Les coopératives, l’autre économie – La coopérative immobilière, pour vivre autrement

Du confinement, seules restent les affiches aux traditionnels logos (masque, gel, distanciation sociale) placardées dans le hall d’entrée de l’immeuble avenue Henry Dunant à Evere. Et puis, le bleu chirurgical des masques portés par certains locataires, ceux qui circulent dans les couloirs de ce bâtiment à six étages mais aussi ceux qui travaillent la terre du grand potager communautaire à quelques pas de là. [scald=27622376:sdl_editor_representation] Si cette période a été difficile ici, dans les logements sociaux de la coopérative Comensia, en particulier pour les personnes âgées et isolées, pour les familles monoparentales, les voisins ont aidé à la traverser un peu plus sereinement. « A Neder-Over-Heembeek, un groupe de jeunes s’est proposé de faire les courses des personnes âgées contre rémunération », explique Elise Fastenakel, directrice de la branche sociale de Comensia. « Nous étions prêts avec des listes d’associations mais la solidarité s’était déjà pas mal installée dans les logements. » Et la coopérative elle-même a veillé à rester disponible et a contacté systématiquement les ménages les plus fragiles pour voir s’ils étaient en difficulté et les accompagner au mieux, précise le directeur général adjoint, Cédric Mahieu. [scald=27622381:sdl_editor_representation] Une communauté à construire C’est peut-être là la force des habitants : la solidarité. Leur implication dans la vie en communauté. Même si celle-ci doit encore se construire. Car la coopérative Comensia n’existe que depuis cinq ans. « C’est un travail permanent d’essayer d’accrocher nos locataires par la coopérative », explique Cédric Mahieu. « Ce n’est pas encore naturel chez tous de participer à la gestion de la société. » Née en 2015 de la fusion de quatre sociétés et coopératives, Comensia gère 3.238 logements installés dans des cités-jardins ou dans des tours de logements et comptabilise 600 logements en cours d’acquisition ou de construction. Chaque locataire est coopérateur, via l’achat d’une part de 25 euros par ménage à l’entrée dans le bien. [scald=27622380:sdl_editor_representation] « On coopère un peu plus, on est informé de ce qu’il se passe dans le quartier, il y a un échange qui permet à chacun de s’y retrouver », s’exclame de son accent chantant Adriana Pilato, membre du comité de gestion local (Cogelo) de la Maison Destrier à Evere. C’est ce comité composé de l’ensemble des coopérateurs locataires du quartier qui a décidé d’installer un compost et de construire un poulailler dans le jardinet de cette maison coopérative commune, de cultiver un potager ou encore de lancer des animations artistiques, comme la fabrication de dalles en mosaïque qui coloreront bientôt les rues. Ailleurs, on organise des barbecues, la fête d’Halloween, des journées de nettoyages, des espaces donneries. Des initiatives qui sont accompagnées par des travailleurs sociaux communautaires. « Ces personnes relais sont là pour écouter les envies, les besoins, les problèmes des coopérateurs locataires et les soutenir dans leur mise en projet », rapporte Elise Fastenakel. « Mais aussi parfois pour les accompagner dans des démarches purement administratives. » [scald=27622382:sdl_editor_representation] Locataires et propriétaires au pouvoir Coopérateurs, les locataires peuvent aussi entrer au conseil d’administration, dont ils occupent la moitié des sièges. Comme Yves Hendrickx, ancien président du conseil consultatif des locataires : « Maintenant, j’ai un peu plus de pouvoir et de décisions à prendre. Je donne mon accord sur le nouveau règlement d’ordre intérieur, par exemple, ou sur les appels à projets. » Les autres administrateurs sont des particuliers, héritiers des fondateurs de la société, des représentants des pouvoirs publics ainsi que des 120 travailleurs. Dans ce modèle, le locataire devient acteur, souligne Cédric Mahieu. Devenir acteur, « maître de son habitat » dans un marché immobilier sur lequel l’individu a parfois le sentiment d’avoir peu d’emprise. « Sortir un bien d’un circuit d’achat-vente touché par la spéculation », remarque Chadi Cheikh-Ali, conseiller au sein de l’ASBL