La pauvreté n’est pas une fatalité
Sur le constat que la pauvreté s’aggrave d’année en année, l’auteur indique qu’il ne s’agit pas d’un hasard mais de la résultante d’une politique constante du pouvoir économique et de ses relais gouvernementaux d’accroissement des inégalités.

Ce 17 octobre était la journée mondiale de lutte contre la pauvreté, journée qui se répète d’année en année. L’émission matinale de la RTBF y a consacré un débat qui a réussi l’exploit de ne jamais s’interroger sur les causes de cette pauvreté. Le message général était défaitiste : la pauvreté s’aggrave d’année en année, les politiques publiques semblent incapables de l’enrayer, l’Etat n’a pas les moyens, la philanthropie et les actions de charité ne vont pas résoudre le problème mais elles ont tout de même l’avantage de favoriser un esprit de solidarité dans l’opinion publique. Et pour conclure le débat : hélas, dans un an nous nous retrouverons à célébrer encore une fois la lutte contre la pauvreté car celle-ci se sera encore aggravée.
Politique d’accroissement des inégalités
Pas un mot dans ce débat sur le fait que l’accroissement de la pauvreté n’est pas le résultat du hasard mais qu’il est le résultat immédiat et prévisible d’une politique constante du pouvoir économique et de ses relais gouvernementaux d’accroissement des inégalités. Cette politique est menée en Belgique par les partis de droite qui ont eu la mainmise depuis plus de quinze ans sur le ministère des Finances, et qui ont développé de savantes stratégies d’évasion fiscale. Tout a été mis en œuvre pour que les très riches ne payent pas d’impôts et que les sociétés qui font les plus gros bénéfices soient taxées sur ces bénéfices à un taux proche de zéro.
Lorsque l’Etat belge se fait condamner par la Commission européenne à se faire rembourser 750 millions d’euros par une trentaine de sociétés car les mécanismes d’évasion fiscale qu’il a mis en place sont jugés illégaux, il décide d’aller en appel devant la justice européenne. Or il n’y a pas de miracle. L’enrichissement excessif des uns crée la pauvreté des autres. Lorsque le gouvernement Michel renonce à récupérer 750 millions qui pourraient alimenter le budget exsangue de la sécurité sociale, ce sont des centaines de familles belges qui, par voie de conséquence, sombrent dans la pauvreté. Lorsque le gouvernement Michel accepte que plus de 200 milliards d’euros quittent chaque année des sociétés belges pour aller se réfugier dans les paradis fiscaux, ce sont des milliers de familles belges qui, par voie de conséquence, sombrent dans la pauvreté.
Quand nos gouvernements successifs acceptent qu’entre 22 et 31 milliards d’euros échappent chaque année au budget de l’Etat (1) afin de permettre l’évasion fiscale des très riches et des sociétés multinationales, il faut avoir l’honnêteté de dire que cela résulte d’une volonté claire de favoriser l’enrichissement des très riches en accroissant les inégalités, avec comme conséquence directe une augmentation de la pauvreté. L’assèchement du budget de la sécurité sociale qui résulte de cette évasion fiscale massive a pour conséquence qu’aujourd’hui la plus grande partie des allocations sociales (pensions, indemnités de chômage, indemnités d’invalidité, etc.) se situent sous le seuil de pauvreté. L’Etat a donc ce cynisme incroyable de dire à la plus grande partie des allocataires sociaux, qui ont souvent cotisé pendant de longues années : « nous allons vous payer vos allocations, puisque vous y avez droit, mais vous allez devoir vivre dans la pauvreté ».
La politique des associations patronales
Mais dans le cynisme, il y a pire encore que la politique vis-à-vis des allocataires sociaux : c’est la politique des associations patronales, et en particulier de la FEB, vis-à-vis de cette nouvelle catégorie de travailleurs qu’on appelle les travailleurs pauvres. Car oui, aujourd’hui, ce ne sont plus uniquement les personnes sans emploi qui vivent dans la pauvreté ; les travailleurs pauvres viennent rejoindre leurs rangs en masse. Jusqu’il y a peu, la personne qui avait un travail à temps plein faisait partie de ces heureux qui vivaient correctement. Ce n’est hélas plus le cas.
