Trump – Cruz: duel en vue

C e sera une lutte entre deux hommes : Donald Trump et Ted Cruz, et elle sera une évidence après le 1er mars. » La prophétie, sortie droit de la bouche d’un stratège démocrate, Dick Morris, s’accompagnait d’un corollaire fatal : Marco Rubio, le jeune et sémillant sénateur de Floride, « dernier espoir » du Parti républicain, ne pourrait jamais gagner les primaires à droite, à cause de sa position sur l’immigration illégale. La question des Latinos sans papiers et des réfugiés syriens s’impose dans la campagne. Et à ce jeu, c’est Donald Trump qui a marqué les esprits, en affichant une furieuse intransigeance, qu’essaie d’imiter Cruz, désormais rallié à l’idée d’un « mur » sur la frontière avec le Mexique. Entre les deux hommes, les différences se résument parfois à l’épaisseur d’un papier à cigarettes. Ils promettent d’abolir l’Obamacare, le programme d’assurance-maladie universelle. Ils dénoncent le mariage de même sexe, l’avortement, l’égalité des chances pour les femmes et les minorités devant le travail. Ils défendent le second amendement de la Constitution et le port d’armes à feu. Ils promeuvent un exceptionnalisme américain sur la scène internationale et s’opposent à tout rapprochement avec Cuba ou l’Iran. [scald=759674:sdl_editor_representation] Au-delà de ce socle commun, la primaire à droite est avant tout un clash de personnalités entre individus au narcissisme marqué, obsédés par la grandeur « perdue » de l’Amérique. « La balle ou le poison » Trump comme Cruz incarnent le pire cauchemar du Parti républicain, forcé de choisir entre « la balle ou le poison », selon le sénateur de Caroline du Sud, Lindsey Graham. Fiers de leur statut d’outsider, les deux hommes s’efforcent d’appuyer sur le point faible supposé de l’autre : Cruz qualifie Trump de vrai-faux conservateur, opportuniste pragmatique, et Trump qualifie Cruz de vrai-faux outsider, idéologue pur et dur, puisqu’il est élu au Sénat depuis 2010 et ferait donc partie de ce « système » qu’il pourfend. Et à mesure que Donald Trump distance ses rivaux, la perspective d’un Trumpmare (cauchemar Donald Trump) s’estompe, et l’idée chemine qu’un Trump président serait moins terrible qu’un Cruz à la Maison-Blanche, puisqu’il serait toujours possible de négocier avec le premier, et beaucoup moins avec le second. Petit tour d’horizon de leurs principales divergences. Donald Trump : « Il casse les codes » Immigration illégale. Dès le 16 juin 2015, jour de l’annonce de sa candidature à la présidentielle, Trump met le doigt sur ce que le politologue Paul Begala qualifie de « poule aux œufs d’or » de la campagne électorale républicaine : le flot d’immigrants illégaux, contre lequel il va ériger un « mur » sur la frontière avec le Mexique. Idem pour les réfugiés syriens, à l’égard desquels il annonce en novembre que, lui président, l’entrée des Etats-Unis restera entièrement barrée « jusqu’à ce que l’on comprenne un peu ce qui se passe ». Impôts sur les riches. Tout milliardaire qu’il fût, il « casse les codes » conservateurs sur la question des impôts pour les classes aisées. Après une décennie de « trickle down economics », cette théorie selon laquelle des impôts minimes sur les plus riches entraîneront une expansion de l’économie nationale et qui, par un effet cascade, profiteront aux couches inférieures de la population, Donald Trump surfe sur les tourments d’une classe moyenne ruinée, reprenant (comme Bernie Sanders à gauche) le discours altermondialiste sur les « 99 % », les intérêts corporatistes de Wall Street, dont il se désolidarise. Politique étrangère. Le slogan de Donald Trump n’est plus un secret pour personne : « Make America Great Again ». Les moyens d’y parvenir, en revanche, sont plus opaques : le magnat de l’immobilier affiche en politique étrangère une attitude isolationniste, fondée sur un désengagement des affaires du monde. Son credo : exercer un pouvoir d’intimidation tel grâce à une domination militaire et technologique sans équivalent que les « bad boys » de la planète réfléchiront à deux fois avant de (mal) agir. Libre échange. Il n’a de cesse de dénoncer les deux accords de libre-échange négociés sous Obama, le Partenariat Transpacifique (TPP) et son homologue transatlantique (TTIP), arguant que l’Amérique, comme avec celui signé et ratifié en 1994 avec l’Amérique latine (Alena) ne cessait de « perdre » face à des partenaires commerciaux plus roués. Invoquant sa réputation d’homme d’affaires, il affirme que, dès son premier jour à la Maison-Blanche, il mettra fin à ces « mauvais traités » et réapprendra à l’Amérique comment « gagner ». Sans dire exactement comment il compte procéder. Ted Cruz : « Le plus à droite » Immigration illégale. Devancé par Trump et ses déclarations tonitruantes sur la question, Ted Cruz offre pourtant le programme le plus à droite de la primaire, en soutenant ardemment la reconduction à la frontière des onze à douze millions de latinos clandestins qu’Obama a décidé de régulariser par décret exécutif en 2015, après un débat infructueux au Sénat depuis 2013. Les électeurs républicains ont-ils la mémoire courte : lors de ce débat à la chambre haute, le même Cruz s’était heurté au sénateur de l’Alabama Jeff Sessions, partisan d’une expulsion de masse. Le sénateur du Texas, lui, soutenait une immigration facilitée pour les plus qualifiés. Un renversement à 180 degrés s’est opéré depuis, au point de « plagier » l’idée du mur de Trump, et ce dans le but de s’arroger le vote ultra-conservateur. Impôts sur les riches. Il s’oppose à toute augmentation des impôts pour les classes aisées, préférant avancer l’idée d’une « flat tax », une imposition sur le revenu à 10 %, qui créerait à terme « cinq millions d’emplois », ainsi qu’une « business flat tax » à 19 %, qui viendrait se substituer aux taxes professionnelles, bénéficiant en retour au patronat et coûtant 3,6 milliards de dollars au Trésor lors des dix années à venir. Politique étrangère. Il suggère, à la différence de Donald Trump, une plus grande implication des Etats-Unis dans le monde, au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, préconisant de porter le fer contre le groupe « Etat islamique » en Syrie, et de déployer pour cela des forces importantes au sol, en Irak. Cet interventionnisme constitue le nouveau paradigme de l’establishment républicain, convaincu de mener une guerre totale contre les djihadistes. Le repli sur soi des années Obama, consécutif au retrait précipité d’Irak (2011) et celui, progressif, d’Afghanistan (2014), semble bel et bien fini pour le camp républicain. Libre échange. C’est avec l’immigration clandestine le deuxième point sur lequel Ted Cruz a procédé à un revirement majeur en juin 2015. Jusque-là, il soutenait inconditionnellement l’expansion des accords de libre-échange. Mais il s’oppose à la validation de la procédure accélérée de ratification de ces accords au Sénat, affichant une posture soudain protectionniste et plus critique des accords TPP / TTIP, qui permettraient aux Chinois et aux Européens de « s’engouffrer dans la brèche » en cassant les prix des importations, au détriment du travailleur américain. Impopulaires, les deux traités ont entraîné le même revirement à gauche pour celle-là même qui les avait initiés du temps où elle était secrétaire d’État – une certaine Hillary Clinton.

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