Des détectives à poil et à four rure pour rajeunir Disney

Quand Byron Howard et Rich Moore viennent présenter leur petit dernier à la presse, une histoire policière se déroulant au pays des mammifères, les deux Américains ne font pas les choses à moitié et se fendent dans la foulée d’une masterclass à destination d’un groupe d’étudiants. Tout ouïe, les étudiants, notamment quand il est question, images à l’appui, de Keep Alive, ce programme permettant d’animer 1.001 détails dans chaque image, tels que les ombres ou les feuilles d’un arbre. Les deux réalisateurs (Howard a notamment animé Lilo & Stitch et coréalisé Bolt, Moore a entre autres travaillé sur les Simpson), les deux réalisateurs donc sont accompagnés par le producteur Clark Spencer, parce qu’un nouveau Disney, un « classic » qui plus est, c’est du sérieux. Surtout quand on vient le présenter sur un continent où une vraie politique de coproduction soutient des films tout aussi sérieux. « Nous éprouvons une vraie admiration pour l’animation européenne, assure Spencer. En particulier parce qu’on donne une telle place à l’art dans ce qui est l’animation. Je crois que beaucoup de gens l’oublient trop souvent : on peut penser que l’animation n’est qu’un medium, un autre moyen de raconter une histoire, mais il y a là-dedans tout un processus de création artistique. Il n’y a ici rien de préexistant à filmer, il faut tout imaginer, créer à partir du début. » Qu’est-ce qui vous a le plus excités, à l’entame du film ? Rich Moore. Personnellement, mais comme pour bon nombre de gens du Studio, j’ai grandi avec des dessins animés et des films mettant en scène des animaux parlants, anthropomorphes. Et puis, ils ont disparu, en tout cas du secteur de l’animation traditionnelle en 2D. Ici, nous avions l’opportunité de prendre des personnages ayant le même ADN que, disons, ceux du Livre de la jungle, Robin des bois, dont je sais que c’est un film essentiel pour Byron, l’opportunité de leur donner vie pour la première fois dans notre studio, en CGI. De leur donner le look et les détails que les Nine Old Men, les animateurs classiques de Disney (NDLR : Les Clark, Marc Davis, Ollie Johnston, Milt Kahl, Ward Kimball, Eric Larson, John Lounsbery, Wolfgang Reitherman et Frank Thomas) n’ont pu que suggérer dans leurs dessins. Là, c’est la première fois que ces animaux ont pu être décrits comme ils sont exactement. Il a fallu cinq ans pour développer et terminer « Zootopie », ce qui peut paraître long selon les standards américains. L’accouchement a été difficile ? Byron Howard. C’est vrai que chez Disney, on compte plutôt deux ans et demi ou trois ans. Quand j’ai pitché Zootopie pour la première fois, c’était un film d’espionnage, avec des animaux. Et plus je le pitchais, plus on me répondait : « Non, l’aspect espionnage, ce n’est vraiment pas une bonne idée, on a tous vu James Bond. Mais il y a un truc dans votre film qui vaut le coup, c’est le premier acte, quand tous les animaux vivent ensemble dans une même ville. Ça, c’est quelque chose que nous n’avons jamais développé et c’est fascinant. Les animaux ont évolué, ils vivent ensemble, ils ont construit une ville, alors qu’y feraient-ils ? A quoi ressemblerait-elle ? » Et nous sommes partis là-dessus, sans caricaturer, en nous demandant vraiment comment une telle ville pourrait fonctionner en même temps pour les souris, les renards et les éléphants. Et nous avons passé un an à effectuer des recherches. De quel genre ? H. Sur l’architecture entre autres, pour voir comment l’homme a construit les villes. Nous sommes allés à Paris, Barcelone, Tokyo, Hong Kong, Los Angeles, San Francisco… Nous avons vraiment voulu devenir des « experts » de la question, et l’histoire vient de là : c’est à travers la découverte de la ville qu’elle se développe. Alors qu’au départ, j’avais une bête histoire d’animaux espions... Et puis on a trouvé nos deux personnages principaux, Judy et Nick. Un prédateur et une proie, qui ne font pas attention l’un à l’autre mais qui vont devoir passer outre, se trouver pour y arriver. Et pas de regret par rapport à l’idée du film d’espionnage ? Aucun ? H. Non, non ! L’histoire est devenue autre chose. Rich et moi sommes des fans de films noirs et des films de détective. J’aime ça autant que les films d’espionnage, donc non. En lui-même, Zootopie réclamait de devenir quelque chose d’autre. Et puis, chaque fois qu’un nouvel intervenant venait travailler sur le film, il y apportait ce qui le passionnait, lui, même sur le plan émotionnel. Du coup, le projet est devenu de plus en plus conséquent, et de plus en plus personnalisé à chaque fois. Toutes ces couches ont donné un film dense, riche, devant lequel des réalisateurs comme Rich et moi ne pouvons qu’être humbles. « Zootopie », c’est du Disney, mais c’est ce côté film noir qui le rend un peu différent de tout ce qu’on a déjà vu du Studio ? M. Nous plaisantions en nous disant que Zootopie serait pour pas mal d’enfants l’occasion de voir leur premier film de détective. Et puis qu’il pousserait peut-être l’un ou l’autre à devenir un bon flic… Plus sérieusement, oui, il est un peu différent, mais c’est l’emballage qui fait cet effet-là. Au cœur du film, il y a beaucoup de ce qui fait le standard des classiques. H. Prenez un film plus ancien comme Cendrillon, avec toutes ces longues ombres… On se dit oui c’est un classique de Disney, mais cet élément-là vient de l’expressionnisme allemand. Et c’est parce qu’à l’époque aussi, les artistes travaillaient avec leurs propres influences. Nous ne faisons rien de différent. C’est un chouette melting-pot, un film comme celui-ci ! Jusqu’où avez-vous voulu pousser le réalisme des personnages ? Mais aussi leur anthropomorphisme ? H. Il était très important pour nous que le spectateur n’ait pas l’impression de voir des acteurs déambuler dans des costumes d’animaux. Ensuite, qu’il y ait une sorte de dualité en chacun d’eux. Nous avons par exemple un personnage d’éléphant qui était assez stéréotypé à chaque fois que nous racontions la dernière version de l’histoire, et ça nous ennuyait. On s’est dit qu’il fallait que ce soit comme dans la vraie vie, où rien n’est tout noir ou tout blanc. Et nous avons donc doté cet éléphant-là d’une mauvaise mémoire. Mais à d’autres moments, pour tel autre animal, nous avons joué à fond sur son stéréotype particulier. En dessinant un guépard obèse, par exemple ? M. Bien sûr ! Je l’adore, lui !

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