SAW-B, agence-conseil en accompagnement des projets d’entreprises sociales. « S’inscrire dans une démarche d’apprentissage, construire un modèle de vie, tisser des liens dans un quartier et prendre le pouvoir, aussi », ajoute-t-il. [scald=27622138:sdl_editor_representation] [scald=27622383:sdl_editor_representation] En matière de logement, la coopérative, même si elle est encore rare, suscite un engouement, comme dans de nombreux autres secteurs. Elle est, « dans nos sociétés de plus en plus individualistes », une réponse, une solution face à un « coût de plus en plus exorbitant qui exclut les logements sociaux et les classes moyennes de certains territoires », observe le conseiller en entreprise sociale. Alors, pour empêcher l’émergence de villes duales, pour garantir l’accessibilité d’un habitat pour tous, des coopératives naissent avec pour objectif de « répondre à la problématique de logement abordable ». Comme Livingstones à Bruxelles, fondée en 2005 par trois agences immobilières sociales (AIS) et des investisseurs privés. Comme Les Tournières à Liège, qui, depuis 2003, cherche à « acquérir et rénover des bâtiments ou des terrains pour les mettre à disposition d’associations impliquées dans le secteur social, culturel, environnemental ». Ou comme Wooncoop, dont les occupants coopérateurs paient « un loyer mensuel équivalent au coût d’utilisation » et qui propose « un coût équitable » qui n’est déterminé « ni par la situation, ni par le prix de l’immobilier environnant, ni par la spéculation ou la cupidité d’un propriétaire ». [scald=27622385:sdl_editor_representation] À Verviers, Habitat InVesdre veut proposer une « alternative complémentaire » aux 350 ménages en attente de logements sociaux, assure Adelin Smeets, administrateur et responsable communication. Propriétaire de quatre logements, la coopérative achète et rénove des biens immobiliers – avec l’intervention d’entreprises de formation par le travail ou d’entrepreneurs locaux mais aussi des coups de main de coopérateurs pour la peinture, le jardin ou le nettoyage – pour en faire des logements de qualité au loyer modéré avant d’en confier la gestion à Logeo, l’AIS verviétoise. Une solution contre les villes duales À Bruxelles, la plateforme Community Land Trust Brussels (CLTB) va plus loin et aide les personnes en difficulté sur le marché immobilier à accéder à la propriété. Mais aujourd’hui, la fondation à finalité publique veut étendre son action entamée en 2012 et la rendre viable sans subsides. Ce que pourrait lui permettre le modèle coopératif qu’elle voudrait mettre sur pied en septembre. « La coopérative fonctionnerait comme une banque foncière », détaille-t-on chez CLTB. « Il s’agirait d’un appel à l’épargne des investisseurs qui achètent un terrain, dont on gèle le prix, et les occupants ne remboursent que le prix de la brique. Le prix est plafonné afin de rester accessible pour le prochain occupant. » [scald=27622384:sdl_editor_representation] Une quinzaine d’associations d’aide aux sans-abri, de lutte contre la pauvreté ou encore d’occupation temporaire seraient partenaires. Pour accompagner toutes les personnes, de plus en plus nombreuses, en situation de précarité face au logement. « C’est important pour la résilience d’une ville que ces acteurs sociaux soient présents », poursuit-on au sein de la plateforme. « Il faut éviter que toute une frange de la population – les artistes, les ménages à bas revenus, etc. – ne soit reléguée en périphérie et ne se retrouve loin du marché du travail et des transports en commun, coincée dans des formes de ghettos. » Un cercle infernal que l’on peut éviter en limitant le prix des terrains, affirme le CLTB : « Des quartiers prennent de la valeur parce qu’il y a des transports en commun structurants, des écoles, des commerces. On estime qu’il ne faut pas que cette valeur se fasse au préjudice des plus fragilisés. Le but de la coopérative est de pallier ce paradoxe du marché : plus un quartier est valorisé, plus il fragilise et éloigne ceux qui y ont contribué et ont créé sa valeur. » En immobilier, la coopérative remet de la vie dans les quartiers. Et l’humain au cœur de la ville.

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