Michèle Noiret: duos en cascades

Un homme, une femme. Un couple ? Peut-être. En tout cas deux êtres qui tentent d’échapper à l’œil inquisiteur des caméras. C’est grâce à celles-ci que les spectateurs présents dans la grande salle du Théâtre National suivent leurs déplacements. Les voici dans un couloir, puis dans une cage d’escalier, un autre couloir, devant une porte d’ascenseur… Où vont-ils ? Que cherchent-ils ? À leurs coups d’œil rapides vers les objectifs qui les épient, on devine qu’ils cherchent un endroit tranquille, à l’écart de tous et surtout de ces maudites caméras qui ont envahi notre quotidien. En quête d’intimité Soudain, ils déboulent dans la salle, côté spectateurs. Toujours filmés et visibles sur grand écran mais enfin présents en chair et en os. C’est sur scène, face aux spectateurs, qu’ils trouvent enfin un lieu échappant aux caméras. Une sorte d’intimité exclusivement partagée avec les spectateurs. Ou presque. Certains déplacements vers l’arrière-scène sont malgré tout captés par un objectif aussi indiscret qu’invisible. Qu’importe, leur pas de deux peut enfin se développer même si l’inquiétude reste palpable. Avec L’escalier rouge, Michèle Noiret livre avec David Drouard un nouveau « court-métrage scénique » d’une vingtaine de minutes. Une pièce chorégraphique aux allures de plan séquence associant corps en direct et images noir et blanc dans un mélange de suspense et de séduction avec de petites touches d’humour. Jusqu’à l’envol final… Derrière les apparences Quelques minutes pour changer le décor et on retrouve la chorégraphe et danseuse, toujours sur grand écran. Filmée dans son studio, elle travaille avec deux collaboratrices. Puis un bruit, une sensation la pousse à se lever et à se diriger vers la porte. À partir du moment où elle entrouvre celle-ci, tout bascule dans une autre dimension. Bienvenue dans Radioscopies. Un titre en référence directe à la mythique émission radio de Jacques Chancel mais aussi peut-être à cette technique d’imagerie médicale permettant de voir ce qui se cache derrière les apparences, à l’intérieur d’un corps. Car c’est bien cet univers caché qui intéresse Michèle Noiret. Et c’est ce qu’elle a retrouvé chez l’écrivain belge Conrad Detrez qui a inspiré ce spectacle et dont on entend quelques phrases évoquant le merveilleux, l’imaginaire et la certitude que chacun de nous possède plusieurs personnalités. Une femme et son double À partir de là, la chorégraphe a imaginé un étrange jeu de rôle dont elle est à nouveau la seule interprète féminine. Rien de fantastique ou de terrifiant dans cet univers. Juste ce qui pourrait s’apparenter à une rêverie, un fantasme, un désir. Sur l’écran toujours, Michèle Noiret se dédouble. Elle est à la fois cette femme en robe rouge lancée dans une danse sensuelle et solitaire… et cette même femme observant son double à bonne distance. Bientôt, un homme (Isael Mata) fera son apparition surgissant de l’extérieur, montant les escaliers quatre à quatre, se perdant dans un dédale d’étagères… Tension et tendresse Il y a, comme toujours chez la chorégraphe, une ambiance rappelant certains films noirs, du côté de Hitchcock avec son mélange de banalité et d’angoisse. Mais l’angoisse n’est pas vraiment le moteur de cette création. Si on s’interroge logiquement sur la présence de cet homme, sur sa relation avec la femme qui vit dans cette maison, on oublie vite les questions pour se laisser captiver par la danse sensuelle qui les unit. Une certaine tension plane constamment mais on est plus proche de la tendresse que de l’agression. On ignore (et on continuera à ignorer) ce qui unit les deux protagonistes mais on s’attache à leur duo, à leurs apparitions sur scène et sur écran, devant et derrière un étonnant décor mobile reproduisant une partie du véritable studio de l’artiste. On s’interroge aussi sur ce qui se passe à l’abri de notre regard mais que la caméra prétend nous révéler. Que se passe-t-il vraiment sur scène et en dehors ? Qui sont vraiment les individus se mouvant sous nos yeux ? Michèle Noiret et Isael Mata ? Des personnages qu’ils incarnent ? Les fantasmes de ces personnages ou leurs fantasmes propres. En nous entraînant du côté de ce qui est caché, Michèle Noiret ouvre les portes mais ne les referme jamais. Chaque révélation entraîne de nouvelles questions, de nouveaux rêves, de nouveaux secrets. Un puits sans fin…

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