Anderlues, entre carnaval et far west

A part les brochettes au feu de bois, je ne vois pas ». Telle est la réponse du bourgmestre Philippe Tison lorsque, lors des 48h des bourgmestres, l’émission de RTL en prélude aux élections communales, Pascal Vrebos lui demande ce qu’il y a à voir à Anderlues. Pourtant, pour une commune où il n’y a rien à voir, il se passe pas mal de choses depuis quelques années. Aujourd’hui, cette cité, coincée entre Charleroi et Binche, gouvernée par les socialistes depuis 72 ans, vacille. Et le PS national se retrouve bien ennuyé à devoir gérer une fronde et un dinosaure qui a fait du pouvoir local sa propriété. Tout débute dès les élections communales. Philippe Tison, proche d’Elio Di Rupo et surtout de Paul Furlan, dont il fut sans le vouloir à l’origine de la chute, en janvier 2017 (NDLR : à l’époque, Furlan avait dû démissionner de son poste de ministre des Pouvoirs locaux pour avoir employé Tison dans son cabinet ministériel et lui avoir confié l’administration de ses sociétés privées), vient de décrocher son troisième mandat de bourgmestre. Le PS gagne un siège et conserve la majorité absolue (14 sièges sur 23). Néanmoins, face à lui, se dresse désormais une opposition unie (le MR, Ecolo et le CDH se présentaient sur une seule et même liste – AJC pour Anderlues, j’y crois !), autour du jeune chef de file CDH, Hadrien Polain. AJC avec ses 9 sièges représente donc une force de frappe, guettant le moindre faux pas du collège. Celui-ci adviendra, en décembre 2018, par des dissensions internes au PS. En dépit du bon sens, Tison avait en effet constitué son collège sans tenir compte des voix de préférence, récompensant un de ses affidés, tout en écartant Guglielmo Pastorelli, dont les voix de préférence auraient dû lui permettre d’obtenir un poste d’échevin. Celui-ci éructe, menace, crie et finit par faire plier le bourgmestre, entre-temps devenu député fédéral, qui signe une lettre en décembre 2018. Dans celle-ci, il accepte d’intégrer Pastorelli en mars 2019 dans le collège, et se retire du mayorat, « suite à ses ennuis de santé ». « Dévastateur pour la démocratie » Pourtant, quatre mois plus tard, en avril, il change d’avis et décide de demeurer bourgmestre. C’est la goutte d’eau. Quatre socialistes, dont Michaël Guyot et Rudy Zanola, deux échevins qui ont signé la fameuse lettre, convoquent la presse pour dénoncer les agissements d’un bourgmestre, qui essaie par tous les moyens de les faire passer pour des putschistes. Jusqu’à arriver à faire exclure Pastorelli du PS lors d’un simulacre de vote de la section locale en décembre 2019. « On est même allé rechercher les morts dans les cimetières », rigole un élu. Le boulevard de l’Empereur est saisi de l’affaire et annule l’exclusion de Pastorelli « pour vice de procédure ». Le même mois, Guyot, qui, comme Zanola est désormais un échevin sans attribution, monte au créneau et dénonce, dans une interview à Télésambre, le système Tison, un clientélisme à l’ancienne. « Il s’agit de la famille, des proches, des gens qui ont de multiples intérêts et qui sont rémunérés par l’administration communale, et qui, donc, suivent comme un seul homme, aveuglément, les positions de Monsieur Tison. C’est dévastateur pour la démocratie ». La critique n’est pas neuve. Anderlues est en effet réputée pour compter, au sein de son administration, une dizaine de fils et filles d’élus socialistes, dont le fils du bourgmestre. « Ce sont des personnes de qualité qui ont postulé et réussi leur examen. Quand on a un papa bourgmestre, on est forcément au courant des emplois qui se libèrent », avait argumenté Tison en septembre 2018 sans voir où se situait le problème. Pendant ce temps, l’opposition compte les points. AJC accepte de soutenir par sa présence la majorité mais le collège ne tenant jamais compte de ses remarques, elle décide à deux reprises (en janvier 2019, et dernièrement le 22 janvier et le 18 février) de jouer la carte du quorum. Faute de monde, les conseils communaux sont reportés. Anderlues n’avance plus. Comme la loi l’oblige, la 3e convocation, le 22 février, permet finalement au conseil communal d’avoir lieu. Vandalisme et menaces sur les élus Au-delà de cette affaire, c’est la gestion autoritaire de Tison qui fait débat. Les échanges sont souvent vifs entre le collège et l’opposition, Polain et Tison s’envoyant à tour de rôle des noms d’oiseaux à la figure. « Je suis impulsif par nature mais Tison, lui, carbure au conflit. Il y a beaucoup de mots et de coups bas », reconnaît Polain. « C’est quelqu’un qui fonctionne sur la terreur », corrobore l’échevin Guyot à Télésambre. Mais le climat délétère ne se limite pas aux gros mots. Ces sept dernières années, les actes de vandalisme touchant les mandataires politiques se sont multipliés. Décembre 2013 : la voiture de Polain brûle et la maison de Jean-Marie Flamant, autre opposant CDH, est vandalisée (vitres brisées, serrure