L’agriculture de demain devra mieux respecter l’homme et la terre

Un poumon vert un peu caché à la sortie du petit village d’Hevillers, dans l’entité de Mont-Saint-Guibert. Sur la droite, au milieu d’un chemin de terre qui divise un bois, une grille donne accès à l’abondance. Sous le soleil, en short et t-shirt, le maître des lieux, François Wiaux, bichonne les 30 ares qu’il cultive selon les principes de l’agroécologie. Sans machine et sans apport de produits chimiques, que ce soit des pesticides, fongicides, herbicides ou engrais. Bio-ingénieur, il a été chercheur durant plusieurs années en environnement et agronomie, avec une spécialisation en sciences du sol. Il en est désormais convaincu, l’autonomie alimentaire de la Belgique passe, notamment, par un développement de cette technique agricole. [scald=27559715:sdl_editor_representation] « Je voulais faire quelque chose de concret », explique l’agriculteur. « Or, j’ai compris que la recherche est déconnectée de la réalité de terrain et que les publications scientifiques n’ont aucun impact. Tout est cloisonné et le débat entre terrain et chercheurs n’existe pas. J’ai donc développé mon activité de maraîchage afin de produire des légumes. Très vite, j’ai pu constater le fruit de mon travail. J’ai eu la sensation d’être utile quand j’ai vu que les gens étaient contents de retrouver le goût et la qualité des produits. J’ai compris qu’il y avait une demande énorme. » [scald=27559718:sdl_editor_representation] Cette demande, elle s’exprime depuis le début de la crise du coronavirus. Le circuit court et le recours à la production locale rencontrent un franc succès auprès des consommateurs qui fréquentent moins les supermarchés par crainte de la maladie mais aussi pour soutenir les producteurs proches de chez eux. « Je ne demande pas à ce qu’on fasse table rase du passé », précise François Wiaux. « Mais le sol est vivant et complexe et on n’en tient pas compte actuellement quand on le travaille. Labourer, ça a un impact sur plein d’organismes vivants. » « Un système basé sur la confiance » Dans son exploitation, le jeune agriculteur est occupé avec des épinards, du fenouil, des plants de tomates, de courges. Il récolte des radis et surveille la croissance d’artichauts. « Avec mes 30 ares, je nourris 30 familles », avance-t-il. « Les gens paient un forfait pour huit mois basé sur la valeur des légumes et sur lequel je m’accorde un salaire décent. C’est un système basé sur la confiance, qui peut être adapté à toutes les tailles d’exploitation. On sort de la logique de marché et c’est rentable. » Une réflexion que les défenseurs de l’agriculture traditionnelle ne partagent pas mais qui séduit pourtant de plus en plus de jeunes. « Une catastrophe comme celle que nous vivons actuellement, il peut y en avoir à tout moment à cause des flux commerciaux et touristiques entre les pays du monde », commente Quentin Ledoux qui est également bio-ingénieur de formation reconverti dans l’agroécologie. « L’autonomie alimentaire devient donc extrêmement importante pour les pays, ce qui leur impose une forme de repli sur eux-mêmes. » [scald=27559716:sdl_editor_representation] A ceux qui affirment que des petites exploitations ne peuvent suffire à nourrir tout le monde, Quentin Ledoux apporte un démenti. « La Belgique est un pays exportateur de porc, volaille et bœuf car il en produit beaucoup plus que ce dont sa population a besoin. Idem pour les pommes de terre (seize fois plus que ce que nous consommons) ou les betteraves. Par contre, nous sommes en sous-production de légumes. Or, avec 50 ares, je peux nourrir 50 familles. Donc, si on consacrait 100.000 hectares de pommes de terre ou de céréales à la production de légumes, on pourrait répondre à la demande. Sans changer de modèle agricole et d’habitudes alimentaires. » [scald=27559712:sdl_editor_representation] Cultiver les terres des fabriques d’églises Sa réflexion a mené Quentin Ledoux à des conclusions sur ce que devrait être l’agriculture de demain. « Comme je ne suis pas issu du milieu, j’ai éprouvé énormément de difficultés à acquérir mes terres. Ça n’a été possible que grâce à l’association Terres en vue et via des parrainages », regrette l’agriculteur. « Un observatoire foncier agricole a vu le jour voici deux ans mais je pense qu’il devrait, comme ça se fait en France, pouvoir réguler les prix des terres. On devrait aussi répertorier