Les vins belges: une bulle pas près d’exploser

Il est 10h. du matin et c’est un ballet incessant de voitures qui occupe le parking du domaine vignoble des Agaises. Les particuliers ont un mois pour venir chercher leur commande et ils ne se sont pas fait prier deux fois. En temps normal, le prélèvement a lieu le week-end, au son de la fanfare d’Estinnes et avec possibilité de repas mais le Covid-19 est passé par là et il a fallu revoir ses batteries. Ça n’a pas enlevé le sourire du visage de Raymond Leroy qui accueille tous les visiteurs sur la même phrase : « Une petite coupe ? ». Même à cette heure matinale, rares sont ceux qui résistent à l’appel des bulles. [scald=27619157:sdl_editor_representation] À Haulchin, petit village de l’entité d’Estinnes, à un jet de pierre de Binche, le vignoble des Agaises fait la fierté du village. C’est ici qu’on produit le Ruffus, pionnier en matière d’effervescent en Belgique. « On me parle parfois de success-story mais c’est un peu exagéré. C’est avant tout l’histoire d’une passion », nous lâche-t-il les yeux rieurs. « Vous êtes toujours partant ? » Pendant 20 ans, ce négociant en vins a poursuivi une chimère : produire du vin en Belgique. Il avait bien ses quelques pieds de pinot noir dans son jardin familial mais « certaines années, c’était très bon, d’autres médiocres », avoue-t-il sans ambages. Puis le fils d’un fermier qu’il avait contacté en 1980 pour se lancer, est venu le retrouver, en 2001. « Vous êtes toujours partant ? », lui demande-t-il. « Bien sûr ! » répond-il. Rapidement, l’affaire prend de l’ampleur. Alors qu’il pensait planter 1.000 pieds, cela devient un hectare (10.000 pieds) puis deux. « On va planter deux hectares sinon c’est du jardinage », lui explique Thierry Gobillard de la maison champenoise du même nom avec lequel il s’est associé. [scald=27619155:sdl_editor_representation] Près de vingt ans plus tard, le vignoble des Agaises occupe 28,5 hectares et produit 220.000 à 230.000 bouteilles en moyenne par an, réparties entre le brut, le brut sauvage et le rosé. « Il a fallu attendre quatre ans avant la première vendange, puis encore deux ans avant de vendre une bouteille. Pendant six ans, pas un balle n’est rentré. » Si le succès est au rendez-vous, c’est d’abord grâce au terroir crayeux de ce petit coin du Hainaut, la même terre qu’en Champagne. « La craie est une éponge. Quand il pleut, cela passe à travers et quand il fait chaud, l’eau remonte vers les racines. De plus, le terrain crayeux est très pauvre, il est minéral. C’est lui qui donne ce goût très minéral et léger au vin. » Une demande constante Aujourd’hui, toutes les bouteilles trouvent preneurs, ce qui a notamment permis d’atténuer l’effet coronavirus. Alors que Ruffus fournit notamment 4.000 bouteilles au carnaval d’Haulchin, 2.000 à celui de Binche, et que le Doudou constitue un autre grand acheteur, l’annulation de ces événements aura permis de contenter les particuliers sur la liste d’attente. Cette demande constante pourrait pousser le domaine à s’agrandir de 7 à 8 hectares, à condition de trouver un accord avec les fermiers qui possèdent ces terres qui ont pris quatre fois leur valeur initiale depuis que Ruffus fait du vin. « Mais de toute façon, mon vœu est exaucé. J’ai mes vignes, je suis une des locomotives de Belgique et je crois que je peux dire qu’on fait de bons produits. » [scald=27619158:sdl_editor_representation] La prochaine étape consistera dans l’agrandissement de la cave, après avoir acquis trois tours antigel. « Cette année, elles ont tourné durant quatre nuits. Grâce à cela, on a sauvé entre 20.000 et 30.000 bouteilles. Les investissements n’arrêtent jamais, on n’a jamais de liquidités ». Depuis le début de l’aventure, cinq millions ont déjà été investis dans cette passion onéreuse. « Moi, je n’ai jamais vécu du vignoble. Par contre, mes deux enfants vont pouvoir en vivre même si cela ne sera jamais à l’aune des heures passées au travail ». À l’ombre des éoliennes, sommeille le meilleur effervescent du monde À dix kilomètres à vol d’oiseau, sur la même veine crayeuse, un concurrent est en train de lui voler la vedette. Le titre de meilleur vin mousseux du monde octroyé, il y a un an, au Chant d’Eole a placé ce domaine sur la carte. À Quévy, sur la route entre Mons et Maubeuge, on ne peut ni rater les éoliennes, ni la bâtisse ultramoderne blanche du Chant d’Eole, qui au départ devait s’appeler Champ d’Eole (en hommage aux éoliennes) avant, pour éviter toute confusion avec le champagne, de trouver sa dénomination actuelle qui fait référence au doux chant du vent passant entre les pales. [scald=27619156:sdl_editor_representation] C’est l’un des deux propriétaires, Hubert Ewbank de Espin qui nous reçoit. Le verbe est haut et passionné. Fier aussi du travail accompli depuis le lancement de ce domaine en 2011. « Notre secret ? Un terroir exceptionnel et très rare en Belgique, une équipe et des équipements performants », explique-t-il. Un rapide passage par les vignes révèle ces terres blanches typiques de la craie. La floraison est terminée, laissant la place progressivement aux raisins. « Pour les générations futures » Ici aussi, l’investissement est lourd. Déjà 8 millions d’euros. Et 11 millions lorsqu’à l’horizon 2022, le domaine passera à 35 hectares. Au Chant d’Eole, on a voulu se donner les moyens de ses ambitions. Du maître de chai aux équipements, « on a voulu ce qu’il y a de meilleur. On s’est mis une grosse pression mais la Wallonie doit se démarquer par la qualité. Nous ne sommes pas une région de volumes. On savait qu’on allait être comparé à la Champagne : même méthode, même sol et mêmes cépages. Il fallait donc que lors des dégustations à l’aveugle, on dise woauw ! ». Pari réussi. Le mot rentable est donc banni du vocabulaire. « On investit pour les générations futures. On veut créer une entreprise patrimoniale générationnelle. Quant à notre génération, on pourra dire qu’on se sera bien amusés ». [scald=27619159:sdl_editor_representation] Depuis son titre, le Chant d’Eole est un produit prisé que l’on s’arrache. Il y a près de 400.000 demandes pour seulement 100.000 bouteilles. « Il y a une demande internationale très importante qu’on ne sait pas livrer car on donne la priorité à la Belgique ». À l’heure actuelle, seuls 3 à 5 % des bouteilles sont réservées à l’export, en priorité pour les grandes tables étoilées. C’est pour cette raison que la maison veut s’agrandir. « Les 35 hectares permettront de répondre à la demande actuelle, soit 400.000 bouteilles par an. » Pour se diversifier, le Chant d’Eole travaille beaucoup l’oenotourisme. La salle située à l’étage du domaine sert de cadre à des événements (mariages, séminaires d’entreprises, fêtes de famille, etc) mais aussi à des organisations maison, comme la marche gourmande (qui draine 5000 visiteurs), le marché de Noël ou les « Destress after work ». Une autre manière de rentabiliser l’outil.

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