Be careful et No one Double effet kiss cool sur la scène

D’habitude, se gaver à l’apéritif est un mauvais calcul. Le reste du repas en est souvent gâché. Mais au théâtre, l’effet inverse semble se produire. La preuve aux Tanneurs où l’on a expérimenté la première soirée composée de la saison, soit une forme courte à 19h15 suivie d’une forme longue à 20h30. Au lieu d’en avoir l’estomac saturé, on en ressort l’esprit ragaillardi. [scald=27076647:sdl_editor_representation] Attention, qui dit « court » ne dit pas forcément « léger ». Avec Be careful , l’Indienne Mallika Taneja démarre la soirée en force dans un seule-en-scène qui démonte habilement les réflexes sexistes du quotidien, et cette manière qu’a la société de rendre les femmes responsables de la violence des hommes. Tout commence par une image paradoxale : entourée de foulards, de tee-shirts et de robes aux couleurs chatoyantes, méticuleusement ordonnés comme dans une échoppe des rues de New Dehli, Mallika Taneja apparaît entièrement nue. Crûment exposée à notre voyeurisme, elle nous défie du regard pendant de longues minutes avant de se lancer dans un monologue (en anglais surtitré) pétri d’allusions aux contradictions sociales à l’œuvre dans son pays, mais aussi en Europe. Tout en enfilant les habits qui l’entourent, comme un oignon qu’on rhabille, l’artiste égraine avec beaucoup d’humour ces règles et conseils que l’on assène aux femmes sous prétexte d’assurer leur sécurité. Métaphores de toutes les injonctions à la prudence, à la pudeur, à la retenue, ces couches de textiles qu’elle enfile, jusqu’à finir en Bibendum, pointent avec ironie les paradoxes de certains comportements. Ne pas circuler en ville seule après 18h00, porter des tenues décentes, anticiper les situations : c’est donc aux femmes qu’il appartient d’éviter les abus dont elles pourraient être victimes et non aux hommes de soigner leur attitude. « Si vous ne portez pas de pull et que vous attrapez froid, c’est votre faute, non ? », avance-t-elle, moquant les raccourcis patriarcaux d’une culture indienne qui attend d’une fille qu’elle fasse profil bas (tout comme sa jupe qui doit descendre au moins en dessous du genou) pour ne pas déshonorer ses parents, frères, oncles, voisins, grands-parents. Dans une logorrhée pleine de sous-entendus, Mallika Taneja trouve un ton drôle et cynique, bien plus efficace qu’une dénonciation frontale. [scald=27076646:sdl_editor_representation] Si l’on souligne aussi les dérives de la nature humaine et les errements du groupe face à l’individu dans No one , de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, le registre change radicalement. Spécialiste d’un théâtre non-verbal, le duo joue sur les mouvements, les sons et les effets visuels pour orchestrer une pièce tantôt comique tantôt glaçante. Comme on enferme des cobayes dans un laboratoire pour une expérience sociologique, les artistes balancent ici une meute de touristes égarés dans une station-service, au milieu de nulle part. Lâchés par le car, tombé en panne non loin de là, ces touristes passent en mode survie en attendant que quelqu’un les dépanne. Et c’est là que la pièce tourne doucement au film d’horreur. Impossible d’en révéler davantage, au risque de gâcher les surprises. Disons seulement que les mères de famille passent un sale quart d’heure, que certains finissent décapitées, que les rayons du magasin tournent au carnage et que la pompe à essence mettra de l’huile – du gasoil ? – sur le feu. Avec des gestes millimétrés, les cinq acteurs et dix figurants jouent entre suspense et étrangeté pour décortiquer les réactions d’une foule, la sauvagerie qu’elle peut entraîner, sa propension à désigner des boucs émissaires. Le tout avec une froideur terriblement clinique.

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