Kobe Bryant: un décès qui ébranle un monde et ses certitudes

Le champion américain de basket Kobe Bryant est mort dimanche en Californie dans un accident d’hélicoptère et son décès soulève une immense vague d’émotion. Cette dernière est en lien avec un palmarès richement garni, avec la place à part que le sportif a acquise au sein de sa discipline, avec la célébrité qu’il a embrassée depuis longtemps. Mais aussi plus que vraisemblablement pour le surplus – et dans des proportions impossibles à préciser – avec les circonstances de son décès. [scald=27390327:sdl_editor_representation] « Le fait que ce soit une star et la circonstance que sa mort intervienne par surprise sont deux éléments qui expliquent l’émotion suscitée. Ils participent à faire du fait divers un phénomène de société », affirme Jean-Michel Longneaux, professeur de philosophie (UNamur) et auteur de Finitude, solitude, incertitude (février 2020). « Pour comprendre l’émotion qu’un décès comme celui suscite, il faut se décaler quelque peu de l’événement en question, la mort soudaine d’un sportif célèbre en l’occurrence, à ce qu’il provoque chez ceux qui y assistent. » Que peut donc bien provoquer la mort d’une star mondiale comme Kobe Bryant, que peut-on y voir de plus « universel » ? Pour Jean-Michel Longneaux, la réponse tient notamment à l’ébranlement « d’un monde » et de ses certitudes : « Un monde où les enfants doivent vivre, où les gens qui ont réussi dans la vie doivent vivre. Dit autrement, il y a chez l’être humain un désir fondamental de choses qu’ils considèrent comme lui étant dues. Pour un fan de Kobe Bryant, il ne peut rien arriver à un joueur de 40 ans comme lui, devenu une star adulée, il doit pouvoir vivre, profiter de sa famille… Et assister à sa mort revient à constater qu’il n’y a rien de dû, et ce, pour personne. » [scald=27390331:sdl_editor_representation] « Rien n’est dû » A cet égard, la mort d’une star de basket à peine retraitée est comparable jusqu’à un certain point à celle d’un enfant, les deux décès « volant » des vies, paraissant « injustes » par rapport à un certain ordre des choses et renvoyant à une incapacité majeure donc : celle pour tout un chacun d’accepter « que rien n’est dû et que le monde est fondamentalement incertain et imprévisible », indique Jean-Michel Longneaux. Les sportifs de haut niveau, plus que d’autres, incarnent en outre la possibilité de « maîtriser une vie, d’en contrôler le cours » : « Pour arriver là où ils sont, il faut certes du talent et un peu de chance mais surtout beaucoup de travail », affirme Jean-Michel Lorgneaux. « Arrivés, ils représentent la réussite sportive et financière, jouent un rôle de modèles et font passer l’idée que n’importe qui au fond, s’il tombe sur les bonnes personnes, s’il fait les efforts qu’il faut, peut devenir quelqu’un qui sort du lot. » Un décès accidentel comme celui de Kobe Bryant lorsqu’il survient porte un coup à cet espoir de contrôle, de maîtrise et souligne toute la fragilité d’une existence… « C’est aussi par prolongement à notre impuissance que cet accident nous renvoie donc », affirme Jean-Michel Longneaux. [scald=27390326:sdl_editor_representation] « L’effet de surprise est capital dans l’émotion ressentie », confirme pour sa part Olivier Luminet, professeur de psychologie clinique (UCLouvain et ULB). « Mais aussi le fait que Kobe Bryant soit quelqu’un de jeune. Tout cela heurte certaines de nos croyances de base, notamment celle qui veut que l’on meure normalement plus vieux, et génère par conséquent une forte émotion. » Olivier Luminet pointe également un effet médiatique qui amplifie l’émotion individuelle. « Dans des circonstances émotionnellement fortes comme celles-là, pour peu qu’ils se sentent concernés bien sûr, les gens sont capables de se souvenir pendant longtemps du moment auquel ils ont appris la nouvelle. Ce sont les “souvenirs flashs” comme on les appelle et ils peuvent contenir des souvenirs très précis comme la chanson qui passe à la radio à ce moment-là ou les vêtements portés par une personne à proximité… » Plusieurs morts accidentelles de sportifs ont été marquantes ces dernières années. L’exemple le plus évident est sans doute celui d’Emiliano Sala, joueur argentin du championnat français disparu après le crash de l’avion qui le transportait en janvier 2019. Un autre est celui de François Sterchele, attaquant belge fauché dans un accident de voiture en 2008. Dans les deux cas, les circonstances dramatiques du décès ont conféré une place à part aux sportifs dans la mémoire collective.

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