Coupe du monde de rugby: le XV du Trèfle, un agent pour la paix

En 1972, l’Irlande du Nord est déchirée. Le massacre du Bloody Sunday plonge la province britannique dans la violence. Les protestants loyalistes s’opposent aux catholiques républicains qui souhaitent être rattachés à la République d’Irlande. Les Troubles (1968-1998), à leur apogée, perturbent le tournoi des Cinq Nations. Par mesure de sécurité, l’Écosse et le pays de Galles refusent de jouer à Dublin. Mais l’Angleterre, pourtant visée par des menaces terroristes, accepte de se déplacer. « En arrivant à Dublin, les joueurs britanniques ont reçu une standing ovation de la part de tous les supporters », se souvient Philip Dine, professeur à la National University of Ireland, à Galway. Dans les rues, deux camps s’affrontent. Mais sur le terrain, les Irlandais applaudissent leur ennemi, preuve que « le rugby réunit le Nord et le Sud », poursuit le spécialiste. L’aspect fédérateur du XV du Trèfle s’explique par sa composition. En effet, l’équipe rassemble les deux Irlande, soit deux entités politiques différentes. Pourquoi ? « La République d’Irlande est devenue indépendante en 1922, mais l’histoire du rugby est bien antérieure. A l’origine, c’est un sport colonial importé par les Anglais », décrypte Philip Dine. Créé en 1886, le XV du Trèfle a résisté à la partition des deux Irlande. « D’abord apprécié chez la communauté protestante, le rugby a su séduire la classe moyenne catholique. Ce sport est associé à une certaine élite en Irlande », reprend le professeur. L’aspect fédérateur du rugby passe par quelques symboles, comme son hymne, l’Ireland’s Call (« l’appel de l’Irlande »). Ce dernier a été inventé en 1995 spécialement pour le XV du Trèfle. L’objectif ? Éviter le silence des Nord-Irlandais lors du chant de l’Eire. « Les supporters tolèrent l’Ireland’s Call, mais ils n’ont pas d’affection pour cette musique », indique le spécialiste. Cet hymne est le prix à payer pour avoir une équipe unifiée. Le XV du Trèfle aurait pu péricliter « Lors des Troubles, les rugbymen traversaient l’île d’Irlande, du nord au sud. Évidemment, ça crée des liens », raconte Tom English, auteur du livre No Borders : playing rugby for Ireland. Pour lui, il est évident que le XV du Trèfle a contribué à bâtir la paix en Irlande du Nord. « Même les petits clubs ont fait preuve de ténacité. Ils n’ont jamais autorisé les terroristes à tuer le rugby », continue Tom English, expliquant avec fierté qu’aucun match n’a été annulé durant la guerre civile. Pourtant, le XV du Trèfle aurait pu péricliter à de multiples reprises. En 1987, trois joueurs nord-irlandais sont touchés par une attaque à la bombe alors qu’ils se rendaient à Dublin en voiture. Blessé à la jambe, Nigel Carr devra arrêter sa carrière. Si l’attentat de l’IRA n’a pas visé les trois sportifs, les Nord-Irlandais prenaient parfois des risques en venant jouer dans le Sud. Tom English raconte : « Certains rugbymen travaillaient pour la police ou l’armée britannique, l’exemple le plus célèbre reste James Joseph McCoy. » Ancien joueur de rugby, entre 1984 et 1989, il servait aussi comme officier à la police royale de l’Ulster. « Il était escorté par la police lorsqu’il se rendait à Dublin », se rappelle Tom English. Originaire de Belfast, Trevor Ringland n’a jamais été escorté lorsqu’il jouait pour l’Irlande, entre 1981 et 1988. « Mon père officiait dans la police britannique. Quand j’avais des tickets pour qu’il vienne me voir, il ne pouvait jamais s’asseoir aux places prévues par mesure de sécurité », relate l’ex-joueur. Mais la passion de Trevor Ringland a toujours primé sur les divisions de l’île. « Il y avait ceux qui essayaient de réunir l’Irlande en tuant des gens, et les sports comme le rugby qui préféraient miser sur l’amitié », résume le quinquagénaire. Avant d’ajouter : « Je suis irlandais, je suis britannique et européen. Je ne voudrais pas qu’on retire un morceau de moi. » Trevor Ringland n’a jamais voulu choisir entre ces différentes identités. Mais comment faire en sorte que les unionistes protestants et les républicains catholiques s’unissent pour la même équipe ? « On peut parler d’identité double. Dans la vie quotidienne, un joueur peut s’identifier comme un Nord-Irlandais britannique tout en restant fier de jouer pour l’Irlande une fois sur le terrain », répond Liam O’Callaghan, professeur à l’université de Liverpool. Si le rugby a su prendre ses distances avec les Troubles, il est loin d’être un cas unique. « Beaucoup d’organisations sportives datent d’avant la partition, à l’instar du hockey ou de la boxe », rappelle le spécialiste. L’exemple le plus emblématique reste le boxeur Wayne McCullough, médaillé d’argent aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992. Originaire de Shankill Road, l’un des quartiers les plus unionistes de Belfast, il s’est battu pour les couleurs irlandaises.

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