Lourdes, en pleine crise de foi

Sainte-Bernadette de Lourdes, fêtée le 18 février, souffrirait-elle d’une baisse de popularité ? C’est la question que posent les récents chiffres livrés par les autorités de la ville de Lourdes à la presse cette semaine. D’après ces informations, la cité mariale des Pyrénées françaises subirait, depuis quelques années, une importante diminution de fréquentation. Les entreprises touristiques de la ville (magasins de souvenirs et hôtels) ont accusé une chute de 9 % de leur chiffre d’affaires entre 2009 et 2014. Une tendance à la baisse « inquiétante » pour la ville de Lourdes, mais visiblement moins pour le sanctuaire religieux Notre-Dame de Lourdes. Contacté par Le Soir , le service de communication du sanctuaire admet une diminution des fréquentations mais souligne la difficulté de chiffrer avec exactitude les visites individuelles : « Les sanctuaires sont répartis sur un grand domaine de cinquante hectares avec huit entrées. Le site est gratuit, ouvert 365 jours par an, 24h/24. Il nous est impossible de compter le nombre de personnes qui entrent. Il y a bien une diminution des pèlerinages organisés, mais, insiste-t-on, cela ne veut pas dire que le nombre total de visiteurs baisse ». En 2014, 638.824 personnes ont participé à des pèlerinages organisés par un diocèse ou une paroisse. Le discours du sanctuaire résonne également du côté de la fédération des pèlerinages du Benelux. Au début des années 2000, plus de 20.000 Belges prenaient part, chaque année, à des pèlerinages à Lourdes organisés par leur diocèse. En 2010, une nette baisse s’est fait sentir et ils ne sont, depuis, plus qu’environ 15.000. Selon Julienne Vankemseke de la fédération, « ces chiffres sont en diminution depuis quelques années car de plus en plus de gens vont à Lourdes par eux-mêmes ». Les fruits du « tourisme spirituel » Les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous en 1858 et les guérisons miraculeuses de malades ont fait de la grotte de Lourdes et de ses sanctuaires le plus grand centre de pèlerinage catholique français. Les visiteurs y viennent chaque année du monde entier, principalement de France, d’Italie et d’Espagne. Ils sont d’un âge plutôt avancé, mais pas exclusivement, dit-on au sanctuaire : « Il y a aussi un enthousiasme chez les jeunes, qui sont très attirés par la notion de service aux malades . » L’impact touristique des pèlerinages sur la ville est considérable : des centaines de restaurants, hôtels et magasins de souvenirs y ont fleuri au fil des décennies. Mais depuis quelques années, une diminution sévère du nombre d’hôtels s’observe : leur nombre serait passé de 320 dans les années 90, à 160 aujourd’hui. Selon l’adjoint au maire et délégué au redressement économique et touristique de la ville de Lourdes, Bruno Vinuales, cette diminution s’explique évidemment par la baisse de fréquentation touristique, mais pas seulement : « Les normes de sécurité ont été modifiées et les hôtels se sont restructurés pour s’adapter à la demande touristique massive des tour-opérateurs » Résultat : Lourdes dispose de moins d’infrastructures qu’avant, mais les hôtels ont une plus grande capacité d’accueil et un standing de plus en plus élevé. Pour Christian Terras, spécialiste de la religion catholique, la ville subit aujourd’hui les conséquences d’une « mercantilisation » : « Lourdes apparaît comme une ville trop marchande, elle a perdu de son attractivité comme sanctuaire spirituel et miraculeux. » Un reproche fréquent, mais démesuré, selon Bruno Vinuales : « Il y a deux rues pour accéder aux sanctuaires, et c’est vrai qu’elles sont garnies de commerces. Mais leur nombre, par rapport au nombre de visiteurs, n’est pas disproportionné. Par contre, il est vrai qu’en raison de la baisse de fréquentation, les boutiques se sont adaptées et vendent maintenant d’autres produits que des objets de piété, tels que des savons, des vêtements, etc. » Crises et mutations Le contexte de crise économique, particulièrement en Italie et en Espagne, est pour beaucoup dans la baisse de fréquentation subie ces dernières années. Selon l’union italienne des pèlerinages à Lourdes, le nombre de pèlerins italiens a baissé de près de 50 % entre 2010 et 2014. Certains pèlerins italiens préféreraient désormais fréquenter le site, plus proche, de Medjugorje en Bosnie-Herzégovine, également connu pour ses apparitions de la Vierge. Mais au sanctuaire de Lourdes, on réfute l’idée d’une telle rivalité : « Le sanctuaire de Bosnie n’est pas officiellement reconnu par l’Eglise et n’a pas la capacité d’accueillir d’énormes groupes. Mais, de toute façon, il n’y a pas de logique de concurrence, tout ce que nous voulons c’est que le message de l’Evangile soit transmis. » L’analyse est davantage sociale et religieuse qu’économique : « Il y a une crise de la foi en Europe, c’est indéniable ». Ce recul du religieux, et des pèlerinages organisés, s’accompagne d’une mutation : « Il y a un changement de la pratique religieuse : elle est devenue privée, plus personnelle, alors qu’avant elle était institutionnalisée et collective. » L’explication est claire : la religion se pratiquant de façon plus intime, le voyage spirituel s’organise, lui, de façon plus individuelle. Une nouvelle manière de voyager qui s’explique également, selon la mairie de Lourdes, par l’arrivée du numérique et du low-cost : « Les gens ont accès à l’information, ils se rendent compte qu’ils peuvent payer moins cher en se débrouillant tout seul. » La « crise » multiple, économique, religieuse et sociale, de Lourdes, peut-elle être porteuse de transformations positives ? À « l’ère de la spiritualité », Lourdes « n’a jamais eu autant de potentiel », affirme ainsi Bruno Vinuales. La ville a développé un panel de stratégies : renforcer l’accueil des malades en faisant de Lourdes une « destination pour tous », accessible à toutes les formes de handicap et insister sur les richesses naturelles, fleuves et montagnes, de la région. Le sanctuaire, lui aussi, s’adapte et tente d’offrir un meilleur accueil individualisé à ses « nouveaux pèlerins ». On n’y parle cependant pas de « stratégie » : « Nous sommes une institution de l’Eglise, pas une entreprise. Pas question pour nous de penser en termes de “niches”, de personnes à cibler. Nous n’avons pas la même analyse que les préfectures, notre démarche n’est pas purement chiffrée. » Lourdes, incarnation d’une religion changeante et d’une économie tremblante, n’aura donc pas besoin d’un miracle si elle parvient à s’adapter aux défis actuels. Une crise de foi… et c’est reparti !

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