Les Racines élémentaires de Guillermo Guiz: «J’ai toujours affronté la vie par le prisme de l’humour»

Cela fait des semaines qu’il rode et peaufine son nouveau spectacle, « Au suivant », dans lequel il aborde le thème de la transmission, y parle de son père, des femmes, ou de sa vie de nouvelle vedette de quartier. Pour ce qu’on en a vu, cela promet. Portrait-entretien, côté coulisses et sans make-up, du « roi de la vanne ». Je ne serais pas devenu qui je suis si… Si je n’avais pas eu une tonne de foirages et d’échecs, qui m’ont mené à finalement me dire un jour, « foutu pour foutu », vu que je suis quand même au bout du rouleau, je vais essayer de monter sur une scène et de faire rire des gens. C’est une somme d’échecs sentimentaux, professionnels, financiers. Un jour, j’ai compilé tout ça, j’ai tricoté, et fait des blagues avec. Je fais du stand-up, mais je n’y étais pas du tout programmé. C’est arrivé par hasard dans ma vie. J’ai essayé le dessin, le roman, le journalisme… ça ne marchait pas. Et tous ces échecs, toutes ces frustrations ont alimenté ce que je suis devenu. Commençons par le début. Enfant, vous rêviez de quoi ? De football. Je commence le foot à sept ans. Et de sept à dix-huit ans, je suis persuadé que je vais devenir professionnel. Et que c’est mon destin. Je ne me voyais pas faire autre chose. J’ai appris à compter avec les paninis et les figurines des Diables rouges à Mexico, en 1986. J’étais passionné. Ça me dévorait. Dès mes trois ans, je jouais au foot tout le temps. Je me suis inscrit dans un club, au RWDM… mon père était fan. J’y suis resté quatre ans. Puis de mes douze à mes quinze ans, je suis parti au Standard. A douze ans, j’ai fait des entraînements avec l’équipe nationale. A 12 ans, je change de nom de famille, je laisse le nom de ma mère pour prendre celui de mon père. Je deviens Guy Verstraeten, là j’ai une intuition : même si je perce dans le foot, personne n’aura envie de porter un maillot floqué « Verstraeten ». Avec le recul, je l’avais senti ! [scald=27353243:sdl_editor_representation] Comment ça se passait pratiquement, à la maison, avec vos déplacements au Standard ? Le problème, au Standard, c’est qu’ils voulaient que j’aille m’installer là-bas en foot-étude. Sauf que j’aurais dû vivre à Seraing, dans un internat, et comme mon père ne travaillait plus, c’était compliqué financièrement de faire les allers-retours. Je me souviens d’un jour assez déchirant. Il vient me voir, il me dit « écoute, j’ai réfléchi toute la nuit, mais je ne vais pas pouvoir… » Ça a été une grosse désillusion. Puis je suis parti à l’Union saint-gilloise. Là-bas, je fais une saison tonitruante, et Anderlecht vient me recruter. J’y fais une autre grosse saison. Je joue notamment avec Olivier Deschacht. J’étais parti. Puis, mon corps m’a lâché. A seize ans, je me fais opérer des deux rotules. Je manque neuf mois de compétition. Après, j’essaie de revenir. Mais entre-temps, tous mes muscles avaient fondu. Je n’ai jamais réussi à revenir. A 23 ans, vous quittez la Belgique et partez un an en Espagne… Ça devait être un tour du monde. Un jour, je suis chez ma sœur et je réalise en tombant sur un set de table représentant la planète à quel point la Belgique est un point minuscule. Je me dis « c’est pas possible, il faut que je voie le monde ». J’appelle mon meilleur ami, je lui propose de partir faire un tour du monde. Et on se casse en Espagne… pour commencer le tour du monde « bronzés ! » Sauf que moi, après trois semaines à Madrid, j’avais tout donné, plus de pognon… et mon pote, après dix jours, il est rentré à la maison ! Moi je suis resté un an là-bas, où j’ai travaillé dans des bars complètement interlopes, pour des salaires de