L’impossible retour des «enfants du Califat» en Belgique: l’abandon ou la mort?
L’offensive de l’armée turque dans le nord de la Syrie représente, aussi, un défi majeur pour nos sociétés. Depuis deux ans déjà, le débat fait rage sur le sort des enfants de djihadistes enfermés dans des camps jusqu’alors tenus par les Kurdes. Mais il ne se passe toujours rien.

Ce qu’il se joue actuellement à la frontière turque et syrienne constitue un enjeu de sécurité régional majeur mais pas que. Il représente un défi majeur pour nos sociétés et le sort non seulement des djihadistes emprisonnés jusque-là et de nos « foreign terrorist fighters » enfermés dans plusieurs camps tenus jusque-là par les Kurdes au nord de la Syrie, mais également pour ces enfants du malheur dont personne ne semble vouloir.
La Belgique peut-elle continuer à laisser la Syrie, voire l’Irak, gérer ses propres ressortissants ? Depuis deux ans, le débat fait rage mais il ne se passe rien. Peuvent-ils représenter un danger existentiel pour le pays en les rapatriant ? Moins qu’en les laissant errer dans le désordre moyen-oriental actuel et futur. Et la guerre des enfants a bel et bien commencé également.
Le sort des majeurs : une menace réelle ?
Commençons par les majeurs. Il y a un enjeu de société majeur en Belgique autour du sort des FTF (2) petit à petit enfuis ou libérés des camps tenus par les Kurdes en Syrie et dont on risque de rapidement perdre la trace. Car jusque maintenant, ils étaient bien localisés. Et pour l’OCAM, l’Organe de Coordination pour la Menace » et pour le procureur fédéral Frederic Van Leeuw, procureur fédéral, intervenant conjointement lors de la réunion du Conseil National de Sécurité le 16 octobre dernier, « l’appel du calife al-Bagdadi à libérer les combattants étrangers il y a un mois a un impact fort chez les djihadistes et peut encore séduire dans les cellules certains proches de ces derniers. » Comme une prophétie auto-réalisatrice, ce qui se joue actuellement sert Daesh.
Depuis des mois, les recommandations appelant à faire revenir les combattants pour les faire juger en Belgique n’ont guère trouvé d’échos auprès du gouvernement. Pas plus en Belgique qu’en France d’ailleurs. L’annonce en 2018 du rapatriement en France de 130 « djihadistes », concernait en fait 70 enfants (question de terminologie), et a finalement fait pschitt. Quelques individus seulement sont rentrés en Belgique mais pas le gros des troupes.
D’après une étude publiée par Thomas Renard et Rik Coolsaet « Qui sont les “returnees”, pourquoi reviennent-ils (ou pas) et comment devons-nous les traiter ? Evaluation des politiques sur le retour des combattants terroristes étrangers en Belgique, Allemagne et Pays-Bas » (3), pour le compte de l’Institut Egmont, en février 2018, la situation de la Belgique reste unique - donc délicate. Non seulement le petit pays a fourni à Daesh, le plus grand nombre de combattants par habitant, mais le nombre de retours a été le plus important per capita : « La Belgique aurait le taux le plus élevé de combattants terroristes étrangers (FTF) par habitant en Europe. L’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM), compte actuellement 498 personnes dans la liste des FTF, en plus de 113 “candidats potentiels” au djihad. De ce nombre, 413 ont effectivement atteint la Syrie et l’Irak, tandis que les personnes restantes ont été arrêtées en route, en Belgique ou en Turquie, ou ne sont jamais parties. (…) Les services de renseignement estiment en outre qu’il y a eu au moins 137 enfants belges en Syrie, nés pour la plupart dans ce pays (environ 75 %), mais qui ne figurent pas dans la liste des FTF car ils ont moins de 12 ans. » Tout cela, nous le savions depuis très longtemps. Comme nous savions que la Turquie profiterait immédiatement du vide américain pour intervenir au nord de la Syrie pour des raisons de « sécurité ».
Le sort des enfants du malheur
Concernant les enfants maintenant. Retenus jusque-là largement par les combattants kurdes dans le nord-est de la Syrie, les djihadistes français et belges pour les plus virulents fuiront sur d’autres terres de djihad. Nous les retrouverons dans dix ans. Pour les plus faibles, mères et enfants, ils feront peut-être l’objet de tractations afin de favoriser leur extradition vers l’Europe : « Mais de qui : la Turquie ? Les accords d’extradition sont compliqués à appliquer. La Syrie ? Nous n’avons aucun accord avec le régime de Bachar al-Assad et personne n’y tient. » précisait encore Frederic Van Leeuw à l’occasion de cette réunion du Conseil National de Sécurité.
