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Sepp Blatter, souvent touché, jamais coulé

Malgré tous les tourments qu’a traversé et que connaît actuellement la Fifa, le Suisse reste le favori à sa propre succession, pour un 5e mandat, ce vendredi à Zurich.

Journaliste au service Sports Temps de lecture: 8 min

Après les retraits du président de la fédération néerlandaise, Michel van Praag (67), et de l’ex-icône portugaise, Luis Figo (42), seul le prince de Jordanie, Ali bin Al-Hussein(39), peut encore empêcher Joseph Blatter d’accaparer, ce vendredi à Zurich, un cinquième mandat à la tête de la Fifa, la Fédération internationale de football, que le quasi-octogénaire suisse préside depuis 1998 et dont il fut, à partir de 1981, le secrétaire général sous l’égide d’un João Havelange, déjà expert dans l’art de la concussion. Une longévité d’autant plus singulière que l’association enchaîne les scandales, avérés ou présumés, entachant y compris la toute première élection de Joseph Blatter et à son paroxysme mercredi avec des arrestations en cascade dans les plus hautes sphères de cette instance internationale, perquisitionnée à son tour. Non seulement, Blatter n’a jamais été rattrapé – la ministre de la Justice américaine, Loretta Lynch, nommée expressément par Obama et à l’initiative de cette toute récente affaire, a précisé qu’il n’était pas concerné par l’enquête –, mais, en plus, sa capacité à transformer la Fifa en une source de profit inextinguible, ou presque, valide des méthodes, dont l’efficacité fait oublier les moyens. Au fond, le « deal » qu’il a tacitement passé avec son comité exécutif et les six confédérations – même si l’UEFA est la moins dupe de toutes, elle a encore demandé, en vain, que les élections soient repoussées de six mois –, tient en deux mots : le pouvoir, qu’il s’arroge et que jamais il ne lâchera, et les dividendes, qu’il s’emploie à multiplier pour le bon développement des autres parties prenantes ou leur bienveillance. Pour la transparence, avancée comme argument de campagne de ses rivaux, enfin de son dernier rival, les bien-pensants devront prendre leur mal en patience. A priori encore quatre années…

La chèvre

Car « Herr » Blatter est un véritable animal politique, qui se repaît toujours où l’herbe est plus verte, guidé plus par les bas instincts qu’une vraie noblesse de cœur. « Une chèvre des alpages, qui avance, qui avance, et que nul ni rien ne peuvent arrêter. » Aucune comparaison désobligeante dans ce parallèle : l’analogie vient de Sepp Blatter lui-même, dans une des rares interviews qu’il consent. En l’occurrence à la version zurichoise du 20 Minutes. Hasard ou pas, distribué dans la cité alémanique, siège de la Fifa. Tour à tour, il a renvoyé à leurs ambitions le Suédois Lennart Johansson (1998), le Camerounais Issa Hayatou (2002) et le Qatarien Mohammed Bin Hammam (2011) tandis qu’en 2007, le Suisse fut élu par acclamation, sans détour par la case scrutin.

Virulent au dernier congrès de l’UEFA à Vienne à l’égard du système Blatter – « Corruption, népotisme et blanchiment », quasiment les mêmes chefs d’accusation que ceux, 47 au total, mus par Loretta Lynch – Michel van Praag, censé déblayer le terrain pour Michel Platini, a retiré sa candidature pour « mieux soutenir bin al-Hussein », a priori beaucoup trop léger car peu rompu aux pratiques politiciennes. Luis Figo a également hissé le drapeau blanc devant les turpides pratiques du « dictateur et voleur », dixit Diego Maradona, qui n’a pas oublié son contrôle positif à la World Cup de 1994. « Je ne peux pas participer à une élection qui nie les principes fondamentaux de la démocratie, comme la tenue d’un débat contradictoire entre les prétendants en lice », a justifié le Ballon d’Or 1995. Et que ces mêmes élections tiennent toujours debout 48 heures à peine après un tremblement de terre sans précédent pour la Fifa en dit suffisamment long sur la moralité de l’institution.

« Mes 17 ans de présidence plaident pour moi », lui a répondu, sans ciller, Sepp Blatter, qui s’était esclaffé devant l’éphémère candidature sortie de nulle de part de David Ginola et promptement y retournée.

Et si ces 17 ans ne suffisent pas, les sceptiques peuvent se repasser le film United Passion, sorti en 2014, avec notamment Gérard Depardieu dans la peau de Jules Rimet, qui retrace l’histoire de la Fifa, mais, surtout, qui place Sepp Blatter sur un piédestal, au-dessus de tout soupçon. Financé à hauteur de 20 millions d’euros par cette même Fifa, il n’aurait plus manqué que le long métrage débobine les petits arrangements du bon Joseph… Une question de gratitude en somme.

Une vertu que l’ancien colonel de l’armée suisse n’a pas son pareil de susciter à son avantage. Une scène du film renvoie à une de ses visites en Angola, en 1979. On l’y voit en compagnie de Horst Dassler, le big boss d’Adidas, regarder des enfants jouer avec des souliers flambant neufs barrés des trois bandes, puis les mêmes bambins se désaltérer avec du Coca-Cola. La réussite de Blatter, qui n’était entré à la Fifa que quatre ans plus tôt, réside dans cette capacité à mettre en valeur ses sponsors et à ouvrir un football, alors confiné à l’Europe et à l’Amérique latine, à d’autres horizons. Et c’est peu dire, qu’entre les pots-de-vin, et ce soutien indéfectible aux fédérations « tiers-mondistes » généreusement arrosées et dressées contre l’omnipotente UEFA, Blatter blinde son réservoir électoral. La meilleure preuve, la CAF, la Confédération africaine, lui a réitéré son appui, malgré cette dernière grave affaire en date.