Depuis dix ans, la FEB s’arc-boute contre toute tentative d’augmenter le salaire minimal en Belgique, qui est actuellement de 9,49€ brut par heure. Les syndicats ont longtemps accepté cette situation, mais cette année-ci, constatant l’augmentation spectaculaire de la pauvreté parmi les travailleurs, ils ont décidé qu’il fallait enfin augmenter ce salaire minimal à 14€ de l’heure. Mais au sein du groupe des Dix, les organisations patronales refusent de céder plus que 10 centimes de l’heure. Oui, vous avez bien lu : 10 centimes ! Même pas un euro par jour.
Suppression des allocations d’insertion après 24 ans
A côté des allocataires sociaux et des travailleurs pauvres, une nouvelle catégorie de personnes est venue gonfler les rangs des pauvres. Ce sont les jeunes qui ont terminé leurs études au-delà de 24 ans et qui, depuis 2014, n’ont plus droit à des allocations d’insertion pendant qu’ils cherchent leur premier travail. Des milliers d’entre eux émargent aujourd’hui aux CPAS de leur commune, ce qui les oblige à vivre dans un état de très grande pauvreté, rendant la recherche d’un emploi d’autant plus difficile. Car oui, chercher du travail coûte de l’argent, et lorsque chaque euro compte, on doit choisir entre payer son loyer, prendre un abonnement à internet indispensable à la recherche d’emploi, prendre le train pour aller rencontrer un employeur potentiel, se faire soigner quand on tombe malade… Un Etat qui condamne une partie de sa jeunesse à démarrer sa carrière professionnelle dans ces circonstances-là est un Etat malade.
On le voit, l’accroissement de la pauvreté en Belgique n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’une politique délibérée du pouvoir économique et de ses relais dans nos gouvernements. Dès lors, on ne peut pas continuer d’année en année à « célébrer » la journée mondiale de lutte contre la pauvreté en la présentant comme une fatalité et en invoquant l’impuissance de l’Etat à y remédier, alors que l’Etat en est le premier responsable. Il est urgent d’obliger nos gouvernants à s’attaquer aux causes de la pauvreté, c’est-à-dire à s’atteler à réduire drastiquement l’évasion fiscale massive qui en est la principale cause.
(1) Chiffres provenant du juge d’instruction Michel Claise, spécialiste de la lutte contre la criminalité financière.
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S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir3 Commentaires
Il y a une erreur factuelle dans cet article. Le premier seuil de l'extrême pauvreté tient au logement. Or pourquoi des personnes n'ont pas de logements ou se retrouvent dans des taudis? Pour deux raisons principales: * Dégradation des logements par eux-mêmes ou par des voisins * Normes délirantes dont celles climatiques qui amène à un déclassement d'une masse de logements mais aussi rend le logement de plus en plus cher en plus de la spéculation immobilière. Les allocations d'insertion étaient une fausse bonne idée, des conjoints en ont parfois bénéficié pendant 20 ans, le traitant comme un argent de poche. Il faut modifier l'approche mais il faudra aussi modifier les lois. Commençons par fournir un logement pour tous et donc par là-même, une adresse mais un logement simple et indégradable, modèle aujourd'hui illégal où l'on préfère la misère que de créer des conditions de logement spartiates. A partir de là, on peut construire quelque chose et permettre à des gens de se poser, de réfléchir voire de vivre de manière simple, beaucoup ne demandent pas plus: sec, chaud, nourri, blanchi et sécurité. Après, se posera le droit à l'enfant quand on n'a pas de ressources mais, ça, c'est un autre problème et encore plus délicat. Combien de famille font des enfants jusqu'à faire déborder leur logement? Ce texte évite de dire que la pauvreté est multilatérale et passe sous silence une grosse partie de la population qui flirte avec ce seuil en permanence. Il oublie aussi les gens qui deviennent dingue en regardant ce que des intellectuels déconnectés estiment de la pauvreté alors que cela concerne en réalité prèus de 40% de la population si l'on suit leurs critères que même un couple de fonctionnaire à temps plein serait pauvre. Commençons aussi par redevenir sérieux et définir des critères de pauvreté réel. Non, on n'est