Orthodoxes russes de Belgique: la religion rassemble, pas le nationalisme

La rencontre du Pape François et du Patriarche Kirill, soit le leader de l’Eglise russe orthodoxe ? « Honnêtement, c’est assez lointain, balaye Dimitri de Heering, Belge d’origine russe, responsable de l’ASBL qui gère l’Eglise orthodoxe Saint-Job, située Avenue De Fré, à Uccle. Ce n’est pas du tout un sujet de discussion dans la communauté… » Cette communauté, justement, quelle est-elle ? Si les orthodoxes de Belgique constituent déjà une minorité, la branche russe n’en est par ailleurs qu’une partie. Elle-même assez multiple… Dimitri de Heering, ingénieur formé à l’université de Louvain, retraité, descend de cette première immigration russe, datant des années 1920, celle de l’intelligentsia, de la bourgeoisie, qui a fui au moment de la révolution. Aujourd’hui, il conserve « une proximité culturelle et linguistique », un « attachement » à la Russie, mais observe également « une certaine distance, par rapport à l’Etat russe », distance « variable selon les personnes », ajoute-t-il. Pour lui, il est primordial que religion et Etat opèrent de façon complètement autonome. Sa religion orthodoxe, d’une part, et un seul chef de l’Etat, d’autre part, à savoir le Roi des Belges et le gouvernement fédéral… Autant dire que cet homme paisible, qui pèse chacun de ses mots, n’a pas forcément envie d’épiloguer sur Vladimir Poutine et sa façon de faire de la religion orthodoxe l’appareil privilégié d’un nouveau nationalisme russe exacerbé. « Cet extrême nationalisme existe certes, en Russie comme ailleurs, mais il est bien moins exprimé ici, en Belgique… » Comparaison avec « l’Espagne de Franco » Nicolas Apraxine a un profil proche de celui de Dimitri. Son père a lui aussi, comme le père de Dimitri, bénéficié d’une bourse d’études du Cardinal Mercier en Belgique, octroyée à l’époque aux Russes fuyant la révolution. Il se révèle un peu plus loquace sur les liens qui unissent désormais le pouvoir Russe et l’Eglise orthodoxe : « Je ferais la comparaison avec l’Espagne de Franco, qui s’appuyait sur la hiérarchie catholique pour ne pas se mettre les Espagnols à dos. Poutine a bien compris que s’il ne voulait pas avoir les Russes contre lui, il devait faire montre de religiosité. Ce n’est pas la hiérarchie orthodoxe qui soutient Poutine, c’est Poutine qui soutient la hiérarchie… » Et de préciser : « Même si on trouve aussi que l’Eglise exagère et qu’elle choisit un peu trop la facilité. Mais c’est la première fois qu’elle est reconnue et qu’elle a sa place en Russie, elle ne va pas cracher dans la soupe… » Nicolas a coutume de dire qu’il est de nationalité belge, mais que sa religion est russe. « Quand j’étais enfant, être russe, c’était être orthodoxe. Dans ce que j’appelle la “colonie russe” de l’époque, la religion était devenue centrale, plus qu’elle ne l’était en Russie d’ailleurs. C’était une manière de récupérer une identité culturelle. » Aujourd’hui, cette « colonie russe » s’effrite et connaît les mêmes évolutions que l’Eglise catholique en Belgique, estime Dimitri de Heering : désaffection des églises, éloignement des jeunes générations, etc. « Elle est peu à peu remplacée par la nouvelle immigration », explique pour sa part Nicolas. Années 90 : nouvelle communauté russe en Belgique Les années 90 ont ainsi vu débarquer une nouvelle communauté russe en Belgique. Nés là-bas, éduqués dans le système soviétique, élevés dans l’interdiction religieuse, et souvent baptisés « en masse » une fois adultes, après la fin de l’URSS, les Russes de cette dernière vague migratoire ont forcément une vision différente de la religion et de la Russie. « Les nouveaux venus adoptent parfois un grand formalisme dans leurs pratiques, en en oubliant le fond même de la religion, estime Nicolas Apraxine. Il existe dans la religion orthodoxe une résurgence de ce nationalisme outrancier russe… A priori, c’est moins le cas chez les Russes qui émigrent vers l’Occident et sont dès lors plus ouverts. Mais il est évident que ceux qui viennent maintenant ont une mentalité plus russe, et sont plus réceptifs à la Russie. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soutiennent le régime… » Si ces deux immigrations russes montrent des profils très différents, elles se rencontrent et se côtoient souvent. Où ? A l’église précisément ! « En réalité, il est même plutôt surprenant que des choses nous unissent, nous qui avons des parcours si différents, conclut Dimitri de Heering. Les Russes de l’immigration récente ont été éduqués en URSS, ont connu la guerre, ont été persécutés pour leur religion alors que nous avons toujours vécu dans un pays libre, en paix. Au-delà de toutes considérations politiques, d’attachements divers à la Russie, c’est aujourd’hui la communauté religieuse qui nous réunit… »

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