« J’ai contribué à rendre le jeu universel », aime à répéter Blatter, qui a promis, à défaut de revoir le nombre de finalistes d’une phase finale de Coupe du Monde (32), de redistribuer le nombre de places par confédération. Il a aussi démocratisé le vote : une fédération, une voix. Pas par humanisme, mais bien par égocentrisme.

Le reptile

L’inamovible nº1 de la Fifa descend en réalité encore plus du reptile que du caprin : c’est bien un animal politique, mais à sang froid, qui ne s’émeut de rien et ne s’embarrasse de personne. Chacun de ses actes, chacune de ses manœuvres plutôt, ne poursuit qu’un objectif : le pouvoir. Pour le conserver, Blatter est prêt à mentir sans vergogne ou à énoncer une vérité faussement candide. Dernièrement, il s’est exprimé en Russie, pays hôte de la prochaine Coupe du Monde, pour rassurer son auditoire sur les risques d’un boycott en représailles à l’ingérence armée en Ukraine. « Il n’y a aucun risque. La Coupe du Monde, ce ne sont pas les Jeux olympiques. » Allusion à peine voilée à ce refus collectif d’une cinquantaine de pays, à l’instigation des Etats-Unis, à participer aux JO de Moscou en 1980 après l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques. Occasion en or pour Blatter d’égratigner aussi le premier événement planétaire devant la… Coupe du monde de football. En extrême recours, en réponse à une question dérangeante – le thème le plus sensible demeure la corruption autour des attributions des Coupes du monde à la Russie et au Qatar –, il retire son casque de réception pour la traduction, feignant une surdité inopinée et regardant, la face interloquée, son voisin de table.

Au gré de ses intérêts, seule ligne de démarcation de sa conduite, ses amis basculent dans le camp de ses ennemis et vice versa. Manœuvrier hors classe, Joseph Blatter tire tous les fils des stratagèmes qu’il ourdit pour parvenir à ses fins, en évitant soigneusement d’y laisser signature et empreintes. Ses affidés se retrouvent de surcroît à sa merci tandis que lui simule son ignorance à l’ombre de tout soupçon. En 2008, il avait promis au président de la fédération asiatique (AFC), Mohammed bin Hammam, que l’organisation de la Coupe du monde 2022 échoirait à son pays, le Qatar, jusqu’à ce que le patron de l’AFC se lasse de ses volte-face répétées et, par vindicte, le défie aux élections de 2011.

Le président de la Fifa, qui, forcément, savait que son ancien allié avait joué au généreux facteur avec quelques-uns de ses collègues du comité exécutif pour les convaincre de voter en faveur du Qatar, et que celui-ci avait déjà distribué des enveloppes, brunes, gonflées avec 50.000 dollars pour la précision, en 1998 et 2002 pour que le même Blatter fût élu, a gentiment conseillé à l’émir de l’Etat arabique qu’il valait mieux que bin Hammam rangeât ses prétentions sous peine que le scandale éclate. Au passage, entre mille regrets publics pour avoir confié le Mondial 2022 au Qatar, Joseph Blatter en a profité pour rappeler que Michel Platini, un temps son protégé, mais annoncé à l’époque comme adversaire potentiel au fauteuil de la Fifa, avait soutenu la candidature qatarienne. Même si aucune preuve ne l’accable directement, Blatter sait qu’il peut faire une croix sur le soutien d’une majorité des membres l’Union européenne de football. Mais tout juste cette prise de distance lui arrache-t-il un haussement d’épaules. Blatter sait compter. Blatter sait qu’il peut compter sur les autres confédérations, y compris sur une partie des associations asiatiques, malgré la candidature du prince de Jordanie, à propos duquel Blatter a fait passer le mot qu’il était le « pantin de Platini ». Venant d’un tel marionnettiste, ce jugement prend effectivement valeur d’argument d’autorité.

Coup monté

Quand il le faut, Blatter peut aussi s’ouvrir à des concessions. Mais il sait aussi s’arrêter là où il faut. Mis sous pression pour l’attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022, a priori vendues à la Russie et au Qatar, dont l’enquête est en revanche du ressort des autorités suisses, il avait commandé une étude approfondie à l’ancien procureur fédéral américain, Michael Garcia, sur les conditions de ces désignations. Trahi par la synthèse rédigée sur base de son rapport de 360 pages et de 150 témoins, l’homme de loi a démissionné de son poste de président de la chambre d’enquête de la Commission d’éthique après que la Fifa a rejeté l’appel qu’il avait introduit. Blatter a même tiré parti de cette démission de Garcia pour évoquer un coup monté à l’encontre de la Fifa, qu’il place en victime, de ce même Garcia dont l’épouse est… un agent du FBI !

Néanmoins, il avait promis, à l’époque, que ce rapport ne resterait pas lettre morte. « Une fois que ladite Commission aura étudié tous les cas individuels, on le publiera. » A quelques mois des élections, la chronologie aurait pu, peut-être, affaiblir sa position. Plus en tout cas que son vénérable âge. « Ce n’est pas un problème. Je me sens bien et je suis plein d’énergie. Il y a quatre ans, j’étais convaincu que j’entamais mon dernier mandat. Mais les choses ont changé et j’ai changé d’avis. »

Chèvre et reptile, Blatter, lui, par contre, ne changera plus. Saint pour ceux que le Suisse sert, démon pour ceux que le Suisse berne.

 

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