toutes les terres publiques sur lesquelles il n’y a pas de réflexion pour qu’elles servent à nourrir les gens. Ces terres appartiennent à l’Etat, à des CPAS ou à des fabriques d’églises. Il faudrait aussi que cesse la guerre entre agriculteurs et défenseurs de l’environnement. Elle est dommageable alors qu’à la base, ils ont les mêmes intérêts. Enfin, il serait judicieux que la recherche wallonne sur l’agriculture se focalise vers l’alimentation wallonne avant de penser à l’exportation. » L’agriculture de demain, François Wiaux aussi y réfléchit. Dès le début de la crise du Covid-19, il a d’ailleurs été invité par le gouvernement fédéral à prendre part au groupe de 123 chercheurs qui ont réfléchi à la sortie du confinement. Pour l’agriculture, sa première conclusion est qu’une reconversion vers le marché local s’impose. « La Belgique doit produire plus de fruits, de légumes et de céréales panifiables car une trop grande partie des céréales que nous produisons ne sert pas à l’alimentation humaine mais à celle du bétail et à la production de biocarburant. La crise actuelle montre aussi que la population est prête à revenir vers les petits marchés fermiers. Il faut soutenir les producteurs qui se lancent dans cette démarche et les aider dans l’achat de matériel tel que des frigos, par exemple. » [scald=27559717:sdl_editor_representation] Qui dit augmentation de production dit besoin de main-d’œuvre. Là aussi, le jeune agriculteur propose une solution. « Notre secteur, et en particulier le bio, n’a pas recours à la mécanisation, il nécessite donc beaucoup de main-d’œuvre. Elle est souvent saisonnière. Pourquoi ne pas permettre aux gens intéressés par ce travail de le faire tout en gardant, par exemple, le chômage s’ils y sont ? On pourrait aussi développer des plateformes de mise en lien au niveau local entre travailleurs potentiels et producteurs. Ça permettrait d’éviter le recours à des saisonniers qui viennent de loin et ont un impact sur l’environnement. Enfin, il faut absolument mettre fin au flou juridique qui entoure le travail bénévole dans l’agriculture. Rien ne l’interdit mais il est considéré comme du travail au noir. » « Faciliter l’accès à la terre » Dernier point mais non des moindres, François Wiaux attend des autorités qu’elles soutiennent à l’avenir l’installation des néo-paysans. « Ils en ont besoin pour avoir toutes les chances de s’inscrire dans la durée », estime le bio-ingénieur. « Il faut leur faciliter l’accès à la terre, leur garantir des revenus de transit lorsqu’ils viennent d’un autre secteur, tout comme ils ont aussi besoin d’un accompagnement technique et économique. » L’agriculture de demain, la Fugea, la fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs, y pense aussi. « La crise actuelle nous rappelle que notre agriculture est dépendante de l’importation de matières premières non européennes et qu’en cas de crise soutenue avec fermeture des frontières, cela pourrait avoir de graves conséquences sur notre capacité de production agricole », constate Thimotée Petel, chargé de mission. [scald=27559719:sdl_editor_representation] En conséquence, le syndicat établit quelques priorités. Il souhaite « réorienter la Politique agricole commune européenne en mettant en place une politique agricole et alimentaire commune (PAAC) pour mettre en cohérence les politiques relatives aux systèmes alimentaires en Europe ». Il faudrait alors « utiliser la période transitoire pour amorcer la transition de nos systèmes. » La Fugea souhaite aussi « protéger nos productions locales soumises à des contraintes environnementales et sanitaires strictes en s’opposant fermement aux traités de libre-échange (ou à minima inclure une exception agricole) impliquant des importations de viande étrangère pourtant disponible localement. » La Fugea souhaiterait enfin que l’on puisse « assurer un revenu décent aux agriculteurs, que l’on valorise mieux la production locale en facilitant l’installation d’outils de transformation, comme des moulins ou des ateliers de découpe ». Elle aimerait aussi qu’à l’avenir, l’évolution des systèmes d’élevage, notamment herbagers, soit facilitée et que les techniques innovantes de culture et de préservation des sols soient mieux défendues. Comme le font déjà François Wiaux et Quentin Ledoux, qui s’en retournent chacun à leurs cultures…

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