L’ULB et la Ville de Bruxelles marient leurs hôpitaux

Ce devait être le plus grand hôpital du Royaume : Erasme, Saint-Pierre, Brugmann, l’Hôpital des enfants (Huderf), Bordet, un effectif de 12.000 personnes au service de la santé publique. Des mois que le bourgmestre de la Ville (gestionnaire de quatre hôpitaux) et le recteur de l’ULB œuvraient à cette ambition, cassée, fin juin, par les conseils médicaux de Saint-Pierre et Brugmann. [scald=27633294:sdl_editor_representation] « Mais on veut toujours se marier, assurent aujourd’hui Yvon Englert et Philippe Close. Progressivement. » Concrètement, ils seront donc trois et non cinq : Erasme, Bordet et l’Huderf. Unis au sein d’un « groupement », étape préalable à une fusion, à négocier avec le fédéral. « Le groupement est une entité légale qui donne énormément de marge de manœuvre, détaille Yvon Englert. Il y aura donc une unité de gestion, un seul conseil d’administration, un seul budget, un seul compte. Nous nous donnons comme objectif de basculer les trois hôpitaux dans une structure unique à la mi-2021. » L’ensemble sera doté de 700 millions de budget et emploiera 4.900 personnes. « Nous avons vérifié que la formule est viable à trois, elle peut à tout moment s’élargir à un quatrième et un cinquième. » Un cancéropôle à Anderlecht Le projet est né de la volonté de rapprocher les équipes, spécialisées dans le cancer, de Bordet et Erasme. Traitement et recherche réunis en un cancéropôle, équipé de toutes les nouvelles technologies. Un investissement de 300 millions d’euros. « Ce n’est pas banal, souligne Philippe Close. La Ville de Bruxelles a décidé de reconstruire un de ses hôpitaux de pointe non pas sur son territoire mais sur celui d’une autre commune. Dans l’intérêt des patients, de la recherche. » Au premier semestre 2021, ce sont quelque 1.100 personnes qui quitteront le bâtiment vieillissant de la Porte de Hal pour 80.000 mètres carrés flambant neufs sur le campus Erasme. [scald=27633296:sdl_editor_representation] La réflexion a été initiée il y a plus de quinze ans par… Yvon Englert, qui dirigeait à l’époque le service de gynécologie-obstétrique à Erasme, et Martine Piccart, oncologue à Bordet, spécialiste de la lutte contre le cancer du sein. « Avant cela, on ne travaillait pas beaucoup ensemble, rappelle le recteur de l’ULB. Cela s’est beaucoup développé ces dix dernières années. Il y a à peu près autant d’oncologie des deux côtés, en nombre de patients, en ressources médicales, et il y a une très grande complémentarité entre les centres d’excellence de Bordet et d’Erasme, c’est un travail que Martine Piccart a effectué. En les rapprochant, on crée un pôle dans lequel on va retrouver l’ensemble des praticiens du cancer, peu importe qu’ils marchent sur le ballatum d’un hôpital ou de l’autre, cela n’aura plus d’importance. Ce sera une seule structure hospitalière, orientée vers les meilleurs soins aux patients, avec de plus grandes masses critiques qui permettront d’avoir des spécialistes plus pointus, une plus grande attractivité pour les médecins… » « Les chercheurs s’entendent très bien, on veut leur offrir une plateforme, où médecine et recherche sont intégrées, complète le bourgmestre de la Ville. Nous sommes du reste convaincus que la recherche est très importante aussi dans son pan applicatif. La Région bruxelloise doit développer ce créneau, elle a tout à gagner. » Un hôpital complet S’il en est le maillon le plus emblématique, le cancéropôle ne résume pas à lui seul le groupement : on parle bien d’un ensemble hospitalier couvrant tous les soins. Avec les urgences, la psychiatrie, tous les secteurs médicaux – dont le cancer, logé dans l’Institut Bordet, et la pédiatrie, historiquement concentrée à l’Huderf (situé à Laeken). « Il faut le voir comme un hôpital