Le pire semble donc à venir pour les « enfants du Califat ». Symboles éminemment politique et religieux, ces enfants nés sur place injustement appelés dans les médias « Enfants de Daesh », ou « Lionceaux du Califat », ont une dimension inédite par leur nombre : produits de la résurrection du califat, enfants issus de la terre purifiée, Daesh comptait sur eux pour l’avenir de son projet. Désormais, enfants du malheur, meurtris, détruits, orphelins, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Mais de parents belges, ils sont Belges. Pour ceux qui sont nés en Belgique et qui vont revenir, sans ou avec leurs parents, il faut reconstruire une vie, les dégager de leur ancien cadre idéologique de vie, et les réenraciner dans les valeurs de la société originelle.
Malgré la difficulté d’identification de ces mineurs en Syrie, et grâce au travail notamment de la Croix Rouge sur place et Child Focus qui fait l’interface en Belgique, les autorités et l’OCAM évaluent à 160 le nombre de mineurs belges en novembre 2018 en Syrie, une quinzaine d’enfants étaient localisés dans les camps jusque-là tenus par les Kurdes et accompagnés de leur mère. 75 % de ces enfants ont moins de six ans et la majorité ont perdu leurs parents ou au moins un des deux. Fin février 2018 et fin juillet 2018, le Conseil National de la Sécurité avait statué pour envisager enfin le retour de ces enfants. Une ordonnance du 26 décembre 2018 du Tribunal de première instance de Bruxelles, condamnait l’Etat belge à rapatrier rapidement dans un premier temps six enfants belges prisonniers dans un camp kurde. La brèche était ouverte. Mais depuis, pas grand-chose.
Les associations de familles, celles de prévention des radicalisations comme « Save Belgium » présidée par Saliha Ben Ali dont le fils Sabri est mort en Syrie en 2013, comme les avocats et les associations de défense des droits de l’enfant demandent le rapatriement automatique de tous les enfants de moins de dix-huit ans en vain. La problématique de la séparation potentielle des enfants de leur mère, depuis la Syrie afin d’effectuer une sélection des retours en amont, est un autre élément déterminant dans le débat actuel et auquel s’est frotté le gouvernement belge. Contraire aux droits de l’enfant, elle semble largement contre-productive et illégale. Selon les règles européennes (4), elle doit faire l’objet d’une décision judiciaire prononcée en la présence sur le territoire belge de la mère et de l’enfant. Le cadre du retour des enfants en Belgique est déjà largement traumatisant alors qu’ils ont vécu ce que les psychologues appellent un stress précoce toxique.
Profils très divers
Dans son rapport annuel 2017-2018, le Délégué général aux Droits de l’Enfant (5), Bernard de Vos s’exprimait déjà clairement : « Les enfants victimes d’un conflit ont droit à une protection et à une réinsertion sociale ». Il y détaille dans le chapitre 8 « Au Secours » l’ensemble des dispositifs qui sont offerts par la protection judiciaire de tous les mineurs concernés. Il y témoigne du quotidien et de l’angoisse des familles concernées. Mais également de l’extrême diversité des profils à appréhender et pour lesquels il faut trouver et proposer une solution adéquate dès leur retour : « Le Délégué général est, depuis plusieurs mois, interpellé par des grands-parents, des oncles et des tantes, dont les descendances se trouvent dans des camps sous autorités kurdes ou n’ont pas encore été localisées. » Et pour lui, l’Etat est responsable de ses ressortissants et doit rapatrier tous ces jeunes car « on est enfant jusque 18 ans, tous doivent être rapatriés, le plus rapidement possible, selon des modalités adaptées à leur âge ».
Le suivi est impératif car toujours selon le Délégué, « Gérer, faciliter leur retour et prendre soin de ces enfants constitue le meilleur moyen de prévenir de futurs actes de terrorisme violent chez nous. (…) C’est aussi un symbole fort, volontariste en termes de “vivre ensemble” pour tous nos concitoyens, quelle que soit leur communauté de pensée, philosophique, culturelle ou religieuse ».
Il ne reste plus beaucoup de temps avant de perdre leur trace. La Belgique portera pendant des années le poids de la culpabilité d’avoir abandonné ses propres enfants aux erreurs de leurs parents, au casse-tête géopolitique improbable dans lequel ils sont nés. Au fond, ces enfants n’ont rien demandé. Mais ne peut-on avoir encore un peu d’humanité pour tenter de les sauver alors qu’eux ne sont encore qu’en capacité de ne rien pouvoir demander ?
(1) www.savebelgium.org (2) Foreign Terrorist Fighters (3) http://www.egmontinstitute.be/returnees-assessing-policies-on-returning-... (4) Article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’homme (5) La Belgique est le seul pays en Europe à disposer d’un tel délégué. Il fait l’interface entre la société et la justice qui traite de la jeunesse.
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