Un «nouveau IKEA»? Il y a un hic…

Les médias ont largement fait écho à l’ouverture, le 10 février dernier, du nouveau magasin d’une firme suédoise bien connue. Le «nouveau Ikea de Mons» s’est ainsi retrouvé à la une, provoquant de nombreuses interrogations sur la régularité de cette association de nouveau et d’un mot commençant par une voyelle. Avec les adjectifs du type nouveau, nouvel, la règle est simple : nouvel s’emploie devant une voyelle (nouvel ordre) ou un h muet (nouvel habit) ; nouveau dans les autres cas (nouveau livre ; nouveau héros ; nouveau yaourt). Néanmoins ce nouveau Ikea s’inscrit dans une tendance de fond en français contemporain : la réduction du nombre des liaisons et, en conséquence, un plus grand nombre de séquences comportant deux voyelles consécutives. Postscriptum 1 On sait qu’une consonne finale de mot peut – quelquefois doit – se prononcer lorsque le mot suivant commence par une voyelle ou un h dit «muet» (non aspiré) : touT entier, diT-il, pluS habile (mais plus # hardi), etc. Cette liaison est l’héritage d’un état de langue ancien où les consonnes finales se prononçaient, quel que soit le contexte phonétique. On peut rapprocher de ce phénomène le comportement des adjectifs du type nouveau, nouvel. Ceux-ci offrent la particularité de présenter une forme différente selon qu’il y a ou non une voyelle ou un h muet qui suit : nouvel épisode, nouvel horaire, mais nouveau venu, nouveau hold-up. Fonctionnent de manière similaire les adjectifs beau/bel, fou/fol, mou/mol, vieux/vieil. D’où bel étage, fol enthousiasme, mol abandon, vieil habit, mais beau quartier,fou rire, vieux voisin. Cette alternance de formes s’observe lorsque l’adjectif se trouve devant le nom qu’il qualifie (voir les exemples ci-dessus). Dans d’autres contextes, le comportement de nouveau/nouvel peut différer. Ainsi, devant la conjonction de coordination et, qui est une voyelle, on trouve le plus souvent nouveau : c’est nouveau et pas cher ; un nouveau et confortable appartement, etc. Seules des locutions figées comme bel et bien, bel et bon se conforment à la règle énoncée plus haut. Il en va de même avec la préposition à : c’est nouveau à Bruxelles. Les autres adjectifs cités se comportent de la même manière : beau et fier, fou à lier, vieux et distingué, etc. Postscriptum 2 Le «nouveau Ikea» s’est retrouvé dans plusieurs médias, y compris en France, ce qui me fait soupçonner la reprise «fidèle» d’un communiqué de presse. Comme l’ont remarqué plusieurs internautes (dont Nicolas Ancion, que je remercie de m’avoir alerté), il y a là une entorse aux règles de prononciation qui préconisent nouvel Ikea. Mais comment expliquer cette erreur de montage ? On fera d’abord remarquer qu’elle n’est pas un phénomène isolé. Le Bon usage (15e édition, 2011, § 46e) cite plusieurs écrivains qui emploient l’adjectif vieux devant voyelle, alors que vieil est attendu : «Un vieux appareil (Gide)», «Un vieux Allemand (Pieyre de Mandiargues)», «Un vieux olivier (Le Clézio)». Il n’est pas étonnant que nouveau donne lieu au même type de «licence». Pour le Bon usage, il y a là «soit reflet de la langue familière, soit intention de donner à l’adjectif plus de relief, vieil formant souvent avec le nom une espèce de locution». Dans le cas de nouveau, le premier argument me semble pertinent. On constate en effet aujourd’hui une nette propension à éviter certaines liaisons, pourtant considérées comme obligatoires. Plusieurs lecteurs m’ont déjà interpellé sur des prononciations du type «deux # avril», «cent # euros», sans liaison. Il y a là une caractéristique du registre familier, laquelle s’oppose au plus grand nombre de liaisons pratiquées en registre soutenu. L’absence de liaison – dans des contextes où elle est obligatoire – me semble fréquente avec des noms propres. On peut entendre «c’est un nouveau Andy Warhol», «j’ai acheté le nouveau Ancion» et… «ouverture du nouveau Ikea». Je vous le disais dans une précédente chronique : la prononciation du français est complexe, plus compliquée même qu’une notice… Ikea. Addendum aux chroniques du 10 février 2016 et du 13 février 2016 Merci aux intervenants qui ont contribué au débat sur les rectifications orthographiques, évoquées dans mes billets consacrés à l’accent circonflexe et au soldat Oignon. Comme cela a été clairement rappelé, les formes «rectifiées» ne sont pas imposées aux usagers. En outre, elles ne concernent que l’orthographe dite d’usage, et non l’orthographe grammaticale. La portée symbolique de cette «tempête dans un verre d’eau» est donc inversement proportionnelle à son champ d’application dans la langue. En complément des références déjà proposées par les lecteurs, je recommande le livre de Georges Legros et Marie-Louise Moreau, Orthographe : qui a peur de la réforme ?, publié par le Service de la langue française (Fédération Wallonie-Bruxelles) en 2012 et qui est accessible en ligne. Les personnes qui souhaitent mieux identifier les modifications apportées (et les justifications qui leur sont liées) peuvent consulter le site RENOUVEAU (Réseau pour la nouvelle orthographe du français), lequel reprend les quelque 2.000 mots concernés. Moderato cantabile Cette chronique a démarré sur les chapeaux de roue, au rythme de deux parutions par semaine. Mais qui veut voyager loin ménage sa monture… Laquelle ne manque certainement pas de nourriture : vos nombreuses réactions fournissent la provende nécessaire. Mais plutôt de temps : celui de rédiger un texte qui rencontre vos attentes, celui de répondre à certaines de vos interventions. Dès la semaine prochaine, cette chronique deviendra hebdomadaire et paraîtra chaque samedi. Merci pour votre compréhension et pour votre contribution. Réduire la voilure, certes, mais pour mieux garder le cap !

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