Handicap: l’inclusion commence dès la crèche, mais sans formation

Beau plancher en bois et grandes fenêtres, la crèche privée Zarafa, située au bel étage d’une villa à Laeken, accueille près d’un tiers d’enfants sourds. Le charme du lieu n’est donc pas qu’un hasard : « Le bois au sol permet aux enfants de mieux sentir les vibrations – et donc les mouvements – que le carrelage ou le linoleum. De grands espaces lumineux sont également essentiels, car les personnes sourdes se sentent plus vite confinées », explique Cécilia Ntelo-Wa-Leko, la fondatrice de la maison d’enfants créée il y a un an. Sensibilisée à la surdité depuis son plus jeune âge (par une voisine d’abord, puis au sein de son école où huit élèves sourds étaient scolarisés), la jeune femme diplômée en éducation spécialisée pense à ce projet de crèche inclusive depuis 2014. « Je suis partie d’un constat : il y a soit des crèches spécialisées, accueillant uniquement des enfants handicapés, soit des crèches classiques, qui accueillent de temps en temps des enfants différents. Mais l’offre de crèches inclusives, avec un pourcentage déterminé d’enfants porteurs d’un handicap, est très faible. » C’est qu’en théorie, la loi prévoit que tous les milieux d’accueil puissent prendre en charge tout type d’enfants de 0 à 3 ans. « Depuis l’arrêté fixant le code de qualité de l’accueil, plus aucun milieu d’accueil spécialisé n’a été créé dans le giron de l’ONE. Les quelques crèches spécialisées existantes datent donc d’avant 2003 et sont en général rattachées à des institutions (centres de jour ou écoles spécialisées) », détaille Pascale Camus, conseillère pédagogique à l’Office de la naissance et de l’enfance. L’objectif de l’ONE est d’inclure les enfants en situation de handicap dans les milieux d’accueil autorisés par lui. Les accueillantes n’y sont pas spécifiquement formées au handicap mais amenées à « ajuster leurs pratiques » : « Si un enfant a besoin de soins en kinésithérapie, une collaboration se met en place avec des professionnels externes à la crèche. Pour un enfant atteint de surdité, on n’attend pas de l’accueillante qu’elle apprenne le langage des signes mais qu’elle observe l’enfant, les signaux qu’il émet. » « Ça ne s’improvise pas » Les crèches ne sont pas pour autant livrées à elles-mêmes. A Bruxelles et en Wallonie, des services d’accompagnement soutiennent les équipes confrontées à cette diversité. Le service Ocapi à Bruxelles et ceux du projet « accueil à la petite enfance », mené par l’Aviq (Agence pour une vie de qualité) en Wallonie, se déplacent à la demande pour accompagner les puéricultrices dans leur questionnement. « Il n’y a aucune raison de créer des crèches ghetto », juge Isabelle De Ranter, coordinatrice d’Ocapi et directrice de Saphir-Bruxelles, un service spécialisé dans l’inclusion des enfants atteints de trisomie 21. « Plusieurs crèches accueillent désormais des enfants trisomiques et tout se passe bien. Il y avait beaucoup d’a priori qui commencent à tomber ; l’inclusion fonctionne de mieux en mieux. » Cécilia Ntelo-Wa-Leko est plus sceptique : « On n’accueille pas des enfants sourds, autistes ou trisomiques en claquant des doigts ; l’ONE devrait former ses puéricultrices au handicap. » La jeune femme, qui a adapté ses pratiques et son projet pédagogique à la surdité, illustre : « Il ne faut jamais arriver par derrière avec un enfant sourd. De même, on ne les touche pas de la même façon. Parfois, ils hurlent quand il fait noir parce que les phares de voitures, qu’ils n’entendent pas, les effraient. Les enfants sourds sont aussi très bruyants et cela peut faire perdre patience si on oublie qu’ils n’entendent pas leur propre bruit… » La crèche plus inclusive que l’école ? Compte tenu de ces contraintes, et malgré les services d’accompagnement existants, certaines crèches rechignent-elles dès lors à accueillir des enfants en situation de handicap ? « Pour le moment, les places en crèches sont attribuées par ordre d’inscription ; même si ce n’est pas la solution idéale, ce système oblige les crèches à accepter les premiers enfants inscrits, qu’ils soient porteurs d’une déficience ou non », avance la conseillère pédagogique de l’ONE. En pratique, visiblement, rien à signaler. Aucun dossier pour discrimination en milieu d’accueil en raison d’un handicap n’a été ouvert au centre pour l’égalité des chances, Unia. Même son de cloche du côté du délégué général aux droits de l’enfant, où aucune plainte de ce type n’a été enregistrée. Selon sa collaboratrice Corine Vanderstraeten, les « très gros efforts » de l’ONE en la matière ont rendu « les milieux d’accueil de la petite enfance bien plus inclusifs que l’école. Leurs difficultés ne sont évidemment pas les mêmes, puisque les troubles de langage, de comportement ou de propreté se font moins ressentir à deux ans qu’à dix. » La future réforme des milieux d’accueil (Milac) ambitionne d’encore renforcer l’inclusion des enfants issus de milieux précarisés ou porteurs d’un handicap. « Les mesures concrètes sont en train d’être élaborées et ne peuvent être dévoilées pour le moment », conclut Pascale Camus.

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