17 Février 2008 : «Le Kosovo est né, l’onde de choc est planétaire»

Il est 15 h 39, dimanche, lorsque Hashim Thaçi prononce dans l’enceinte du Parlement kosovar les mots devenus inéluctables depuis des semaines : «Nous déclarons que le Kosovo est un pays libre, indépendant et démocratique ». Dix minutes plus tard, les élus réunis pour une session extraordinaire approuvent à main levée et à l’unanimité la « proposition » du chef du gouvernement. Hashim Thaçi remercie, dans l’ordre, les Etats-Unis, l’Otan et l’Europe. La province serbe, sous tutelle de l’ONU depuis 1999 et les bombardements de l’Otan pour chasser les forces du régime Milosevic, vient de larguer les amarres ! Le Kosovo autoproclame son indépendance, sans l’aval de la mère patrie ou des Nations unies… On s’embrasse dans l’hémicycle. Dans les rues du centre-ville, la foule qui n’a cessé de grossir, n’en peut plus de faire la fête, de danser, crier, défiler sous la bannière de l’aigle noir à deux têtes du drapeau albanais, de faire exploser des pétards ou de martyriser des tambours. Quel carnaval ! Quelle fièvre nationaliste ! Mais l’événement ne fait pas que des heureux. On n’ose imaginer les sentiments mêlés des quelques centaines de Serbes vivant encore dans des HLM de Pristina, la capitale, confrontés à la volonté inébranlable de l’immense majorité albanophone de la population. Ni les craintes des 120.000 autres Serbes restés dans ce Kosovo qui était censé redevenir multiethnique, dans des « enclaves », sortes de bantoustans protégés par l’Otan, ou au nord du territoire. A Belgrade, il est 16 heures à peine quand le Premier ministre Kostunica déclare l’indépendance «illégale », voue les Etats-Unis aux gémonies et dénonce l’Union européenne qui bafoue «les principes sur lesquels elle est basée ». L’UE elle-même est divisée : six Etats membres, par solidarité orthodoxe ou confrontés à des mouvements séparatistes, hésitent ou refuseront de reconnaître l’indépendance. Et la nouvelle tension Est-Ouest monte d’un cran : Moscou convoque d’urgence une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie, ferme alliée de Belgrade jusqu’au bout, a répertorié pas moins de deux cents mouvements séparatistes qui pourraient s’inspirer du Kosovo, à commencer par sa Tchétchénie. Le spectre de l’effet domino ou de la « grande Albanie » hante les esprits dans ces Balkans sans cesse recomposés depuis l’éclatement de la Yougoslavie – le Kosovo est le sixième Etat issu de l’ex-fédération. Alors, Hashim Thaçi s’efforce de rassurer. Oui, le Kosovo sera une « république démocratique, séculaire et multiethnique ». Oui, le Kosovo cherchera à intégrer l’Union européenne. Oui, le Kosovo est « un cas unique », « marque la fin » de la dissolution de l’ex-Yougoslavie et ne sera « pas un précédent ». Oui, l’indépendance est proclamée en concordance avec le plan de Martti Ahtisaari, l’envoyé spécial de l’ONU pour le Kosovo, qui n’a jamais pu convaincre Moscou et Belgrade d’accepter une indépendance «limitée sous supervision internationale », de l’Union européenne pour le volet civil et de l’Otan, pour le militaire. Une batterie de lois sera votée dans les prochains jours qui garantiront la non-discrimination et la protection des minorités, Serbes en tête. Le Kosovo pourra avoir un hymne national, un drapeau mais ne pourra pas fusionner avec l’Albanie ou permettre la partition des zones serbes – qui depuis toujours boycottent les institutions de Pristina. En serbe, le Premier ministre « demande à tous de comprendre que le Kosovo ne retournera jamais à la Serbie ». Mais «nous voulons de bonnes relations avec tous nos voisins, y compris la Serbie ». La rue, elle, fait la fête. Dans une atmosphère exubérante de fin de match de football, bon enfant. Dans ce pays réputé musulman, où l’Amérique de George W. Bush est incroyablement populaire, la bière Peja coule à flots. Et ce n’est pas l’appel à la prière des petites mosquées de quartier, qui ramèneront ce peuple en liesse à la modération. Samedi, des hurluberlus font le tour du bloc juchés aux portières ou sur le toit des autos. La nuit, au club Kontra, on danse dans des t-shirts arborant fièrement « Now, I have a state ». Des garçons tendent le poing et hurlent « UCK, UCK », du nom de l’armée de libération du Kosovo. Deux fiers-à-bras tirent au pistolet d’alarme en plein bistrot, avant d’embrasser leur arme. Ce dimanche, c’est reparti de plus belle. Des dizaines de milliers de piétons investissent le centre. Une pellicule de neige a recouvert la capitale. Le froid est intense. « Happy independance », proclament des banderoles. Ce soir, concerts et feux d’artifice illumineront la nuit. La chanson de U2 s’échappe des haut-parleurs : «It’s a beautiful day ». Demain est un autre jour. FICHE TECHNIQUE Superficie : 10.877 km2. Frontières avec l’Albanie, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie. Population : environ deux millions d’habitants, dont 90 % d’Albanais de souche, à 90 % musulmans. Quelque 100.000 Serbes sont restés au Kosovo après la guerre. Chef-lieu : Pristina. Langues : albanais, serbe, turc. Economie : région la plus pauvre de l’ex-Yougoslavie. L’UE est son principal donateur. Sous-sol riche en minerai (plomb, zinc, argent, chrome, fer, nickel) ainsi qu’en énergie fossile. Drapeau : il représente une carte du Kosovo dorée sur fond bleu clair avec six étoiles – une pour chacun des six principaux groupes ethniques du Kosovo. Il a été choisi parmi plusieurs projets présentés. (article paru le 18 février 2008)

Votre compte

17 Février 2008 : «Le Kosovo est né, l’onde de choc est planétaire»

Invalid Scald ID.

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en L’archive

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Décodage Ce que le clash Crucke-Bouchez dit du MR

Guerre en Ukraine: un centre de recherche nucléaire à nouveau pris pour cible à Kharkiv

Guerre en Ukraine: la Russie avance dans l’Est et Poutine joue avec la peur nucléaire

Sammy Mahdi (CD&V), le Barack Obama du Aldi, tient sa revanche

France: Macron veut un gouvernement «d’action» avec Borne pour «début juillet»

Etats-Unis: voici où l’avortement va être interdit (carte interactive)

Dépliants toutes boîtes : un vrai service à la clientèle

Le contrôle technique d’Eupen se modernise et veut augmenter ses effectifs

Près d'un Belge sur deux veut travailler dans une PME

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel