termes d’image. « En attirant Neymar, les Qataris avaient pourtant montré qu’un club français pouvait damer le pion au Real et au Barça. Mais au final, le transfert de Neymar s’est retourné contre eux. Ses blessures, l’histoire du viol, ses envies de départ, ses anniversaires ont été raillés », ajoute Hermant. Si, dans d’autres clubs, on aurait tendance à laisser passer l’orage, l’image est trop importante dans la stratégie qatarie pour ne pas en prendre ombrage. Une impatience dictée par leur obligation de réussite. Pour pouvoir devenir un acteur diplomatique fréquentable, le Qatar doit être perçu comme sérieux, gagneur et fiable. Mais surtout être visible partout dans le monde. C’est dans cette optique que le merchandising parisien se lance dans des stratégies parfois bien éloignées du football. L’année passée, le deal avec Michaël Jordan, star mondiale du basket, qui lui prêtait sa marque Air Jordan semblait bien incongru, les fans se demandant dans quelle pièce ils jouaient. Pourtant, ce maillot a été le plus vendu de l’histoire du club. Aujourd’hui, les vareuses du PSG s’écoulent à plus d’1 million d’exemplaire par an alors qu’en 2011, il ne s’en vendait que 60.000.

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