Jean Faniel: «On pourrait traverser des contradictions assez fortes sur le rôle de l’État»

Depuis le tournant libéral des années 1980 et la remise en question des monopoles d’État au niveau européen (« Acte unique » de 1986), les services publics sont en reflux. Pourtant, en cas de coups durs, qu’il s’agisse de la crise bancaire et économique, en 2008, ou de la crise sanitaire et économique, aujourd’hui, c’est vers eux, vers « l’État », que l’on se tourne. Nous avons interrogé Jean Faniel, le directeur général du Crisp, sur ce paradoxe apparent. Le rôle de l’État est l’objet d’étude par excellence de la science politique… Effectivement. Mais peut-être faut-il d’abord préciser que « l’État » ne se résume plus, singulièrement en Belgique, à un pouvoir centralisé et unitaire : aujourd’hui, cela va de la commune à la commission européenne, en passant par les instances fédérale, régionale, communautaire ou provinciale. Idéologiquement cette fois, il existe des visions très différentes du rôle de l’État, qui vont d’un maximum de « laisser faire » aux acteurs privés, et notamment aux entreprises (conception traditionnellement libérale) à un interventionnisme actif, notamment dans l’économie (conception traditionnellement socialiste), en passant par un laisser-faire des acteurs privés mais en les incitant à investir certains secteurs de la société (conception traditionnellement sociale-chrétienne). À ce propos, on oublie souvent qu’en Belgique, la moitié des « services publics » sont en réalité « privés », qu’il s’agisse de l’enseignement ou des hôpitaux par exemple – souvent d’origine « chrétienne ». Mais on a le sentiment que chacun a une idée « à géométrie variable » de l’État et de son rôle, selon ses besoins du moment… Lorsqu’on passe de la philosophie politique au « terrain », les choses deviennent effectivement moins claires. Ainsi, dans les années 80, sous la pression libérale, ou pour atteindre les critères de Maastricht de réduction de l’endettement, des gouvernements ont été conduits à vendre une série de participations ou à privatiser des sociétés publiques. Et certaines de ces mesures ont été portées par des ministres socialistes – on sait que des voix de gauche en font régulièrement le reproche à Elio Di Rupo, notamment. Mais il y a eu aussi des discordances chez les libéraux qui, dès le XIXe siècle, ont sollicité les pouvoirs publics pour créer des infrastructures impossibles à faire supporter par des acteurs économiques privés. Ou qui, aujourd’hui, à l’instar d’Emmanuel Macron, font appel sans vergogne à l’État. Chez nous, même dans la pensée libérale, l’État est toujours resté important. Évidemment, il faut voir « quel État ? »… Développer la 5G aujourd’hui, comme le chemin de fer hier, ça n’est pas la même chose que développer des services collectifs de santé ou d’enseignement. Cette crise a mis en lumière l’importance d’avoir des services collectifs de qualité. Qu’est-ce que cela pourrait changer, par rapport au rôle de l’État ? On est dans un « momentum » où on a l’impression que tout est possible. Certains vont essayer de s’appuyer sur la mise en avant des services collectifs pour demander « plus d’État », et singulièrement dans sa dimension sociale et protectrice. Alors que d’autres vont plutôt appeler à en revenir à un certain équilibre budgétaire, voire vont travailler à ce que les États n’aient pas assez de ressources, pour limiter leur capacité d’action – en continuant à exiger des réductions de cotisations de sécurité sociale, par exemple. Tout en veillant à ce que la relance économique puisse quand même se faire… On pourrait traverser des contradictions assez fortes.

Votre compte

Jean Faniel: «On pourrait traverser des contradictions assez fortes sur le rôle de l’État»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Opinions

Coronavirus: c’est maintenant qu’on doit préparer son retour

Chronique «Vous avez de ces mots»: L’{anglicisation} du français: la lose des élites?

Chronique «Je dirais même plus»: Heures perdues

Chronique Carta Academica: La guerre en Ukraine et l’insécurité alimentaire mondiale

Le Kroll du jour sur la variole du singe

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Variole du singe: un quatrième cas confirmé en Belgique, le conseil de Marc Van Ranst à la population

Plus de 120.000 personnes à la parade de la Belgian Pride à Bruxelles (photos et vidéo)

Reportage Conséquence de la guerre en Ukraine, l’Inde, grenier à blé, protège sa production

Guerre en Ukraine: l’exigence du président Erdogan pour accepter la Suède dans l’Otan

Le sport à l’œil, ou presque: le fragile privilège des Belges

Le PSG officialise la prolongation de contrat de Kylian Mbappé (vidéo)

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel