Fabrizio Rongione refait l’Histoire

Dix ans qu’on ne l’avait plus vu seul en scène. Entre On vit peu mais on meurt longtemps et Homo sapiens, qu’il déflorera dès ce jeudi au Théâtre de la Toison d’or, Fabrizio Rongione n’a pourtant pas fait la sieste. Parmi d’autres choses, trois films avec les frères Dardenne (Le gamin au vélo, Deux jours, une nuit, La fille inconnue), trois présentations (classieuses) de la cérémonie des Magritte ou l’une ou l’autre incursion théâtrale, dont récemment dans La Vénus à la fourrure . Avouons-le : on est ravi de ce nouveau rendez-vous que ce petit-cousin de Mastroianni nous fixe sur les planches. En désormais un peu plus de vingt ans de carrière, entamée de façon tonitruante avec, excusez du peu, une Palme d’or, Rosetta, le comédien Belge d’origine italienne a eu tout le loisir de démontrer ses talents, qui sont à la hauteur du capital sympathie qu’il dégage. La patine du temps l’a, dit-il débarrassé d’un certain stress. « Humainement, je suis plus tranquille. Je sais que si je me plante, ce n’est pas si grave. » [scald=27196348:sdl_editor_representation] Homo sapiens, c’est un peu un retour aux sources. Dans les années 90, alors inconnu, il monte avec Samuel Tilman sur la scène d’une salle de l’ULB pour créer un spectacle de sketches, Les fléaux. Les deux compères sont alors étudiants en histoire. Aux lendemains de cet essai déridé, Fabrizio décide de se lancer dans l’art dramatique. Samuel se tournera quant à lui vers la réalisation. Ils sont demeurés inséparables. L’an dernier, Fabrizio campait le rôle principal dans le premier long-métrage de Samuel, Une part d’ombre . Deux décennies ont passé depuis les débuts, et les deux hommes se retrouvent aujourd’hui autour de leur vieille marotte estudiantine : l’Histoire est le thème d’Homo sapiens, un spectacle conçu pour divertir en s’instruisant. Ou pour apprendre en s’amusant. Samuel est à la mise en scène, Fabrizio au pupitre. Le spectacle a été écrit en tandem. [scald=27196347:sdl_editor_representation] « Il y a des choses qu’on n’a pas apprises à l’école », observe notre homme, qui s’interroge : de quoi se souvient-on, de nos cours d’histoire ? « Qu’elle a été racontée par les vainqueurs, les puissants, les rois, les salauds, les psychopathes. Par quelques familles qui nous ont cassé les roubignoles pendant des siècles. On n’entend pas la voix des ouvriers, des paysans, des opprimés. Pas de place non plus pour l’histoire des révoltes, à l’exception de la Révolution française. » « L’histoire est une vaste fake news » Bien qu’humoristique, l’approche est donc sociale, sinon politique. Les fake news ? Une histoire vieille de 2500 ans. Au sixième siècle avant Jésus-Christ, Sun Tzu, général chinois, insistait dans L’art de la guerre sur l’importance de la manipulation des faits dans la gestion d’un conflit. Et au fond, de Jules César à Donald Trump, tout le monde s’est comporté de la sorte. « L’histoire est une vaste fake news. » Sur l’affiche du spectacle, notre homme prend la pose romaine, tendance César, un smartphone à la main. Avec Homo sapiens, Fabrizio tente de faire le lien entre histoire et actualité, comme entre héritage et transmission. Espiègle, notre centurion à gambettes pose de drôles de questions à l’aune de la modernité. « Comment il aurait fait, Moïse, pour ouvrir la mer Rouge, s’il avait oublié son mot de passe ? » [scald=27196349:sdl_editor_representation] Les manuels scolaires d’antan, et parfois encore d’aujourd’hui, sont pétris de sexisme et de propos à relent colonialiste, sinon raciste. En bon mâle d’origine italienne, à qui on a inculqué les valeurs d’une culture patriarcale, Rongione tente courageusement de réécrire l’Histoire. En ambitionnant de casser les héritages ancestraux. Dieu le père, ce misogyne Dans Homo sapiens, sorte de revue de presse historique, on croise un fameux carnaval : Napoléon, Justin Trudeau, Fidel Castro, Jef Bezos, Vercingétorix, Hitler, Trump, Gengis Khan… et même Adam et Eve. Eve, parlons-en, s’insurge Fabrizio, qui attaque le plat de résistance du spectacle : la place de la femme dans l’Histoire. Ou plutôt son absence. Sauf pour y prendre des roustes, dont la première, légendaire, infligée par Dieu le père en personne, qui dans la Genèse avait ces mots pour la première femme : « Je rendrai tes grossesses très pénibles. Tu mettras tes enfants au monde dans la souffrance. Tu continueras à désirer ton mari. Mais lui te dominera. » Pour les militants de #Metoo, il y a du boulot. On sort à peine des cavernes, pointe l’humoriste, qui rappelle que les femmes n’ont le droit de vote (chez nous) que depuis 70 ans, le droit de travailler sans l’autorisation de leur mari que depuis 50… et qu’en Italie, l’adultère punissait les femmes jusque dans les années 70. Quant à la parité et à l’égalité des salaires, on peut toujours rêver ! Jeune père d’une petite Selma, née à l’aube du mouvement féministe de 2017, le comédien cherche avec ce spectacle à faire amende honorable. En se jurant de faire évoluer le baromètre des répartitions sexuelles. Pour y arriver, il faudra sans doute réécrire les livres d’histoire. Ce chantier-là vient de commencer. Merci, Dottore. Du 24 octobre au 9 novembre, au TTO.

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