Demandeuses d’asile en Belgique: «Nous nous efforçons d’oublier ce que nous avons fui»

L’attente. La peur. Mais surtout la détermination. C’est ce qui caractérise le périple de ces femmes vers un ailleurs meilleur. Mpia a traversé forêts, fleuves, désert et mer. Son périple a duré six ans. Elle n’a pas vingt ans. Très timide, elle raconte presque machinalement son histoire. Elle a traversé dix pays. Son corps témoigne de la violence du voyage mais aussi de la vie à Kinshasa. Séparée de sa mère à cause de la guerre et du projet de son grand-père de l’épouser, elle se réfugie chez son père. Mais sa compagne lui fait subir le martyre. En 2009, elle s’enfuit. Elle se retrouve à Brazzaville. Elle travaille chez une famille mais elle est agressée sexuellement par leur fils. Elle s’échappe au Cameroun puis au Tchad. Elle est emmenée en Libye par des trafiquants d’êtres humains. Il y a du travail, lui dit-on. Mais dès son arrivée, elle est de nouveau violée. Son amie est emmenée en Jeep vers un autre lieu. La vie y est particulièrement difficile pour les femmes. Elles ne sortent pas. Difficile pour elle de passer inaperçue. Elle quitte la Libye pour le grand sud algérien. Les populations touarègues leur donnent à manger et où passer la nuit. Mais pour survivre, elle travaille dur. « C’était de l’esclavage. C’est là que mon dos s’est déformé », dit-elle. Elle tente le Maroc où elle se fait des économies. « Dieu ne me laissera pas » Après un troisième viol et une agression au couteau, elle prend la mer dans une embarcation de fortune qui s’échoue près des côtes espagnoles. Elle est la seule rescapée. Quand elle quitte l’hôpital, elle se rend à la frontière française. Un bus l’emmène enfin en Belgique. [scald=796582:sdl_editor_representation] Mpia termine son récit, comme écrit en abrégé. Jusque-là, elle semblait tenir bon. Mais quand elle évoque l’attente d’une réponse à sa demande d’asile, elle s’effondre. Cela fait huit mois. Et les réponses négatives sont nombreuses. Ses mains sont tétanisées. Elle peine à essuyer ses larmes.« Dieu ne va pas me laisser. Il voit tout. Je ne demande qu’à me reposer. Je ne peux pas retourner », dit-elle difficilement. « Nous nous efforçons d’oublier ce que nous avons fui », dit Sima, une Syrienne de 29 ans. Ses grands yeux verts pétillent quand elle parle de la solidarité des Belges : « J’ai trouvé chez eux les principes de l’Islam d’amour, de partage, de générosité et d’entraide. Chez nous, on s’entre-tue ». Quand elle échappe à la mort avec sa fillette, elle décide de partir. Sa traversée de l’Europe a été semée d’embûches. Elle ne se plaint pas. Comme du bétail L’étape allemande a laissé des marques. Sima fronce les sourcils et sa voix tremble : « Nous avons été traités comme du bétail. On a conduit notre ’’troupeau’’ dans des bureaux. On ne nous a rien expliqué. Nous avons été forcés d’y laisser nos empreintes sans savoir ce que cela signifiait. Les médecins fouillaient nos corps à la recherche de poux et de maladies sans la moindre considération pour nous », raconte-elle. Elle qui espérait introduire une demande de regroupement familial pour sa fille voit ses chances d’obtenir l’asile se réduire. Sur le conseil d’un autre réfugié, elle a menti pendant son entretien. [scald=796620:sdl_editor_representation] Chadha aussi a fait le voyage au moment où l’afflux de migrants a atteint son pic. Les frontières étaient ouvertes et les ONG présentes. Elle a 56 ans mais ne les paraît pas. Un sourire ne quitte pas son visage quand elle parle de son quotidien au centre de la Croix-Rouge de Jette, à Bruxelles. Mais lorsqu’elle évoque son quotidien à Bagdad, un frisson parcourt son corps. Des menaces pesaient contre elle et sa fille de 25ans. Elles ont quitté l’Irak, seules. « En tant que femme, nous avons doublement peur. Mais nous avons quitté une situation qui allait inéluctablement entraîner notre mort sinon l’agression de ma fille. Nous n’avions rien à perdre », dit-elle. Fenêtres d’évasion Au centre de la Croix-Rouge, l’entente est bonne. Les résidents sont essentiellement des femmes. Ce n’est pas le cas dans les centres où les hommes sont majoritaires. Comme celui dans lequel Farah, 32 ans, a été logée en premier lieu. « On est dévisagées par mille yeux. Beaucoup de ces hommes ne sont pas habitués à la mixité et certains se mêlent de nos affaires ». dit-elle. Elle a changé de centre pour raisons médicales. Pourtant, elle refusait de demander un psychologue. « Il faut faire mine d’aller bien. On se crée ses propres boucliers. Consulter un psy est un aveu de faiblesse », explique-t-elle. Les Irakiennes rencontrées au centre Fedasil de Rixensart espèrent justement plus d’espaces réservés aux femmes. Pour passer le temps, elles se font belles sous les mains expertes d’une coiffeuse. « On se crée des petites fenêtres d’évasion. C’est important de se sentir belle », précise l’une d’elles. Elles partagent ensemble leur peine et leur peur, parlent de ce qu’elles ont perdu, pleurent ensemble l’éloignement et les fils qu’elles ont enterrés… Mais évitent de penser à l’avenir tant qu’elles n’ont pas de réponse de l’Office des étrangers.

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