Déconfinement: «Etre en sous-capacité, cela a aussi permis à l’entreprise de se renforcer»

Le masque ! » En faisant le tour de son atelier, François Bersez s’arrête quelques secondes du côté de la sérigraphie pour un petit rappel à l’ordre en douceur auprès de trois de ses employés qui ont baissé la garde. Une évidence pour le patron de Quatrième Dimension, dont l’entreprise de broderie et impression sur textile située dans le zoning industriel de Naninne, en bordure de Namur, a été, dès le départ de la crise du Covid-19, une des pionnières en matière de protection du personnel. « J’ai senti très vite un vent de panique se lever face à la crainte de propagation du virus, certains n’arrivaient plus à se concentrer, ce qui est humain », raconte-t-il. « Heureusement, j’ai pu commander rapidement des masques, les meilleurs, en Chine, où j’avais des contacts, et une semaine plus tard, ils étaient là. Depuis lors, tout le monde en porte chez nous, même quand la distanciation sociale est respectée. Je suis convaincu que c’est la meilleure solution. A Hong Kong, où ils sont 7 millions à vivre sur un rocher mais sont tous masqués, il n’y a eu que 4 morts depuis le début de la pandémie… » Le gel hydroalcoolique est, lui aussi, utilisé en abondance au siège de l’entreprise. A défaut de pouvoir en acheter du conditionné, un employé, conseillé par un ami pharmacien, a pu se procurer la matière première et, financé par la direction, en a confectionné lui-même pour l’ensemble du personnel. Au royaume de la débrouille, on fait comme on peut. Un chiffre d’affaires en baisse de 70 à 80 % Si ces élémentaires mesures de précaution ont permis à Quatrième Dimension d’éviter de voir un seul des membres de son personnel développer le virus, elles n’ont évidemment pas empêché une descente aux enfers économique avec, malgré le maintien de l’activité, une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 70 à 80 % depuis la mi-mars. « Nous sommes fort liés à l’événementiel, qui est aujourd’hui complètement à l’arrêt », explique Bersez. « Du coup, je ne sais pas si nous avons la tête hors de l’eau, je panique un peu pour juin… Nos clients, outre les entreprises, ce sont les mouvements scouts, les clubs sportifs, les cercles étudiants. D’habitude, en prévision de l’été, avril, mai et juin constituent justement notre meilleure période annuelle, quand on nous commande des t-shirts en prévision des festivals, des camps scouts, des stages, etc. Là, on vient de connaître le pire mois depuis que nous existons. » Portée sur les fonts baptismaux en 1998, l’entreprise est, selon son fondateur, née « par hasard » lors de ses études à l’UNamur, d’abord en sciences économiques, puis en informatique. « Je vendais du textile imprimé à destination des cercles estudiantins. J’ai vite compris que ce marché n’était pas mature et qu’il y avait moyen de le développer en Belgique, sans délocaliser. Ce n’est pas simple tous les jours, on doit se battre contre nos concurrents des pays de l’Est. Mais notre service informatique et l’automatisation nous aident à maîtriser les marges. On n’a ni comptable, ni secrétaire, ni commerciaux : tout le monde aide à la valeur ajoutée de la boîte. On se fait connaître via internet et les réseaux sociaux. » Depuis 2000, après un départ modeste depuis son kot (!) puis dans un atelier de Namur, il s’est établi à Naninne dans un bâtiment qu’il reconnaît « spartiate » – « Parce qu’on a toujours privilégié la production au confort » – qui vit ses derniers jours. Dès que les travaux seront terminés, tout le monde déménagera dans la nouvelle construction adjacente, un investissement de 1,5 million qui, lui aussi, pèse forcément très lourd à l’heure où les rentrées sont rares. « On ne pourra pas tenir longtemps à ce rythme », reconnaît François Bersez. « Pour l’instant, nous sommes en train de puiser dans nos réserves de vingt ans… » L’action du gouvernement ? Pour celui qui, par ailleurs, est également président de l’Union des classes moyennes de Namur, « il a géré comme il a pu, je ne veux rien critiquer ». Mais les soutiens sont rares, voire inexistants pour ceux qui, comme lui, ont juste demandé les 5.000 euros possibles à la Région wallonne. « Quant aux banques, elles ont juste fait le minimum vital… » Le sauvetage par les masques ? Sur son payroll, il a 45 personnes, mais moins d’un tiers sont aujourd’hui sur le site, ce qui garantit en l’espèce les règles de distanciation sociale. « Il y en a qui bossent de chez eux, comme les graphistes, d’autres qui sont toujours stressés de la situation, d’autres qui sont en chômage temporaire. Du coup, je bouche les trous ; j’ai même dû réapprendre certaines fonctions. Je n’ai jamais autant travaillé qu’aujourd’hui ! » La date du lundi 4 mai, où démarrera la phase 1a de la reprise graduelle pour les industries comme la sienne, selon les recommandations du Conseil national de sécurité (CNS), François Bersez n’en attend rien de particulier, sauf peut-être « un redémarrage vers le haut du nombre de commandes, vu la remise partielle de l’activité B2B ». A ce titre, un nouveau marché s’est ouvert avec les masques en tissu. Les demandes pour les personnaliser commencent à tomber. « C’est sans doute paradoxal, mais ce sont peut-être eux qui vont nous sauver ! ». Et qui lui permettront de répondre à la demande de la plupart de ses employés de revenir travailler. « Tous ont appris le métier sur place, il n’y a pas vraiment de formation pour ce qu’ils font. Pour nous, le savoir-faire du personnel, c’est le bien le plus précieux. » S.O.S. ambassade d’Allemagne Il faudra, pour cela, que l’outil ne le laisse pas tomber. Car pour le patron de Quatrième Dimension, le plus gros stress, aujourd’hui, c’est que sa machine laser qui insole les cadres de sérigraphie (pochoirs) pour l’impression sur textile tombe en panne après avoir déjà donné « quelques signes de faiblesse ». « En temps normal, un technicien était envoyé deux fois par an par la firme allemande chez qui nous l’avons achetée pour venir l’entretenir », raconte-t-il. « Depuis le début de la crise, il ne vient plus parce qu’il serait soumis à une période de dix jours de quarantaine en rentrant au pays. On m’a dit qu’on ne me l’enverrait que si j’étais disposé à payer ces dix jours… Si l’ambassade d’Allemagne en Belgique pouvait faire quelque chose pour régler ce type de problème… » De cette incroyable période qu’il est en train de vivre et dont l’impact à long terme est loin d’être connu, François Bersez veut aussi retenir les bons côtés. « On voit qu’on n’est finalement pas grand-chose mais qu’on est aussi tous dans le même bateau, si je pense à mes clients dont je ne suis pas sûr qu’ils pourront me payer. Quand on est en sous-capacité, on se renforce aussi, on remarque des choses, on voit comment améliorer nos process en termes de flexibilité notamment. Moi, je prends ça comme une renaissance. » Tout ce qu’il demande, à l’heure de cette relance, c’est que les pouvoirs publics soient « PME friendly ». « Il y a deux semaines, j’ai eu un contrôle des douanes ! », regrette-t-il. « N’ont-ils vraiment que ça à faire ? »

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