Mohamed Toujgani, à Molenbeek: «J’appelle les jeunes à prendre garde aux appels au djihad»

C’est dans cette mosquée, au cœur de Molenbeek, que venait prier Chakib Akrouh, l’un des terroristes qui a déclenché sa ceinture d’explosifs le 18 novembre lors du raid policier de Saint-Denis. C’est aussi par cette mosquée qu’a été formé le prédicateur salafiste marocain Ilias Azaouaj, mort en Syrie et que l’une des femmes condamnée en décembre dernière dans le procès de la « filière poussette » s’est convertie à l’islam. Nous avons rencontré l’imam de cette mosquée controversée. Chakib Akrouh venait autrefois prier dans votre mosquée. Comment ressentez-vous cela, sachant qu’il a participé aux attentats de Paris ? On ne peut qu’être affligé d’apprendre que certaines personnes adoptent des comportements inhumains. On ne peut que dénoncer de telles atrocités commises par ces jeunes, même s’ils sont nos enfants. Cette désolation est d’autant plus grande quand il s’agit de personnes qui prétendent appartenir à l’islam, mais s’égarent de la voie de la mosquée. La mosquée est un endroit public fréquenté par tout individu. Sa fréquentation n’est pas soumise à des règles ou réservée à un groupe particulier. Et personne ne peut interdire à un non-musulman d’accéder à ce lieu. Quand on parle de la position d’une mosquée, il faut signaler qu’on ne se base pas sur ceux qui la fréquentent, mais sur l’imam qui la représente au niveau spirituel. Quel est votre message aux jeunes pour éviter la voie de l’horreur ? Avant d’adresser ce message aux jeunes, j’aimerais en adresser un aux autorités. L’État, les institutions officielles, les associations citoyennes et religieuses doivent impérativement réfléchir ensemble à des programmes qui peuvent soutenir les jeunes défavorisés. Il faut encourager ces jeunes, qui éprouvent un vide à tous les niveaux, à s’investir pleinement dans la société. Il pourrait être organisé des rencontres. Durant ces réunions, chacun suggérerait des plans d’action ludique représentant la compétence de chaque participant, où seraient abordés les domaines religieux, éducatif, psychologique, sportif… Et aux jeunes… J’appelle les jeunes à l’union avec les sages de la société, que cela soit les représentants politiques ou religieux. Cette union vise la paix sociale et spirituelle. J’appelle également les jeunes à prendre garde à certains messages sur internet, comme l’appel au djihad, l’annonce du nouveau califat, l’appel à la haine envers ceux qui ne sont pas musulmans, l’allégeance à un qui s’autoproclame guide des croyants. Il ne se passe pas un jour sans que le mot « djihad » ne paraisse dans les médias. Pouvez-vous nous expliquer sa définition ? D’abord, la Ligue des imams de Belgique que je préside prépare des colloques sur le sens de ce mot et tout ce qui concerne le phénomène du radicalisme. Aujourd’hui, un nombre important de jeunes, ou ceux qui les manipulent, réduisent le sens de « djihad » au combat, à l’effusion de sang. Ce terme a de multiples sens. Je cite l’histoire d’un compagnon du prophète Mahomet qui lui demande la permission de participer à un combat. « Mahomet lui répond : As-tu des parents en vie ? Le compagnon confirme par l’affirmative. Et le prophète conclut : retourne alors auprès d’eux. » Là réside le vrai combat, pour ainsi dire l’effort de bonté à l’égard des parents. Le djihad qui consiste à combattre par les armes intervient seulement lors d’une légitime défense. Mais l’on peut interpréter cette notion de mille manières… On doit s’en remettre aux savants reconnus. Ils statuent si dans tel ou tel cas il y a légitime défense. À titre d’exemple, si un jour la Belgique est attaquée, il est du devoir des musulmans du pays d’en prendre la défense puisqu’il faut préserver la paix et la sécurité de la patrie. Le seul combat autorisé est celui qui repousse l’injustice. Tout combat engendrant une injustice devient interdit. L’État islamique prétend néanmoins que son combat est légitime… C’est tout le contraire. Ce groupe terroriste, qui se qualifie à tort d’islamique, n’agit en aucun cas dans une légitime défense. Il tue des musulmans et des citoyens d’autres confessions, pille des villages, détruit des monuments historiques. Il ne repousse nullement un ennemi. Il répand la terreur. Comment peut-on appeler « légitime défense » les attentats de Paris et ceux commis en Tunisie par exemple ? Il y a peu, dans De Morgen, Noureddine Smaïli, président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, accuse quatre membres conservateurs proches de la mosquée Al Khalil de freiner son travail d’islam progressiste et sa volonté de coopérer avec le gouvernement. Que répondez-vous ? Noureddine Smaïli se veut souvent porte-parole de personnes et d’institutions qu’il ne représente pas. La ligue des imams de Belgique s’oppose à quelques-unes de ses déclarations. Cette critique lui a été signifiée par courrier, auquel il n’a donné aucune suite. Nous contestons notamment certains accords qu’il a conclus avec différents ministres, sans aucune concertation avec les institutions musulmanes concernées. Quels accords évoquez-vous ? Les accords sur la formation des imams conclus avec le ministre Marcourt, alors que Noureddine Smaïli n’a pas le droit de parler au nom des imams, d’autant que le culte dépend de Koen Geens, ministre de la Justice. Il faut également signaler que l’Exécutif des musulmans de Belgique, que préside Noureddine Smaïli, ne s’occupe que du cadre administratif, mais il ne représente nullement le Conseil des théologiens. Bien entendu, la Ligue des imams ne s’oppose pas à la formation des imams, à condition que nous soyons consultés.

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