complet qui se développe en volume et en géographie », explique Yvon Englert. « Avec, comme philosophie, l’excellence ; la proximité, assurée en répartissant l’offre de soins sur plusieurs sites ; et l’accessibilité, qui garantit que, quel que soit son niveau de revenus, on est soigné par le top de la médecine », insiste Philippe Close. Raison pour laquelle le tandem entend reprendre son bâton de pèlerin pour tenter de convaincre les équipes de Saint-Pierre et de Brugmann de rejoindre le groupement. [scald=27633295:sdl_editor_representation] « Même si on a eu un vote négatif des conseils médicaux, aucun ne remet en cause que c’est vers ça qu’on doit aller, analyse Philippe Close. Notre conviction est toujours celle-là. La tendance hospitalière va vers ces groupements, qui nous permettront par ailleurs de peser sur les décisions en matière de santé publique. » Et le bourgmestre de la Ville d’aligner les arguments. « Nos patients nous reprochent, et ils ont raison, les délais d’attente, vraiment trop longs. On est convaincu qu’en créant une masse plus importante, on peut répondre à ça, en demandant à des médecins de bouger, à certains moments, selon les besoins. » Le recteur de l’ULB pointe par ailleurs que « les cinq institutions sont des hôpitaux de stage pour l’ULB, c’est un facteur de recrutement très fort, la plupart des médecins sortent de l’ULB. Il y a donc une culture commune, un facteur de succès très important dans ce qui est l’enjeu dans ce projet, l’intégration, arriver à ce que les gens travaillent ensemble. » « Un projet de développement, pas d’assainissement » Dans leur refus de monter à bord, les conseils médicaux de Saint-Pierre et Brugmann exprimaient leur crainte d’être réduits au rang de polyclinique d’Erasme. « C’est un vrai fantasme, balaie Yvon Englert. La force de ce projet c’est aussi son implantation dans les divers quartiers de Bruxelles. La proximité, pour toute une série de soins, est essentielle : sinon, les patients ont tendance à retarder les soins, à ne pas y aller, parce que ça prend trop de temps, c’est trop compliqué. » « La clé, c’est la mobilité des médecins, au service des patients, résume Philippe Close. Avec, bien sûr, le maintien des services d’excellence sur certains sites. » En résumé : un seul trajet de soins, quel que soit le point d’entrée dans l’ensemble hospitalier. [scald=27633293:sdl_editor_representation] Autre argument « à charge » : le rapprochement avec l’ULB serait synonyme de privatisation. « L’ULB ce n’est pas les Gafa !, s’insurge le mandataire socialiste. J’espère que personne n’imagine que l’ULB est un grand monstre du capitalisme abscons dévorant la santé publique. » « C’est vrai que, juridiquement, le statut est différent, précise Yvon Englert. Mais les règles de fonctionnement des hôpitaux universitaires sont depuis très longtemps alignées sur les exigences de l’hôpital public, en termes de limitation d’honoraires, d’obligation de traiter tous les patients au tarif mutuelle, une évidence chez nous depuis toujours. C’est un ensemble qui a une volonté de service public. » Du reste, le projet reste basé sur une participation égale des deux partenaires : à cinq, la Ville « apportait plus » dans la corbeille, à trois, c’est l’inverse. « Mais on ne change rien, c’est un partenariat 50/50, c’est la preuve qu’on se fait confiance », plaide Philippe Close. Quid d’une opération qui aurait pour but de rationaliser les coûts ? « Hors Covid, nos hôpitaux ne sont pas à l’agonie. Ce n’est pas un projet de sauvetage ni un plan d’assainissement, c’est tout l’inverse, c’est un projet de développement », martèle le bourgmestre. Qui appelle, au passage, le fédéral à faire un geste pour les hôpitaux, exsangues après la crise sanitaire.

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