Le succès grandissant des vins belges

Disciples de Bacchus et du roi Gambrinus, les Belges cultivent aujourd’hui davantage la vigne que le houblon. Sans pouvoir parler de tradition, l’histoire viticole belge s’est surtout écrite ces dernières années. Elle ne date pourtant pas d’hier. Au Moyen Age, chaque grande ville ou quasi possédait son vignoble. Le petit âge glaciaire à partir du XVe siècle mais aussi la succession de guerres et de conquêtes de notre territoire ont petit à petit mis fin à l’aventure viticole. Publié en 1850, le premier recensement agricole faisait état de 166 hectares de vignes. Aujourd’hui, la Belgique en compte près de trois fois plus. Certains évoquent à terme une capacité de 10.000 hectares. Si des petits vignobles amateurs ont refait surface du côté de Huy dans les années 1970, le renouveau s’est amorcé au tournant du siècle, réchauffement climatique aidant. Parmi les pionniers, l’homme d’affaires Pierre Rion, président de l’Association des vignerons wallons, se rappelle qu’en 1990, quand il a planté 98 pieds de vigne dans son jardin pour faire son propre vin (« le seul que je n’avais pas dans ma cave »), « tout le monde (le) prenait pour un fou ». A commencer par son voisin agriculteur qui, trois ans plus tard, s’associait au projet en plantant 2.000 pieds de vigne sur 4 ha de ses terres. Le domaine de Mellemont (Thorembais-les-Béguines) était né. « On a ouvert la voie aux professionnels qui se sont lancés au début des années 2000 », retrace le vigneron brabançon qui cite l’ancien négociant en vin Philippe Grafé (domaine du Chenoy), son voisin agriculteur Jean-François Baele (Ry d’Argent) ou encore Jeannette Van der Steen (Bon Baron) : « Ils ont eu l’ambition de faire quelque chose de professionnel en plantant une dizaine d’hectares de vignes, principalement des cépages interspécifiques, plus résistants. » C’est à la même époque qu’à Haulchin, près de Binche, Raymond Leroy s’associe à des fermiers et à un œnologue champenois pour planter des pieds de vigne sur un sol crayeux, donnant naissance à un des domaines dont la notoriété a dépassé nos frontières en collectionnant les médailles et les prix : les Agaises, plus connu sous le nom de l’une de ses cuvées, Ruffus. 2018, une année exceptionnelle Portée par les superstars que sont désormais les bulles des Agaises ou du Chant d’Eole, la viticulture belge a le vent en poupe depuis une dizaine d’années. En 2018, année exceptionnelle pour le vin belge qui correspond aussi à un bond des plantations, près de deux millions de litres de vin (principalement du blanc et de l’effervescent) ont été produits en Belgique. Soit quelque 2,6 millions de bouteilles, le double de l’année précédente. [scald=27618000:sdl_editor_representation] La locomotive viticole se trouve dans le Hainaut (562.210 litres en 18), suivi par le Limbourg (376.549 litres) et la province de Namur (267.145 litres). « Les domaines les plus importants (qui produisent plus de 50.000 bouteilles par an) se trouvent en Wallonie », précise le professeur d’œnologie Fabrizio Bucella (Inter Wine and Dine) : « Les trois quarts d’entre eux sont situés dans le sillon Sambre-et-Meuse. » Une appellation d’origine protégée (AOP) certifie les Côtes de Sambre et Meuse, de même que les Vins mousseux de qualité de Wallonie, tandis qu’une IGP protège les Vins de pays des jardins de Wallonie. Les vignobles grignotent toujours plus de terres, portés par des investisseurs privés ou par des agriculteurs (re)convertis : un peu plus de 347 hectares en 2017, 384 ha en 2018, autour des 450 ha aujourd’hui. Selon le SPF Economie, la superficie et la production viticole ont quintuplé ces dix dernières années. En 2009, pour leur livre « Vignobles de Belgique », Eric Boschman, Marc Vanel et Kris Van de Sompel recensaient 80 vignerons. « Ils sont près du double aujourd’hui », estime Marc Vanel. « Chaque fois que je visite un domaine, on me parle de deux autres tout juste créés. Il y a une vraie explosion, même si on n’en parle pas encore puisqu’il faut attendre quatre ans avant la première vraie vendange. » De sérieux atouts « C’est un vrai boom, porté par de sérieux atouts », confirme Vincent Dienst, le maître de chai du château de Bousval, qui a