Umberto Eco: le plaisir et le partage

En 2003, Umberto Eco révélait à Bruxelles un autre de ses talents en mettant en scène l’exposition Vénus dévoilée au Palais des Beaux-Arts, dans le cadre d’Europalia Italie. Une exposition qui, comme ses livres, parvenait à séduire, à intriguer et à nous apprendre mille choses au long d’un parcours passionnant jalonné de chefs-d’œuvre. « Il y a 30 ans, j’ai écrit un essai sur l’idée d’un musée autour d’une seule œuvre, nous expliquait-il à l’époque. Personnellement, quand je rentre dans un musée, je ne suis pas capable de passer de chef-d’œuvre en chef-d’œuvre en une ou deux heures. Lorsque je me trouve face à une œuvre qui me trouble, je me concentre sur celle-ci. Après, je ne suis plus disponible pour les autres. Il y a trop de choses dans une seule. Au fil des ans, on m’a plusieurs fois parlé de la possibilité de réaliser cette idée d’un musée autour d’une seule œuvre. Mais jamais avec l’ampleur de ce qui est présenté ici. Le temps a passé, et, un jour, invité à parler au Musée Guggenheim de Bilbao et ne sachant quoi dire, j’ai reparlé de cette idée. » Et d’ajouter goguenard : « Paul Dujardin, directeur du palais des Beaux-Arts de Bruxelles, qui était présent, a alors été saisi par une sorte de… fulgurance mystique. » Dujardin prend Umberto Eco au mot et lui propose de réaliser, à défaut du musée, l’exposition dont il rêve. Au départ, les deux hommes pensent partir de La primavera de Botticelli. « J’avais des idées autour de cette peinture. Malheureusement, celle-ci s’avéra vite indisponible. Finalement, ce sera « La Vénus d’Urbino » du Titien… qui n’est pas mal non plus, rigole Eco, mais sur laquelle je n’avais pas d’idées précises. En fait, j’ai appris tout ce que je sais d’elle au cours de la conception de cette exposition. Je me sens donc comme un visiteur qui veut apprendre et j’espère que les autres visiteurs y prendront le même plaisir que moi. » Envie et plaisir d’apprendre mais aussi de partager ses découvertes : voilà bien l’essence de l’œuvre d’Umberto Eco. Comme avec Le nom de la Rose qui, sous la forme d’un polar moyen-âgeux, abordait mille thèmes passionnants dans un récit foisonnant et haletant, sa Vénus dévoilée ne se révélait que petit à petit à travers d’autres œuvres, des projections, documents, livres anciens… Nous plongeant dans l’histoire de la famille Della Rovere, commanditaire du tableau, Eco montrait notamment que la Vénus était certes un mythe et un symbole nuptial… mais que le tableau était aussi porteur d’une charge érotique qui ne devait rien au hasard. Erudition et plaisir, sérieux et humour, tout Eco était présent dans cette exposition où l’on croisait Versace et de Chirico, Dürer et Magritte, le Tintoret et Christo… Un parcours où le visiteur découvrait, s’étonnait, s’enthousiasmait et revenait constamment à la toile initiale qu’il regardait, en sortant, d’un œil neuf, plus fasciné encore qu’auparavant. Tel Umberto Eco lui-même.

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