misère. Quand je recevais la paie, je payais le loyer et je commençais le mois à zéro. Alors je me débrouillais. Je piquais dans la caisse. J’étais pas fier, mais bon… Mon tour du monde s’est donc arrêté là. C’était le tour du monde le plus rapidement torché de toute l’aventure humaine. Que faisiez-vous, à Madrid ? J’écrivais. J’ai commencé des tas de débuts de romans. C’était toujours très autobiographique. Fondamentalement, je crois que j’ai toujours voulu raconter au monde à quel point j’étais quelqu’un de formidable (rires). Et à quel point il fallait absolument que les gens soient au courant du grand destin qui m’attendait. Mais tout ce que j’écrivais était nul. Chaque fois que je me relisais après vingt pages, j’avais envie de mourir, c’était une catastrophe. Que recherchiez-vous ? J’ai toujours eu peur de l’ordinaire. Peur de ne pas m’extraire du troupeau. Quand j’étais petit, je voulais être quelqu’un de spécial. Quand je regardais Ardisson à la télé, quand j’avais seize ans, je me fantasmais interviewé par lui. Et puis un jour c’est arrivé… et ça a été le pire moment télé de ma vie. Comment s’est achevée l’expérience espagnole ? J’étais à sec… alors je suis rentré à Bruxelles. Comme je n’avais plus de quoi payer l’avion, mon père a dû venir me chercher. En voiture ! Une Suzuki Swift. Et le road-trip que j’ai fait avec mon père, de Madrid à Bruxelles, ça a été l’une des plus belles choses qui m’est arrivée dans la vie. Vous évoquiez en débutant le côté initiatique des échecs. Y a-t-il eu un moment de basculement ? En 2013. Je sortais d’une expérience dans la nuit. J’en suis sorti lessivé à tous niveaux, mentalement, financièrement. Je n’avais vraiment plus rien, ni argent, ni logement. Je vivais chez des amis. Je sortais d’années de journalisme qui avaient été un peu insatisfaisantes. A la fin, je cachetonnais… c’était inintéressant. J’ai cru un moment que j’allais devenir un grand reporter, et puis… bah ça s’est détricoté. Comme journaliste indépendant, tu travailles beaucoup, tu gagnes peu. Et tu es du coup obligé de trouver des à côté journalistiques, qui sont nettement moins intéressants mais plus rémunérateurs. C’est ce que j’ai fait à un moment, par exemple des dossiers sur l’immobilier. Sauf qu’en gagnant bien ma vie dans ce type de journalisme, je m’emmerdais. Combien coûte une villa au Coq ? Franchement, je m’en tape… Quel type de journalisme vous faisait rêver ? Le journalisme politique. Je voulais être Bénédicte Vaes – ça m'a fait beaucoup de peine quand elle a quitté ce bas monde. Ou Pierre Bouillon. Des gens comme ça. Je voulais être une plume politique au Soir. Ou être Luc Honorez. La première fois que j’ai écrit dans Le Soir, c’était en 2005, je crois. C’était pour un match de division 3. Je l’avais caché exprès à mon père. Et le lundi matin, quand est sorti Le Soir, avec mes initiales, on était dans un café, ici, rue Wayez. Je dis à mon père « attends, je vais chercher Le Soir ». Je reviens, je lui dis « tiens, regarde cet article ». Il ne comprend pas pourquoi je lui fais lire le résumé d’un match obscur de division 3. Mais à un moment il tombe sur la signature, il comprend que c’est moi… Pour moi, Le Soir, c’était un rêve. J’étais tellement fier. Quelques mois plus tard, j’arrive au Soir comme stagiaire. Je me fais dégager après deux semaines alors que je n’avais rien fait… peut-être juste une dépêche. Je me dis « c’est pas possible, quoi ! » Et là, Catherine Degan et Julie Huon, avec qui je m’étais fait copain, m’ont donné des trucs à faire, hors stage. Thierry Fiorilli tombe un jour dessus et dit « eh, pas mal ! C’est qui, ce mec ? » C’est comme ça que j’ai commencé. J’avais le pied dans la porte, et je me suis faufilé pour