11 février 1990 : «Nelson Mandela: le mythe libéré redevient réalité»

Le choc! Après vingt-sept années d'absence, Nelson Mandela est revenu - libre - parmi les siens. Le leader de l'ANC, le mouvement interdit puis réhabilité, il y a quelques jours à peine, par le président sud-africain de Klerk, symbole de la résistance à l'apartheid et à la répression, a quitté la prison dans laquelle un pouvoir blanc jusqu'ici intraitable le maintenait, comme pour étouffer ainsi toute idée de liberté au sein de la majorité noire. A l'émotion de ses partisans, à la joie dans le monde, a bien vite succédé l'inquiétude: la première réunion du Cap, à laquelle devait prendre part le chef historique de l'ANC, s'est achevée dans des affrontements violents avec les forces de l'ordre. Décidément, tout reste encore à faire dans un pays qui reprend espoir aujourd'hui. La fin des murs De Berlin à Bucarest, en passant par une prison du Cap, les murs s'écroulent, les uns après les autres. Murs de la séparation, de l'oppression, et aussi ces murs intérieurs de la méfiance, de la haine, de l'ignorance de l'autre. Au-delà, de nouveaux paysages surgissent, où l'espoir peut prendre racine. Ces murs qui asphyxiaient les citoyens de l'Est, qui enfermaient Mandela et les siens, ont été démantelés par des hommes issus de l'intérieur du système. Un Gorbatchev, pur produit de l'appareil et de la sécurité soviétiques, un de Klerk pour qui ses compatriotes votèrent en croyant qu'il allait poursuivre la politique de Botha. Élevés à l'intérieur des murs, il s'est trouvé des hommes assez lucides, assez courageux, pour refuser l'enfermement et le déclin, pour ouvrir des brèches, et que l'on fasse rimer perestroïka avec Pretoriastroïka n'est pas un simple jeu de mots. Cependant, il ne faudrait pas se méprendre au jeu des similitudes. Même si la libération de Mandela est un événement historique, tant sur le plan humain que politique, elle marque moins le début d'une ère nouvelle que la fin d'un déni de justice, d'un anachronisme scandaleux. L'un des pans les plus honteux de l'apartheid est désormais aboli, mais tout le reste de l'édifice doit encore être abattu. Leur leader est libre, mais les Noirs, les Indiens, les métis d'Afrique du Sud, ces 24 millions de citoyens de seconde zone demeurent prisonniers de leurs écoles, de leurs logements, de leur couleur, et les Blancs ne sont pas encore délivrés des liens de leurs peurs, de leurs préjugés. La réconciliation intérieure de ce pays divers, multiracial, multiculturel qu'est l'Afrique du Sud doit encore commencer. Et là, de Klerk et Mandela ont besoin l'un de l'autre pour s'aider à calmer les craintes, les espoirs irraisonnés, les colères de leurs communautés respectives, pour juguler la violence qui déferle déjà dans les rues du Cap et dans les esprits des «ultras» blancs. L'une des pages de l'apartheid a été tournée, mais l'histoire de l'Afrique du Sud nouvelle reste à écrire. Avec l'encre de lois plus justes, avec les articles d'une nouvelle Constitution. Avec aussi - sans aucun doute hélas! - du sang et des larmes. L'ANC lutte depuis 78 ans Le Congrès national africain (ANC), légalisé le 2 février dernier par le président Frederik de Klerk, et dont le chef historique est Nelson Mandela, est la principale organisation sud-africaine luttant contre l'apartheid. La libération de Mandela était l'une des principales exigences de l'ANC pour l'ouverture de négociations avec le régime blanc. Les autres conditions - contenues dans la «déclaration d'Harare» adoptée en août 1989 par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) - étaient la libération des prisonniers politiques, la légalisation des organisations interdites, la levée de l'état d'urgence, le retrait des troupes des townships, et l'arrêt des exécutions et procès politiques. Le 2 février dernier, le président de Klerk a levé certains de ces obstacles, en annonçant notamment la légalisation des organisations interdites, la prochaine libération de Mandela, et la suspension des exécutions capitales. Créé en 1912, l'ANC, qui vient de fêter son 78e anniversaire, est le plus ancien mouvement nationaliste du continent africain. Son quartier général est installé à Lusaka, en Zambie, depuis 1960, année où l'ANC a été interdit en Afrique du Sud. M. Alfred Nzo, 64 ans, secrétaire général du mouvement depuis vingt ans, assume également les fonctions du président Oliver Tambo, frappé d'une congestion cérébrale en août 1989, toujours hospitalisé en Suède. Depuis l'arrivée au pouvoir du président de Klerk, en septembre dernier, l'ANC est sorti de la clandestinité: le 29 octobre dernier, à Soweto, le mouvement tenait son premier grand rassemblement public depuis trente ans, pour rendre hommage à la libération, le 15 octobre, de sept dirigeants de l'ANC. Le mouvement, qui avait opté pendant cinquante ans pour la non-violence, décide en 1961 d'avoir recours à la lutte armée, après le massacre de Sharpeville où 69 manifestants noirs ont été tués par la police. Une branche militaire est créée: «Umkhonto-We-Sizwe» («La lance de la nation», en zoulou) qui compterait environ 10.000 hommes. Allié du parti communiste sud-africain, l'ANC prône une société multiraciale, conformément à la «Charte de la liberté» - manifeste socialiste adopté en 1955 -, contrairement à des mouvements plus radicaux comme le PAC (Congrès panafricain), partisan