consacré son mémoire de bioingénieur (UCLouvain) sur le potentiel viticole en Belgique avant de parfaire sa formation avec un diplôme d’œnologue en France. « Beaucoup d’éléments l’expliquent, à commencer par le réchauffement climatique. Les températures moyennes sont comparables à celles de la Champagne et de la Bourgogne dans les années 80. Pour faire du bon vin, il faut avant tout des raisins mûrs. » La vigne demande également des soins et un sol adaptés : « La diversité géologique est incroyable en Belgique, presque unique au monde ! On a toutes les variétés calcaires, mais aussi des sols schisteux, des galets et des sols sableux qui drainent beaucoup l’eau, ce qui est un réel avantage pour la vigne… » Car la vigne déteste avoir les pieds dans l’eau et s’enfonce dans le sol pour y puiser ses ressources. Les vignerons rivalisent d’imagination pour l’y forcer, en créant par exemple une concurrence végétale à ses pieds : « Il faut lui donner la vie dure, sur un sol caillouteux. Sans cela, vous aurez de la flotte dans la bouteille », résume Vanessa Vaxelaire, du domaine du château de Bioul. La vigne se développe dans des régions où la température moyenne annuelle est comprise entre 10 et 20ºC. Si le climat maritime belge est donc propice à sa culture, il est aussi humide et incertain. Mais pas tant que ça : « Les gradients de précipitations dans le sillon Sambre et Meuse sont de 800 mm/an, comme à Bordeaux », tempère Vincent Dienst. Le réchauffement climatique engendre aussi des phénomènes extrêmes, comme le gel ou la grêle, contre lesquels les vignerons doivent se battre avec des moyens adaptés et souvent coûteux (éoliennes, stations météo, canons à chaleur, bougies…). Des prix élevés La prévalence du blanc et du mousseux (environ 80 % de la production totale) s’explique par notre position septentrionale qui permet de faire des vins vifs aux tanins contenus et pas trop lourds en alcool, mais aussi par la fragilité des raisins noirs, plus exposés aux maladies et aux champignons qui se développent avec l’humidité. « C’est plus difficile de faire du rouge en Belgique », concède Jean-François Baele (Ry d’Argent), dont les vins sont notamment vendus en grande surface (chez Carrefour), tandis qu’un autre vin belge, le Château Bon Baron, est déjà disponible au Delhaize et bientôt chez Colruyt. « Même si le rouge se vend, les échos gustatifs sont moins bons. Autant je peux mettre une claque à une maison champenoise sur mes bulles à 20 euros, autant je ne peux arriver à la cheville d’un Bordeaux à 8 euros. Le contexte d’attrait du local explique aussi le succès de nos vins, y compris les rouges. » [scald=27618001:sdl_editor_representation] « Les vins belges sont chers, mais c’est une chance de pouvoir les vendre à ces prix-là. Ce n’est pas le cas partout sur la planète. C’est pour cela qu’il faut faire de la qualité. Ces trois dernières années, on y est. Désormais, dans les dégustations à l’aveugle, il n’y a plus de brebis galeuses », se félicite pour sa part Vanessa Vaxelaire. Ces prix sont liés à une série de facteurs, détaille Hubert Ewbank de Wespin (Chant d’Eole) : « Si on regarde le prix des terres, les accises et autres taxes, faire un vin belge à moins de 10 euros, c’est impossible. La Belgique se situera dans le haut de gamme. Il y a dix ans, aucun restaurant ne voulait mettre de vin belge à sa carte. Maintenant, ce n’est plus le cas. La mentalité du public évolue également. » Le vin belge reste un produit de niche. L’intérêt accru des consommateurs comme des restaurateurs n’en reste pas moins réel, à tel point que la pénurie guette certains domaines : « J’adorerais avoir deux pages de références belges, mais la quantité ne suit pas et la qualité pas toujours », pointe Antoine Lehebel, meilleur sommelier de Belgique en 2014, du restaurant doublement étoilé Bon-Bon qui en propose actuellement une quinzaine. « Nous sommes très exigeants, donc très sélectifs. Ce sont pour la plupart des projets jeunes, donc des vignes jeunes, mais avec le temps, les vins vont acquérir plus de complexité. Le potentiel est là, même si je pense que la clientèle restera locale, comme c’est le cas pour les vins suisses. »

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