Assises: Thémis est aveugle, elle est désormais masquée

Des jurés masqués et gantés, une cour et des avocats également soumis aux mesures de distanciation sociale. La Justice tente tant bien que mal de répondre aux impératifs sanitaires du moment qui se superposent aussi aux impératifs de l’obligation de juger et de préserver les droits à la défense de détenus poursuivis et placés sous mandat d’arrêt pour des faits graves. Si les audiences civiles ont été renvoyées au rôle, la justice pénale ne peut se permettre de s’interrompre. Jeudi, la Cour d’assises du Hainaut a procédé au tirage au sort des jurés appelés à juger. 150 étaient convoqués pour constituer la juridiction populaire composée de 12 jurés effectifs et de 4 suppléants. Les débats concerneront l’accusé Jordan David, 26 ans, accusé d’avoir assassiné Marie-Helène Di Francesca en 2018 à Estampuis. Le corps de la victime avait été retrouvé dans une forêt de Cerfontaine après les aveux de l’accusé. Ce sera, dès l’ouverture des débats lundi, le premier procès d’assises à être mené en Belgique francophone. La semaine dernière, le procès d’un meurtrier avait été renvoyé au rôle à Bruxelles. A Anvers, par contre, les jurés devaient déjà statuer, jeudi soir, sur le sort pénal à réserver à cinq accusés soupçonnés d’avoir tué une septuagénaire qu’ils avaient dévalisée. La Justice masquée Au-delà du caractère sordide de ces crimes se pose la question de la régularité et de l’efficience des débats. Un accusé masqué placé face à ses juges masqués (jury et magistrats) a-t-il l’occasion de s’incriminer ou de se disculper par l’absence imposée de l’observation de son langage corporel ? Ce problème en regard du « procès équitable » avait été abordé lors d’un procès en 2017, celui de Stepahn Picron (et autres), accusé du meurtre de son père. Les avocats des inculpés, dont Me Laurent Kennes, avait obtenu que les vitres encageant le box des accusés soient démantelées au motif, notamment, que la communication avec les avocats était entravée et soulignant aussi lors des débats que la diffraction visuelle imposée par ces vitres aux jurés ne leur permettait pas de déceler « l’individu jugé ». La Cour avait accédé à cette demande, considérant que l’obstacle des vitres de sécurité était de nature à entraver la liberté des accusés de se défendre eux-mêmes, de communiquer avec leurs avocats. Par analogie, le masque porté par les uns et les autres et les normes de distanciation sociale constituent de fait, en matière de bonne administration de la Justice, une autre cage relationnelle, porteuse d’enjeux sur les libertés. Le bâtonnier Jean-Philippe Rivière, avocat des parties civiles au procès de Mons, se réserve de mesurer le fonctionnement efficient de la cour d’assises. « Je ne crie pas au loup, dit-il, mais je me refuse de plaider en étant masqué. » Le médecin légiste Philippe Boxho a été consulté par des avocats pour examiner les conditions de ces procès qui rassemblent au minimum et dans un espace contraint 40 à 50 personnes. « La Cour, nous dit-il, a été sensible à nos arguments ». Une situation exceptionnelle Le pénaliste namurois, et enseignant à l’ULB, estime pour sa part que le masquage pour cause sanitaire des acteurs du procès, ne rendrait pas « a priori celui-ci inéquitable ». « Je crois qu’on est dans l’exceptionnalité mais il faut prendre en compte la proportionnalité des mesures prises. On essaye de composer avec une situation inédite ». Les questions de sécurité des magistrats animent aussi le monde judiciaire. Dans une lettre reçue jeudi par Koen Geens, Erwin Dernicourt, qui pilote le Collège des procureurs généraux, exhorte ainsi le ministre de la Justice à mettre à disposition des acteurs de la Justice les 300.000 masques FFP2-RN95 saisis à l’aéroport de Liège pour cause de non-conformité aux exigences médicales mais pouvant convenir aux activités extra-hospitalières. « Le collège du ministère public, écrit-il, propose d’aller de l’avant et de prélever sur ce stock un premier lot de 50.000 masques qui pourraient faire l’objet d’une distribution dans les entités du siège et du ministère public ». Le procureur général d’Anvers Erwin Dernicourt estime la dépense à consacrer à ces mesures de précaution « à quelques dizaines de milliers d’euros au maximum ».

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