Bras de fer entre la Région et les exploitants

C’est un paradoxe : alors que le débat public sur les risques sanitaires liés aux broyeurs à mitraille et leurs émissions de PCB reste extrêmement timide, la bataille juridique entre la Région wallonne et les exploitants fait déjà rage depuis plusieurs années. [scald=27408353:sdl_editor_representation] Le déclic se produit en 2017. Le ministre de l’Environnement de l’époque, Carlo Di Antonio (CDH), est alerté par son administration suite à des plaintes de la commune de Courcelles. Des mesures « alarmantes » de différents types de PCB ont été enregistrées pour les rejets dans l’atmosphère de plusieurs broyeurs à mitraille, dont celui de la société Keyser & Fils, qui y est installé. Les rejets de PCB sont principalement liés au recyclage des voitures, truffées de substances toxiques, notamment dans leurs composants électroniques. Brider les émissions de tous les broyeurs Carlo Di Antonio demande alors aux services régionaux d’amender les autorisations d’exploitation qui ont été délivrées pour les broyeurs. Le ministre veut aller vite : il insiste pour que soient prises dans les meilleurs délais toutes les mesures indispensables pour éviter la contamination environnementale par les PCB. Et il insiste : les valeurs limite d’émission devront être uniformes pour toutes les entreprises du secteur. Il y a sept broyeurs à mitraille en Wallonie. Six déjà en activité (Courcelles, Châtelet, Obourg, Mont-sur-Marchienne, Engis et Aubange) et un petit dernier, à Namur, dont le démarrage est prévu fin mars. Des dépassements ahurissants Lors de plusieurs campagnes de mesures réalisées en 2018, notamment à Courcelles, les valeurs enregistrées montrent que les rejets de PCB font exploser les nouvelles normes imposées par la Région. Selon des résultats que Le Soir a pu consulter, provenant dans certains cas de laboratoires mandatés par les exploitants eux-mêmes, les dépassements des normes de PCB sont extrêmement préoccupants, allant jusqu’à plusieurs dizaines de fois les valeurs d’émission autorisées. Pourtant, les exploitants de broyeur à mitraille se rebiffent et cinq d’entre eux ont introduit des recours auprès du Conseil d’Etat pour demander l’annulation de ces limites d’émission. La période de transition avant l’application de ces valeurs maximales d’émission s’achève dans les prochains mois. La plupart des exploitants ont reçu des avertissements parce qu’ils tardent à adapter leurs broyeurs. Ce qui a conduit la plupart de ces entreprises à greffer un recours en suspension sur leur recours initial, dans l’espoir que le Conseil d’Etat les mettra à l’abri d’une mise sous scellés en attendant une décision sur le fond. Ces exploitants alignent leurs arguments, pointant l’absence de garanties de résultat apportées par les constructeurs pour le respect des normes wallonnes, ainsi que les coûts d’investissement prohibitifs pour une efficacité qui, selon eux, reste à démontrer. Enfin, ils mettent en avant la distorsion de concurrence vis-à-vis des régions et pays voisins, qui ne sont pas, pour l’instant, soumis à des normes aussi strictes. La Wallonie en mode « pionnier » « Aucun constructeur n’a accepté de nous certifier que les investissements énormes qu’ils réclament pour adapter nos installations permettront de respecter les valeurs d’émission que nous impose la Région », explique Bernard Goffinet, l’administrateur délégué de la filiale belge du groupe français Derichebourg, qui exploite le broyeur de Mont-sur-Marchienne. « La Wallonie veut aller plus vite que l’Europe, qui a annoncé un monitoring des émissions de PCB, étalé sur plusieurs années, avant d’imposer des restrictions ». De son côté, la confédération belge de la récupération (Coberec) a commandé une étude à l’institut de recherche flamand Vito. Les résultats sont attendus dans les prochaines semaines. « Nos installations sont récentes et parfaitement dans les normes », renchérit Vincent Quidousse, administrateur de la société BST, à Engis. « Seules les mesures concernant les PCB ne sont pas conformes. Mais ce que préconise la Région wallonne est beaucoup plus draconien que les législations en vigueur partout ailleurs et totalement irréaliste avec les équipements que nous utilisons ». Des arguments qui n’impressionnent manifestement pas l’administration wallonne. Dans un avis consultable en ligne, elle affirme disposer d’éléments démontrant que ses restrictions d’émission peuvent être mises en œuvre. Ajoutant que la viabilité économique de broyeurs moins polluants est démontrée par plusieurs installations fonctionnant en Allemagne et en Italie. Double discours des constructeurs S’ils affirment à l’administration wallonne que leurs équipements sont compatibles avec les nouvelles normes, les fabricants refusent cependant de s’engager par écrit. « Les constructeurs tiennent un double discours selon qu’ils sont face à l’administration wallonne ou qu’ils négocient avec nous », regrette Pierre-François Bareel, l’administrateur délégué de Comet Traitements. Cette société appartient au groupe belge Comet, qui exploite les broyeurs de Châtelet et d’Obourg. Comet Traitements s’est spécialisée dans la gestion des résidus de broyage pour récupérer des produits, comme l’aluminium, le zinc ou différents types de plastique et recycle 300 mille tonnes par an de résidus en Belgique et dans les pays voisins. « Si l’on nous démontre l’existence d’un problème de santé publique, nous ne nous déroberons pas », ajoute Pierre-François Bareel. « Mais nous opérons dans un monde très compétitif et la ferraille, ça se transporte aisément et à faible coût. Si on pose les scellés sur les broyeurs wallons, il n’y aura aucun souci pour que la marchandise soit broyée en Flandre ou en France. On aura alors simplement déplacé le problème vers d’autres régions. En termes d’économie circulaire wallonne, on aura raté le coche. C’est pour cette raison que nous proposons à la Région de collaborer à la mise en œuvre de solutions, plutôt que de nous imposer des deadlines impossibles et nous menacer de fermeture ».

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