pas pauvre si on n'a pas les moyens d'aller au cinéma de nos jours, non on n'est pas pauvre si on n'a pas les moyens d'une semaine de vacances en famille chaque année, non on n'est pas pauvre si l'on ne faire qu'acheter bon marché en nourriture et en vêtement. Les soins de santé sont un sujet plus délicat vu que certains traitements atteignent un million d'euros, je crois que le critère serait là plus "standard" parce que même des riches ne se savent pas se payer certains traitements. Et quand on est dans un pays où l'on estime cohérent de rembourser les opérations de changement de sexe, c'est que la majorité des autres priorités sont couvertes. Par contre sur les 60% des belges les moins nantis, la pauvreté est à la porte à moins de 6 mois de malchance, ça oui. Et que les tracasseries administratives sont souvent aussi la porte à celle-ci. Pauvreté dont beaucoup de personnes qui la dénonce vivent d'ailleurs très bien. Quant au salaire, c'est un marché de dupes et l'auteur de cet article un fumiste! Ce n'est pas relever le salaire minimum qu'il faut faire mais la quotité non imposable et les tranches d'imposition qui font que même les travailleurs moyens n'arrivent pas économiser tellement le matraquage est là dès 3500 euros par mois pour une famille de 4. D'autre part, une partie de la pauvreté est liée à des maladies mentales dont on ne sait que faire, à des problèmes de drogue voire à l'alcool. Même si ces problèmes n'étaient pas présents lors de la chute, ils apparaissent souvent très vite après et empêchent de remonter. Enfin, la pauvreté explose parce qu'elle s'importe aussi beaucoup et, là, compliqué d'y faire quelque chose et le vrai bal des hypocrites commence.
En lisant cet espèce "coup de gueule" bien torché, on pense d'abord à Raoul Hedebouw, et puis on se rend compte que cette mise en ligne, à laquelle j'adhère plus qu'entièrement, est signée par un professeur de l'UCL...Oui la complicité des "collabos" au Pouvoir et cela aussi bien au Fédéral qu'aux Régions envers ceux qui pratiquent la "criminalité financière" en tous genres, comme s'il s'agissait d'un sport national, dépassent l'entendement. Par rapport aux "patrons voyous" (comme le disait le perfide Sarkozy), les "barons rouges" à tous les leviers de Pouvoir ne sont pas en reste... Les "barons bleus" au Pouvoir non plus bien entendu, mais eux leurs complicité avec les barons de la "criminalité financière" cela fait partie de leur nature profonde...Qu'à cela ne tienne, on prend les mêmes et on recommence alors que l'argent dégouline des murs comme jamais, il est gros à parier que ceux la, copains comme cochons repus vont de nouveau hurler sans désemparer: "les caisses de l'Etat sont vides, bande de faignasses, de salariés de m... travaillez plus, si vous ne voulez pas voir vos acquis sociaux, pension y compris rejoindre les acquis sociaux des travailleurs africains et de tant d'autres bien entendu qui crèvent 12 heures par jours pour 2 euros à tout casser dans les mines de métaux rares" ...
Vision simpliste, si vous pissez dans un vase brisé, il ne se remplira jamais. Les décideurs sociaux vivent souvent de la misère, donc il la cultive. Le problème est plus complexe et multi-facette. "L'austérité" est une légende, les revenus de l'Etat belge sont déjà record, il faudrait surtout mieux les balancer et mieux les attribuer mais cette usine à gaz est illisible. Soyons simples, soyons dignes mais tout le monde doit aussi se comporter correctement et j'ai vu des cités sociales qui ont fonctionné pendant 50 ans devenir des taudis et des ghettos en quelques années simplement parce que le sens commun de ses habitants avait fui. Y-a-t'il de l'évasion fiscale? Oui Y-a-t'il de la fraude sociale et fiscale? Oui Cependant, on oublie de dire que la fraude sociale doit être multipliée par 4 à 6 et l'évasion fiscale divisée par 3 à 6, je vous laisse réfléchir au pourquoi si vous avez quelques notions de fiscalité. Bref, l'argent est là, peu de pays mettent autant dans les soins de santé, pensions, allocations, social et enseignement. Alors, pourquoi sommes-nous en crise sur tous ces sujets? Et nous sommes le troisième pays le plus taxés au monde aussi. Peut-être qu'il y aurait des parasites dans le système même dont il faudrait plus se préoccuper?