bloquée à la colle). Octobre 2018, le lendemain de l’élection : le mobile-home de Fabrice Dermine, leader de la liste Gauche, explose à la bonbonne de gaz. Mai 2019 : la voiture de Michaël Guyot, échevin PS mais opposé à la gestion de son chef de file, est saccagée. Mai 2019 : Tison et trois conseillers communaux PS, proches de lui, reçoivent des balles dans une enveloppe. Divers scénarios circulent mais, à chaque fois, les plaintes sont classées sans suite. « À Anderlues, ces pratiques mafieuses sont devenues courantes et banalisées puisqu’on ne trouve jamais de coupables », explique un conseiller communal. « Un soir, j’ai reçu un coup de téléphone d’une dame qui me proposait ses services. J’ai refusé mais le but était de me prendre en flagrant délit et de vendre cette histoire à ma femme », relate Flamant. Beaucoup d’élus refusent de nous parler, « de peur de subir des représailles », d’autres pensent à arrêter la politique. « Ma famille commence à avoir peur. Je n’ai même pas osé traîner au carnaval », nous avoue un autre élu. Dans cette région où le carnaval demeure une institution, il faut pourtant une belle excuse pour y participer mollement ! Le PS national a mis la section locale sous tutelle L’affaire sort de la sphère locale en novembre, une fois Paul Magnette élu à la présidence du PS. C’est sous son égide que la commission de vigilance nationale s’empare de l’affaire et décide de mettre sous tutelle fédérale le PS d’Anderlues. Une première depuis les affaires carolos lorsque le boulevard de l’Empereur avait nommé Paul Magnette comme tuteur en juin 2007. Depuis lors, toutes les querelles internes avaient chaque fois été gérées par les fédérations régionales, comme ce fut le cas à Grâce-Hollogne, Châtelet ou Fontaine-l’Evêque. Si le parti a dû se suppléer à la Fédération de Thuin, à laquelle Anderlues appartient, c’est à cause de la position de Philippe Tison, à la fois juge et partie, puisqu’il occupait le poste de bourgmestre d’Anderlues et de président de la Fédération de Thuin, où il fut remplacé en octobre 2019… par sa compagne Virginie Gonzalez. Il faut dire que ce n’était pas une première. De 2012 à 2014, les deux avaient siégé ensemble au conseil communal. Or, le code de démocratie locale interdit à deux membres d’une même famille, ou à des époux, de siéger ensemble. Une entorse qui ne semblait pas déranger Tison. « Nous ne sommes ni mariés, ni des cohabitants légaux. C’est ma compagne et la maman de notre fille. Et on vit bien comme cela », disait Tison sur le plateau de RTL. Trois personnes, à la fois extérieures à la commune sans en être trop éloignées, ont donc été choisies pour la tutelle : Jacques Gobert, le bourgmestre de La Louvière, Olga Zrihen, ancienne députée et sénatrice de La Louvière et Latifa Gahouchi, sénatrice de Charleroi. Le trio décide d’entendre toutes les parties, et prend même contact avec le chef de file de l’opposition. Mais le dossier n’est pas simple. Le PS ne peut en effet pas prendre le risque de trop fâcher Philippe Tison, député fédéral, au risque de le voir claquer la porte du parti et siéger comme indépendant, ce qui ferait tache surtout après le renvoi d’Emir Kir et alors qu’une coalition gouvernementale n’est pas encore trouvée. Depuis lors, tout se fait en silence. La tutelle a ordonné aux élus socialistes de se taire. Contactés par nos soins, ni le groupe des quatre, ni le bourgmestre n’ont voulu nous parler. Synonyme de cette chape de plomb, Tison nous a même renvoyés vers… son échevin des travaux, Annibale Moscariello. « Tout le monde attend que la tutelle prenne une décision », nous confie-t-on. Celle-ci devrait rendre son rapport sous peu. Avec sans doute un échevinat pour Pastorelli et l’obligation faite à Tison de céder son tablier… à sa conjointe et se concentrer sur son job de député fédéral. Les mauvaises langues ne manqueront pas de dire que cela arrange bien le couple qui verrait ses émoluments augmenter. En cumulant le poste de député et de bourgmestre, Tison avait en effet dû raboter son salaire. Désormais, il touchera son salaire plein de député, alors que Virginie Gonzalez touchera le salaire plein de bourgmestre. À moins que Tison ne tente un énième coup d’éclat. Dans une lettre de l’USC adressée à la présidence du PS, il prône en effet un nouveau pacte de majorité et une coalition avec AJC (à qui il donnerait deux échevinats), ce qui laisserait les échevins réfractaires sur le carreau, et termine par une leçon de politique. « Nous souhaitons attirer votre attention sur la situation du camarade Philippe Tison qui, dans l’intérêt du parti, accepte de démissionner et qui, en cas d’élections anticipées, pourrait se retrouver dans une situation plus que précaire, n’étant plus bourgmestre, ni député. » Nul doute que Paul Magnette aura versé une larme devant tant de sacrifices… [scald=27464927:sdl_editor_representation]

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