«Les conditions de travail dans les secteurs féminins se sont détériorées plus vite»

A partir de 2009, un basculement s’opère : le nombre de femmes en invalidité dépasse pour la première fois le nombre d’hommes invalides. Depuis lors, le différentiel ne fait que s’accentuer. Globalement, en 20 ans, le taux d’invalidité des femmes a plus que doublé passant de 4,3 % à 10,1 %, là où le taux masculin n’a augmenté que de 5,5 % à 7 %. Laurent Vogel est chercheur à l’Institut syndical européen et donne cours à l’ULB. Il mène des recherches sur la dimension de genre en santé au travail. [scald=27173009:sdl_editor_representation] Comment expliquer une telle différence de genre ? Selon moi, l’élément majeur c’est que dans les métiers à forte concentration de femmes, la détérioration des conditions de travail a été plus rapide qu’ailleurs. Dans le secteur des soins de santé, c’est très clair : les mesures d’austérité ont fait que les conditions de travail dans les hôpitaux se sont détériorées, et c’est la même chose dans les maisons de repos. La situation y est alarmante : il faut faire plus avec moins de personnel. Dans le secteur du nettoyage également. Aujourd’hui, dans la plupart des entreprises, cette activité est sous-traitée. La pression commerciale et sur les coûts est très forte : pour remporter le contrat, il faut nettoyer une superficie plus importante avec moins de personnel. La « double journée » des femmes joue-t-elle un rôle ? La double journée est un élément de fond important, mais elle n’explique pas l’évolution récente. La répartition des tâches à la maison n’était pas plus égalitaire avant. De la même façon, les nouvelles mesures politiques en termes de pension, qui affectent les femmes, doivent jouer un rôle, mais pas forcément prépondérant. C’est l’effet des vases communicants bien documenté en sécurité sociale : si vous restreignez les droits par rapport à la pension ou au chômage, les incapacités et invalidités en fin de carrière augmentent. Ce qui ne signifie pas que proche de l’âge de la pension, les personnes se mettent en invalidité, mais que les conditions de travail ne sont pas adaptées à la fin de carrière. Ces mesures ont donc un impact général, mais qui ne me semble pas pouvoir expliquer une telle différence entre hommes et femmes. [scald=27173026:sdl_editor_representation] La conséquence, c’est une précarisation des femmes… Pendant l’invalidité, les revenus sont en effet réduits. Ensuite, au moment de la réintégration, on sait que deux tiers des parcours de réintégration se soldent par une évaluation négative, c’est-à-dire qu’on estime qu’il n’est pas nécessaire d’adapter les conditions de travail car l’incapacité est définitive. Ce qui signifie que l’employeur peut vous mettre à la porte pour « force majeure », soit la formule la plus défavorable possible puisqu’il n’y a pas d’indemnité de licenciement. Selon ces chiffres, cela affecte donc plus les femmes. Et tout cela se paye en fin de parcours, avec des pensions plus réduites. [scald=27173027:sdl_editor_representation] Quelles seraient vos recommandations ? En Belgique, nous avons des chiffres généraux, mais pas de chiffres par secteurs d’activité. Or, il serait important de lancer des enquêtes sur les liens entre ces invalidités et les activités professionnelles des personnes concernées. D’autres pays disposent de telles données et révèlent que les cancers du sein sont plus fréquents chez les infirmières ou chez les coiffeuses que dans le reste de la population féminine active. En Belgique, on estime que les questions de santé publique ne doivent pas interférer avec la vie des entreprises. Conclusion : aujourd’hui, les campagnes pour la prévention du cancer du sein ne sont qu’individuelles, alors qu’elles pourraient avoir une dimension collective, si l’on étudiait ce qui, au travail, peut causer de tels cancers.

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