Une loi controversée sur la conservation des données en ligne

Tout comme d’autres Etats européens, le gouvernement belge voudrait faire adopter rapidement une loi sur la conservation des données de connexion à l’internet. Un nouveau projet de loi des ministres de la Justice, Koen Geens (CD&V), et de l’Agenda numérique, Alexander De Croo (Open VLD), était discuté mardi, en Commission. Dans des circonstances surprenantes. Les articles du texte ont en effet été évoqués simultanément en commission de l’Infrastructure, pour la partie concernant les opérateurs télécoms, et en commission Justice, pour les articles concernant les institutions judiciaires. Le texte impose aux opérateurs télécoms et aux fournisseurs d’accès la collecte et le stockage de données concernant les activités en ligne des internautes. Doivent notamment être conservées les sessions de connexion, les adresses d’origine et de destination des courriers électroniques, les adresses des sites visités ainsi que les dates de ces visites. C’est ce que l’on appelle les « métadonnées ». Le contenu des messages, lui, n’est pas conservé. L’accès à ces données par les personnes autorisées ne peut se faire que sur la base d’une décision motivée par un magistrat. Le texte est entouré d’une aura sulfureuse. Une première version, votée par la majorité précédente, en 2013, avait été annulée l’an dernier par la Cour constitutionnelle. Quelques mois auparavant, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà invalidé la directive que ce texte de loi transposait, dans un arrêt particulièrement vif, dénonçant « une ingérence d’une vaste ampleur et d’une gravité particulière dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, sans que cette ingérence soit limitée au strict nécessaire ». Les partisans du projet se défendent pourtant de vouloir mettre en place en Belgique une surveillance généralisée, estimant qu’une période de douze mois maximum, retenus par le nouveau texte, est « un juste milieu » entre ceux qui s’opposent au principe même de la conservation et la durée maximale de 24 mois, prévue par l’ancienne directive. « La plupart des remarques de la Cour constitutionnelle ont été prises en compte, précise encore notre interlocuteur. Par ailleurs, toutes les précautions sont prises pour assurer la protection des données. » Le texte est cependant loin de faire l’unanimité. Plusieurs acteurs, dont La ligue des droits de l’homme et la Nurpa, une association qui milite pour la défense des droits des citoyens sur le Net, ont publié lundi une analyse détaillée du projet de loi. Ils épinglent notamment la manière dont le gouvernement « évoque des termes graves et chargés en émotions comme le terrorisme, la pédophilie ou les faux médicaments sans jamais fournir de données concrètes à l’appui de leur projet de législation ». L’avocat liégeois Jean-François Henrotte, du cabinet Philippe & Partners, qui représentait le barreau francophone et germanophone devant la Cour constitutionnelle lorsqu’elle a cassé la loi précédente, se montre tout aussi sévère. Il estime que les modifications n’ont pas fondamentalement changé la donne. Pour lui, « il y a toujours des atteintes aux droits de l’homme dans ce texte. On n’a pas fondamentalement réglé le problème du secret professionnel entre un avocat et son client lorsqu’ils communiquent par voie électronique ». Mardi, en Commission, Ecolo et Groen ont obtenu que le texte revienne « en relecture », en utilisant un article du règlement de la Chambre. « Il y a des dispositions dans le nouveau texte qui ouvrent la voie à une extension dangereuse des délais de conservation, explique le député Benoît Hellings (Ecolo). La loi permet aux opérateurs de conserver certaines données durant une période qui excède les douze mois, à des fins de facturation et de marketing. Le ministre De Croo a confirmé en commission que ces données pourraient être communiquées par les opérateurs au-delà du délai légal maximal de douze mois prévu par le nouveau texte. Par ailleurs, nous avons demandé, sans succès, des statistiques précises concernant l’utilité des données conservées. Deux études allemandes récentes ont pourtant démontré que collecter massivement les données des citoyens, n’avait pas réellement d’impact sur l’élucidation des crimes graves. ».

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