Emma Plasschaert: «Naviguer, c’est de la poésie»

Lorsque nous l’avions croisée dans le cadre du stage préolympique de Belek, début décembre, Emma Plasschaert dégageait une forme de sérénité plutôt étonnante dans le chef d’une jeune fille de 26 ans… enfin confrontée à une horde de médias ! « La voile est un petit sport qui compte parmi ceux dont on parle une fois tous les 4 ans seulement ; on m’avait prévenue et j’étais donc préparée à cela », avait commenté avec bonhomie cette bachelière en sciences géographiques, qui a mis son master d’ingénieur industriel entre parenthèses en cette année olympique. « Cela me permet de mieux profiter de mes entraînements, et surtout de réfléchir plus longuement à tous ces détails qui font la différence dans notre sport. » Très en contrôle et visiblement bien inspirée par les deux coachs mentaux qui participent à sa préparation, l’Ostendaise, qui bataille dans la catégorie Laser Radial (une coquille de noix de 4,23 m de long mue par une voile de 5,7 m2), met une tête bien faite au service de tout ce qui peut la faire progresser vers l’excellence, dans un sport qui allie qualités physiques et techniques à un sens tactique sans faille. Ce qui n’empêche pas une certaine spontanéité, comme quand elle parle des championnats du monde qui débutent ce week-end à Melbourne comme du « pic de ma préparation en vue des Jeux », ni plus ni moins. Partie 250 jours par an Même si elle semble donc présenter cela comme une simple étape sur la route qui la mènera dans la capitale japonaise en juillet prochain avec pas mal d’ambitions, la digne héritière d’Evi Van Acker (médaillée de bronze à Londres, et double vice-championne du monde) n’en est pas moins l’une des favorites de la compétition qui se déroulera down under jusqu’à samedi prochain. Elle y retrouvera notamment la Néerlandaise Marit Bouwmeester et la Danoise Anne-Marie Rindom, qu’elle avait devancées il y a deux ans à Aarhus, quand elle était devenue la première régatière belge à décrocher le titre mondial. L’an dernier, elle n’avait pas fait de la défense de sa couronne une priorité, et s’était contentée de la 4e place (derrière Rindom, Bouwmeester et Young) aux Mondiaux de Sakaiminato, alors qu’elle avait préféré se concentrer sur le « test-event » olympique organisé à Enoshima, qu’elle avait ensuite remporté devant Bouwmeester, encore elle. « Une victoire qui m’a rendue plus sage », analyse à nouveau Plasschaert, coachée depuis deux ans par l’expérimenté anglais Mark Littlejohn. « J’ai surtout pris le temps d’apprendre ce qui était nécessaire pour bien prester là-bas. » Cette fois, et même si elle les présente comme « une étape vers Tokyo », ces championnats du monde font bien partie des objectifs de la jeune femme et de son entourage qui ont d’ailleurs rejoint Melbourne dès la mi-décembre pour appréhender toutes les finesses d’un plan d’eau souvent battu par des vents violents, tout le contraire d’Enoshima, où Eole semble (un peu) plus timoré à cette période de l’année… « C’est le lot de tous les navigateurs de haut niveau », explique l’Ostendaise, qui disputera ensuite deux compétitions à Palma de Majorque et Hyères au mois d’avril, plutôt que les championnats d’Europe (Kalamata, en mai), avant de rejoindre Enoshima dès le début du mois de juin. « Nous sommes partis environ 250 jours par an, en veillant à nous entraîner sur le lieu des compétitions au moins pendant deux semaines avant celles-ci. Tant pour Melbourne que pour Tokyo, nous avons allongé ces plages d’entraînement à pratiquement deux mois. » Evoluer sur certains points techniques et tactiques est souvent au centre de ses entraînements, sans négliger l’aspect physique. « Une compétition se déroule généralement sur six journées pendant lesquelles nous restons jusqu’à six ou sept heures en mer, même si la régate en tant que telle dure une heure environ », explique-t-elle. « Pendant celle-ci, ma fréquence cardiaque moyenne est de 170, avec des pics à 185. Mais le plus éprouvant est souvent la chaleur, qui s’annonce encore plus intense à Tokyo. Car la voile est un des rares sports où l’on reste si longtemps exposé au soleil, sans ombre. Il faut donc s’équiper et se préparer en conséquence… » « Je suis Emma, pas Evi » Souvent interrogée sur l’héritage que lui a laissé sa complice Evi Van Acker, Emma Plasschaert tient tout de même à laisser sa griffe. « Nous avons beaucoup de contacts, car depuis qu’Evi a arrêté, il y a comme un processus de transfert qui s’est déclenché entre nous, à tel point que j’ai déjà entendu tellement d’histoires sur les Jeux que j’ai presque l’impression d’y avoir déjà participé », s’exclame celle qui partage sa vie de nomade avec le navigateur australien Matthew Wearn. « De plus, ce qu’Evi a apporté à notre sport est énorme ! Il est clair que sans tout ce qui s’est mis en place grâce à elle, mes parents n’auraient jamais pu m’aider à percer dans la voile. Et j’en profite pleinement : là où elle avait tout au plus un préparateur physique pour l’accompagner, j’ai désormais un staff d’une demi-douzaine de personnes à ma disposition. Cela dit, j’ai aussi envie que l’on me connaisse pour mon nom et pour ce que j’ai fait. Si les gens veulent m’appeler “la nouvelle Evi”, je n’ai pas de problème avec cela, tant elle a une belle carrière et une image positive. Mais je veux aussi qu’on me connaisse comme Emma Plasschaert. » La fille de Bart Plasschaert qui, très impliqué dans le club de voile d’Ostende, avait pour habitude d’y emmener sa fille dès son plus jeune âge. « J’ai fait un peu de natation dans mes jeunes années, mais très vite, j’ai senti cette attirance pour la mer », se souvient la navigatrice. « Je ne comprends d’ailleurs même pas comment il n’y a pas plus de gens qui ressentent cette attirance. Comment parviennent-ils à résister à l’appel de la mer ? Sans doute parce que notre sport est très peu télévisé et médiatisé en général, et qu’il ne risque dès lors pas de susciter des vocations chez les jeunes. Pour moi en revanche, naviguer, c’est de la poésie. »

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