rester au Soir. Qu’est-ce qui a coincé ? Au Soir, ce qui s’est passé, c’est que j’ai un peu rongé mon frein comme chroniqueur de la vie locale anderlechtoise et molenbeekoise. Et ça n’a jamais décollé comme j’aurais voulu que ça décolle. C’est là que j’ai pris le pas vers le journalisme rémunérateur. Et dès que j’ai eu une porte de sortie hors journalisme, je me suis barré. On est alors en 2011, et j’entre dans le monde de la nuit, que je fréquentais depuis mes vingt ans. Je tenais jusque-là dans Le Soir une rubrique qui s’appelait Tenue de soirée, je pense, et qui parlait de ce monde de la nuit. Je tenais une autre chronique dans Focus Vif, Night in night out. Une chronique plus personnelle, dans laquelle j’utilisais le « je », et où intervenait pour la première fois le personnage de Guillermo Guiz. [scald=27353244:sdl_editor_representation] Ça change quoi, l’arrivée de ce double ? Avant ça, j’écrivais des papiers dans Le Soir où j’essayais le plus souvent possible de placer une blague ou l’autre. Mais tout d’un coup ici, je me retrouve dans un truc où la blague, ça devient le moteur, et où on me pousse à me lâcher. J’écrivais le dimanche après-midi en mode gueule de boîte absolue, du week-end où j’étais souvent encore mort saoul, et ça sortait le lundi matin. Je racontais ma vie de sortie. C’était des papiers interminables, d’une densité frénétique, que j’écrivais parfois avec la barre dans la tête. On sentait que j’avais très envie de raconter ma vie… Votre vie bascule en 2013. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui a provoqué le déclic, l’envie de changer de vie ? Comme j’écrivais sur le monde de la nuit, un pote à moi qui avait ouvert une boîte de nuit, le VIP Room, m’a un jour proposé de devenir directeur artistique de cette boîte. C’est ce qui s’est passé. Par amitié, je suis devenu manager. Or, je ne suis pas fait pour être un chef. Je n’ai jamais aimé les chefs. J’ai toujours voulu organiser ma vie de telle manière à ne pas avoir de chef. Lorsque je l’ai été, c’était contre nature. Je ne me reconnaissais pas. Je me trouvais nul, ridicule. Qui plus est, le contexte n’était pas très sain, financièrement. A l’époque, je me débattais dans plein de problèmes. Alors après deux ans, ça s’est arrêté. C’était au fond l’extension de vos chroniques dans le monde de la nuit… Oui et non. Car mes chroniques, Night in night, out, parlaient de la nuit branchée cool. Et cette boîte, c’était tout l’inverse. C’était bling bling, avec des gens qui claquaient des tonnes pour acheter du champagne, ce qui ne me correspondait pas du tout. Quand j’écrivais mes chroniques, je me moquais de ces nuits-là. Plein de gens qui me connaissaient avant cette expérience me disaient « ça ne te ressemble pas », « tu t’es trahi »… Et c’est vrai. Mais ça correspondait à une partie de moi, celle du mec fidèle en amitié et celle du mec superficiel. On faisait des trucs cool, ceci dit. On invitait De La Soul, Kelis… mais on vivait au-dessus de nos moyens, il y avait trop d’argent dépensé. Et puis un soir, on dépense une fortune pour inviter Paris Hilton. C’était un sacré coup, tous les médias étaient là pour la voir… mais elle était dans une bulle, et dans la salle, il n’y avait personne. Paris Hilton, quand tu veux tu rends l’argent, hein ! (rires) Que serait devenu Guy, sans Guillermo ? Je crois que je serais journaliste. Je serais retourné à Focus Vif, et j’aurais fait des piges. Je sais ceci dit que tout ça va finir un jour. Que ce soit de manière brutale ou pas, pour un mot, pour une blague mal ajustée… Une fin de carrière peut arriver n’importe quand… et tu seras très vite oublié. Personne ne te regrettera.

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