La gare Calatrava de New York enfin sur ses rails

J’essaie d’abattre les frontières entre l’architecture et la sculpture » : c’est tout le sens du geste posé par Santiago Calatrava au cœur blessé de Manhattan. Son « Oculus » abrite le World Trade Center Transportation Hub, la nouvelle plate-forme ferroviaire de Ground Zero, à l’intérieur d’une structure d’acier et de verre inspirée par les ailes d’une colombe de la paix. En chantier depuis plus de dix ans, cet objet poétique est une création architecturale en rupture totale avec l’esthétique à angle droit des gratte-ciel environnants. En 2004, pour convaincre les autorités de la force de son projet, le créateur des gares de Liège et de Mons avait jeté sur papier l’idée du grand oiseau blanc de « l’Oculus » à travers le croquis rapide d’un enfant libérant une colombe. Ce dessin lumineux, pétillant d’une joie de vivre retrouvée, a immédiatement séduit les autorités comme la population. « L’Oculus » proposait de s’élever au-dessus du traumatisme. Bien plus que de cicatriser les ruines des Twin Towers, Santiago Calatrava promettait de guérir l’âme de Manhattan : l’envol de son projet esquissait la première réponse optimiste à la catastrophe du 11 septembre. [scald=741308:sdl_editor_representation] Rigueur technique Le 3 mars 2016, le rêve a enfin pris sa forme définitive après une décennie de doutes, de retards, de polémiques sur son coût jugé exorbitant. Sous « l’Oculus », le Hub du World Trade Center accueille onze lignes de métro, auxquelles les navetteurs accèdent par des couloirs souterrains dont les plafonds de poutres d’acier ondulent comme les eaux de l’Hudson. Sous l’apparente fragilité des formes, Santiago Calatrava a effectué un travail de titan. Son esthétique se nourrit d’une rigueur technique absolue. Sans entrer dans le détail du calcul des forces de flexion ou de l’équilibre des structures autoportantes, les immenses arches de « l’Oculus » assurent à la fois la légèreté et la rigidité de l’édifice. [scald=741288:sdl_editor_representation] Pour que le passant prenne bien la mesure de la grandeur des lieux, les entrées de cette cathédrale ferroviaire ont la modestie de simples bouches de métro. Mais passé la porte, une vaste plaine de marbre s’offre au regard, zébrée par les rayons de la lumière du jour. Une couronne de boutiques viendra animer ce vaste hall dont la majesté rivalise avec la salle des guichets de Grand Central, la gare historique de Manhattan, dont la construction avait nécessité il y a un siècle la démolition de 120 immeubles, trois églises, deux hôpitaux et un orphelinat. « Le citron » L’élégance de l’œuvre de Santiago Calatrava ne fait cependant pas l’unanimité. Au bout de ce chantier interminable et pas encore totalement achevé, des journalistes et des habitants affichent leur scepticisme sur la pertinence de l’Oculus. La station est splendide, c’est indéniable mais certains la jugent surdimensionnée par rapport aux besoins. Le grand hall apparaît aujourd’hui comme un grand vide où personne ne se bousculerait pour occuper les surfaces commerciales. Les détracteurs du projet ont affublé la gare d’un « nickname » : le « citron », par allusion au fait que sa construction a nécessité de presser les finances de la ville de New York au-delà du raisonnable. Ils auraient préféré voir investir une partie des milliards consacrés à « l’Oculus » dans la rénovation des quartiers voisins. Quant aux critiques, les plus acerbes, ils n’ont pas hésité à écrire que ce monument grandiose n’aura d’autre utilité que de servir la célébrité de son architecte. [scald=741287:sdl_editor_representation] Les plus visionnaires parient au contraire sur le potentiel de la gare, dont Santiago Calatrava assure qu’elle est construite pour durer plus d’un siècle, à l’image de Grand Central. Le quartier du World Trade Center Transportation Hub est à la fois le plus ancien et le plus neuf de Manhattan avec le fort de 1812 de Battery Park et le gratte-ciel de la « Freedom Tower » achevé en 2012. Il est actuellement en pleine mutation. Au-delà de la symbolique, le vrai défi pour la gare de Calatrava sera d’incarner l’avenir.

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