La particratie et la sonnette d’alarme idéologique

Le professeur de droit constitutionnel à l’Université de Namur, Hendrik Vuye, vient de publier un nouvel ouvrage sur la particratie, Schone Schijn. Particratie wurgt democratie (Pour la frime. La démocratie étranglée par la particratie). Depuis son passage à la N-VA, l’ancien député a dû passer ses dernières années à l’hémicycle comme « backbencher », avec sa compagne de route, Veerle Wouters, les deux uniques membres du groupe Vuye&Wouters. L’unionisme fait la particratie Dans son livre, il attaque la particratie en Belgique, et dénonce le fait que la plupart des décisions politiques sont prises dans un groupe de pas plus d’une dizaine de personnes. Tous les autres élus sont, au parlement, soumis à une discipline de fer, obligés de suivre les consignes des quartiers généraux des partis. Lui-même étant la victime de cette discipline mortelle, qui l’a fait expulser de son parti d’origine, la N-VA, s’est plongé dans cet ouvrage thérapeutique, qui vient de paraître. L’origine de la particratie, selon Vuye, doit être cherchée dans les premières années de la Belgique. Ce sont les grands jours de l’unionisme, l’accord politique entre les catholiques et les libéraux qui se révoltent contre le roi Guillaume, réalisé en 1828, et qui persistera après 1830. A ce moment, au parlement, il y a des catholiques et des libéraux, mais les distinctions entre eux sont poreuses, de véritables partis politiques n’existent pas encore, permettant au roi Léopold Ier de régner sans être confronté à des partis politiques organisés. A ce sujet, Jean Gol, vice-Premier ministre libéral dominant des gouvernements Martens-Gol dans les années 1980, qui en tant qu’assistant du professeur-politicien François Perin (ULiège) écrira en 1966 une étude fascinante sur « la vie et la mort » des gouvernements au XIXe siècle. [scald=27288036:sdl_editor_representation] La manifestation des contradictions L’unionisme survivra jusqu’au moment où l’ennemi commun disparaîtra. Jusqu’en 1839, la Belgique est en guerre avec les Pays-Bas. C’est l’ennemi commun nécessaire pour fournir cette coopération étroite entre les libéraux et les catholiques. Avec la signature du traité des XXIV articles à Londres, Guillaume Ier reconnaît l’indépendance de la Belgique, et la menace étrangère disparaît. L’unionisme s’effrite, et les contradictions entre catholiques et libéraux deviennent de plus en plus claires. Le premier compromis des Belges Selon Vuye, l’unionisme n’est pas simplement une note de bas de page de la politique belge. « Il a creusé de profondes rainures dans le système politique : c’est le premier “compromis des Belges” ». Les catholiques reconnaissent les principes de la laïcité qui sont si chers aux libéraux, tels que la liberté d’opinion, l’éducation et la liberté d’association. Ils utiliseront ensuite ces libertés pour développer un « Etat », en unifiant des organisations catholiques autour de l’Eglise catholique. De nombreuses activités sociales pouvant donner lieu à des conflits entre catholiques et libéraux sont sous-traitées à l’initiative privée : l’éducation, la charité, la santé… Cela permet aux catholiques de gérer ces domaines de manière plus ou moins autonome. À partir de 1880, les socialistes appliqueront la même stratégie. Les libéraux ne suivront qu’après 1920 et resteront toujours le petit frère du pilier. Etrange paradoxe Cette pilarisation est le résultat d’un paradoxe étrange. Pendant l’unionisme, le parlement est composé de « notables indépendants », sans parti politique. Pourtant, c’est tout juste au cours de cette période que le terrain est préparé pour la particratie. Après tout, la pilarisation signifie que le pouvoir ne revient plus exclusivement au parlement. Les « sous-traitants » prennent des décisions dans des domaines politiques importants et le parlement fonctionne comme une sorte de notaire glorifié des compromis. Un équilibre garanti L’équilibre entre catholiques et libéraux a persisté en Belgique, et est devenu un des piliers de la société belge, avec un équilibre entre la forte majorité catholique dans le nord du pays et un grand nombre de libéraux au sud. Un équilibre qui a toujours été respecté et garanti par la Constitution et d’autres procédures, au niveau des entités fédérées, comme la « sonnette d’alarme idéologique », qui autorise le dépôt d’une motion s’il existe un risque de « discrimination pour raisons idéologiques et philosophiques ». Cette procédure a été introduite en 1970, lors de la création des Communautés en Belgique. Lorsque, dans le cadre de la réforme de l’État, les compétences culturelles (pour la plus grande partie) ont été transférées aux Communautés, on craignait que cela pose problème, car cet équilibre n’existait plus au niveau communautaire. Deux coups de « sonnette d’alarme » En Flandre, cette procédure n’a été enclenchée que deux fois. La première fois, en 1985, lors de la libération du marché audiovisuel, menant à l’établissement de la chaîne commerciale de télévision VTM. A cette époque, l’opposition (les écologistes et les socialistes) craignait un manque d’impartialité des programmes d’information et des règles d’éthique journalistique, comme le décrit la journaliste Marijke Libert dans son livre VTM. De euforie voorbij (VTM. Après l’euphorie). Et la semaine passée, la procédure a été utilisée pour la deuxième fois, gelant le projet de la majorité N-VA, CD&V et Open VLD de supprimer dès le premier décembre des subsides attribués à des associations socioculturelles au motif controversé qu’elles pratiqueraient la ségrégation. L’opposition soupçonne que le décret est établi pour viser des organisations telles que la Fédération des associations marocaines ou KifKif, une organisation flamande à but non lucratif qui lutte contre les inégalités et le racisme. L’initiative prise par l’opposition au parlement flamand (Groen, SP.A et PVDA-PTB) a déclenché un carrousel au terme duquel la présidente du parlement flamand, Liesbeth Homans (N-VA), ainsi que les présidents de la Chambre, du Sénat et du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (!), ont jugé la requête recevable. La Chambre et le Sénat donneront leur avis. En attendant, le décret est bloqué. Un contexte différent La conclusion, c’est que l’équilibre traditionnel entre catholiques et libéraux mais surtout les procédures utilisées pour protéger les deux groupes lorsqu’ils se retrouvent dans une position minoritaire, sont dorénavant applicables dans un contexte totalement différent : celui de l’intégration des nouveaux venus. L’accord de coalition flamande a affiné une nouvelle ligne de fracture dans ce domaine entre la droite et la gauche en Flandre, mais, apparemment, les anciens instruments du modèle de concertation belge sont toujours utiles, maintenant dans un tout autre contexte. A suivre.

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