d'un nationalisme noir intégral. Reconnu par l'ONU comme représentant important de la communauté noire, l'ANC dispose d'une quarantaine de bureaux d'information dans le monde. L'apartheid Système politique unique au monde, l'apartheid - ou «développement séparé» des races -, est un terme afrikaans dont le principe de base est Live and let live apart («Vivre et laisser vivre séparément»), l'apartheid a été institutionnalisé en 1948 par le Parti national, encore au pouvoir aujourd'hui. Ce dernier avait gagné les élections en mai de cette année-là, avec, pour programme, l'application d'une séparation totale des races dans tous les domaines de la société et de la vie quotidienne, y compris sur le plan sportif. Le système légal de discrimination raciale régit la vie d'environ 30 millions de Sud-Africains selon la catégorie ethnique à laquelle ils appartiennent: Blancs (ultraminoritaires), Noirs, métis, ou Indiens. Parmi les grandes lois ségrégationnistes figurent celles portant sur la classification de la population en fonction de la race (Population Registration Act), sur l'habitat séparé en fonction de la race (Group Areas Act), sur la réservation de certains lieux publics aux seuls Blancs (Separate Amenities Act). Si les deux dernières lois sont plus connues à l'étranger, la première est de loin la plus importante, puisqu'elle classe tout Sud-Africain dès sa naissance en fonction de la couleur de sa peau, ce qui conditionne ensuite toute son existence. Cette loi représente donc l'essence même de l'apart-heid. La loi résidentielle sur l'apart-heid, ouvertement violée depuis une dizaine d'années dans les grandes villes, a déjà fait l'objet de plusieurs aménagements, de même que celle sur les lieux réservés aux Blancs. En novembre dernier, le président Frederik de Klerk annonçait l'abolition de l'apartheid sur les plages. Etapes d'une libération Arrêté le5 août 1962 et condamné à la prison à vie le 12 juin 1964, Nelson Mandela est enfermé au bagne de Robben Island, ancienne léproserie perchée sur un îlot rocheux au large du Cap. Comme les autres prisonniers, il est casseur de pierres. 1982: Le prisonnier est transféré au pénitentier de Pollsmoor. Il a droit à 30 visites annuelles de 40 mn de sa femme Winnie. 1988: Le 12 août, le leader noir quitte Pollsmoor pour soigner une tuberculose au Cap. Il est ensuite admis le 31 août en convalescence dans une clinique privée. Le 24 novembre, M. Kobie Coetsee, ministre sud-africain de la Justice, annonce que Nelson Mandela ne retournera pas en prison et que son régime s'apparentera à celui de la résidence surveillée. Le 7 décembre, le prisonnier est transféré dans une maison cossue dépendant de l'administration pénitentiaire et attenante à la prison de Paarl. Il bénéficie d'un droit de visite illimité que sa famille refuse. Peu avant Noël, Mandela reçoit pendant six heures la visite de quatre anciens coaccusés du procès de Rivonia, également condamnés à perpétuité, dont celle de Walter Sisulu, ancien secrétaire général de l'ANC et bras droit de Mandela. 1989: Le 5 juillet: Rencontre inattendue au Cap entre Mandela et le président Pieter Botha. Le 12 juillet: Publication d'un communiqué de Mandela qui appelle Pretoria à négocier avec l'ANC. Le 15 octobre: Libération sans condition de huit prisonniers politiques dont celles de Sisulu et de six dirigeants de l'ANC, que Mandela a reçus quelques jours auparavant. Selon les analystes, cette libération servira de «galop d'essai» avant celle de Mandela. Le 13 décembre: Premier tête-à-tête entre le président de Klerk et Nelson Mandela qui quitte une seconde fois sa résidence de Paarl pour le palais présidentiel. 1990: Le8 janvier: Mandela annonce par l'intermédiaire de sa femme Winnie que sa libération n'est «plus une affaire de mois». Le 23 janvier: La libération de Nelson Mandela est «en tête de l'ordre du jour», déclare le ministre de la Justice, la veille du premier Conseil des ministres de l'année. Le 27 janvier: Des «problèmes» ont surgi, déclare Winnie Mandela après avoir rendu visite à son mari qui exige que certaines mesures soient prises avant sa libération, au premier rang desquelles la légalisation du Congrès national africain (ANC). Le 2 février: Nelson Mandela sera libéré «sans condition» à une date qui sera «bientôt» décidée par le gouvernement, annonce le président de Klerk. Le 11 février: Nelson Mandela recouvre effectivement la liberté. (article paru le 12 février 1990)

Votre compte

11 février 1990 : «Nelson Mandela: le mythe libéré redevient réalité»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en L’archive

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Elio Di Rupo sur le Codeco: «On va mettre le baromètre corona en sommeil»

Entretien L’épidémiologiste Julien Beauté (ECDC): «L’été est moins favorable au covid mais il faut garder BA.5 à l’œil»

Des grèves (très) possibles chez Ryanair à partir de juin

Schaerbeek: une échevine porte plainte contre un échevin pour sexisme et attentat à la pudeur

Variole du singe: un premier cas détecté en Belgique

L’envie de partir en vacances l’emporte sur le prix du carburant

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« On assure la continuité du service et ça, c’est motivant »

Pâques : les Belges se sont octroyés deux fois plus de jours de congé qu'en 2020

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel